FOCUS – Grenoble école de management a lancé sa chaire Energy for Society, soutenue par trois mécènes : Engie, Air liquide et la Banque populaire Auvergne-Rhône-Alpes. Son objet d’étude ? La capacité d’adaptation des entreprises à la transition énergétique et le modèle entrepreneurial ou économique à définir face à cette « révolution » en cours.
Concilier « l’attractivité business » et l’adhésion des citoyens à la transition énergétique : tel est l’un des axes principaux de réflexion de la nouvelle chaire lancée par Grenoble école de management (Gem). Intitulée « Energy for Society », celle-ci veut étudier la capacité d’adaptation des entreprises aux nouveaux modèles énergétiques qui se dessinent, et les débouchés économiques des nouveaux usages face au réchauffement climatique.
Pour travailler sur ces sujets, la chaire affecte six professeurs permanents et un post-doctorat à plein temps, le tout sous l’œil de Carine Sebi, économiste à Gem et spécialiste du secteur de l’énergie. Quelles ressources financières ? Energy for society est financée à hauteur de 150 000 euros annuels par l’école et par trois mécènes directement concernés par son sujet d’étude : Engie, Air liquide et la Banque populaire Auvergne-Rhône-Alpes.
Une chaire autour de trois thèmes phares
C’est plus précisément autour de trois thèmes que la chaire veut développer son action d’études. Le premier se penche sur la capacité des entreprises à coopérer « pour créer de nouveaux services énergétiques innovants ». Nouvelles technologies ou recours massif au numérique font que « les entreprises ne se suffisent plus a elles-mêmes, elles ont besoin de collaborer », juge ainsi Carine Sebi. Quitte à changer de manière radicale de vieilles habitudes.
Deuxième thème : « Comprendre les stratégies d’innovation durable des entreprises ». Autrement dit, étudier la manière dont les entreprises évoluent en faveur de la transition énergétique, ou en matière de responsabilité sociale (RSE). Tout en mesurant l’adhésion en interne à ces changements. « Comment les salariés vont-ils écouter et prendre en compte le message qui leur est dicté par leur top manager ? », s’interroge Carine Sebi.
Troisième et dernier thème : « L’implication des nouveaux usages sur les futurs modèles économiques du secteur de l’énergie ». « Pour subsister, les entreprises ont besoin d’innover », rappelle l’économiste. La chaire s’interrogera sur les nouveaux services à venir en matière d’énergie, autant que sur la capacité des entreprises à proposer des nouveaux modes de consommations abordables pour le plus grand nombre.
Le modèle économique de demain face à la transition énergétique
Autant de thèmes qui touchent de près l’avenir des entreprises mécènes. Rien d’étonnant, dès lors, qu’Engie, Air liquide ou la BP Aura se soient fortement impliquées dans le projet. « Nous avons choisi les sujets ensemble. Les études de cas ne sont pas encore identifiées, mais on sent une envie de nos partenaires qui vont être forces de proposition », souligne Carine Sebi. Qui se réjouit de voir des entreprises désormais « au plus près des enjeux de société ».
L’avenir est incertain pour les grands acteurs de l’énergie. Quel modèle à venir ? « Pour être franc, on ne le voit pas. Et je suis persuadé que ce qu’on imagine n’est pas ce que sera demain », considère Yohann Cordier.
Le DRH d’Engie insiste sur la dimension collective des besoins. « Aucune boîte, aucune administration, aucune région ne peut faire les choses toutes seules », prévient-il. Et d’ajouter : « La vision s’améliore quand on marche à plusieurs. »
Des pistes sont toutefois d’ores et déjà tracées. Le directeur général d’Air liquide Xavier Vigor n’a que l’hydrogène à la bouche, Eldorado à venir des producteurs d’énergie convertis à la production “verte”. Rien d’étonnant : l’entreprise a lancé la démarche « Blue Hydrogen », en promettant une « décarbonisation » de sa production via l’utilisation des énergies renouvelables (électrolyse de l’eau) ou encore en exploitant le reformage du biogaz.
Un changement de modèle… ou une révolution ?
Autre mot vedette de la présentation de la chaire : la « révolution ». De Engie à la Banque populaire, personne n’oublie de qualifier ainsi le bouleversement de la société qui se dessine. Une révolution encouragée par l’engouement d’une grande partie de la population pour les préoccupations environnementales, à commencer par une jeunesse inquiète pour son avenir. Et qui s’incarne actuellement dans la figure ultra-médiatisée de la jeune Greta Thunberg.
Mais les révolutions ont aussi tendance à couper des têtes. Alors que les mouvements de défense de l’environnement prônent un changement majeur de modèle social ou politique, des entreprises centenaires comme la Banque populaire, Air Liquide ou Engie (fusion de Suez et GDF) ont-elles encore la confiance des citoyens ?
« On le perçoit parfois, ce manque de confiance », reconnaît le DRH d’Engie. Pour qui la meilleure manière d’y remédier est l’écoute et la discussion. Tout en jouant la carte de la patience. « Je me dis qu’il faut prendre un peu de temps. Nous sommes en train de faire bouger des structures énormes ! », insiste-t-il. Et de conclure, philosophe : « Il faut accepter d’être critiqués, parce que nous avons fait des erreurs globales. »
Business Developer d’Engie, Franck Le Baron décrit pour sa part « des actes courageux » de la part de son entreprise. « Nous avons osé : nous avons cédé notre entité de production de gaz liquéfié, nous avons décidé d’arrêter la production d’énergie à partir de charbon », décrit-il.
Autant de points qui, à ses yeux, marquent bel et bien un changement de modèle. « Nous n’avons plus le droit d’agir comme avant : ce n’est pas juste verdir », affirme-t-il.
Les solutions alternatives, « pas à la hauteur des enjeux »
Même tonalité de la part d’Air liquide. Face à la méfiance d’une partie de la population, Xavier Vigor met en avant les « faits ». « Il y a des faits concrets, les projets que l’on fait, les investissements que l’on fait », rappelle le directeur général. Un discours appuyé par Pierre-Henri Grenier : « Avant, on mettait du vert un peu partout, mais plus personne n’est dupe : il y a des éléments de preuve, de nouveaux modes de financement », déclare le directeur adjoint de la BP Aura.
Pierre-Henri Grenier admet que certaines personnes seront idéologiquement réfractaires aux entreprises de “l’ancien monde”… sans leur prédire le succès. « Je pense que les enjeux sont tels aujourd’hui que les projets alternatifs, notamment financiers, n’arriveront pas à lever suffisamment de fonds pour y répondre. Ils sont bien, mais pas à la hauteur », estime-t-il, en appelant à la mobilisation des grands groupes financiers pour la transition énergétique.
« Les entreprises ont un rôle à jouer », conclut ainsi Carine Sebi. Pour qui il ne s’agit pas seulement de convaincre les consommateurs… mais aussi les actionnaires. « Il faut s’attacher à regarder l’impact de ces politiques de RSE : est-ce que cela va embarquer les salariés ? Quel va être l’impact sur la santé économique des actionnaires et des entreprises ? » Tout cela pour espérer in fine renverser la logique dominante « et trouver de nouveaux marchés d’affaires ».