FOCUS – Ce mercredi 2 octobre, Kévin Lucas, berger dans le Briançonnais a comparu devant le tribunal d’instance de Grenoble. Il faisait appel d’une décision rendue en janvier dernier. Pour avoir aidé des migrants à entrer en France et refusé de se soumettre à un contrôle de gendarmerie, le maraudeur encourt quatre mois de prison avec sursis. Une petite centaine de militants se sont mobilisés à cette occasion devant le tribunal pour soutenir le jeune homme et protester contre le « délit de solidarité » dont il est accusé.
Mobilisation devant le tribunal d’instance en soutien au Briançonnais Kevin, accusé de délit de solidarité envers les migrants, le 2 octobre 2019. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net
En mars 2018, Kévin Lucas, 32 ans, a porté secours à des migrants qui entraient en France de manière irrégulière en passant par les montagnes des Hautes-Alpes. Il les a alors transportés en voiture avant d’être arrêté et de refuser de se soumettre à un contrôle de gendarmerie.
Pour ces faits, les magistrats du tribunal de grande instance à Gap ont condamné Kévin à quatre mois de prison avec sursis.
Estimant absolument intolérable d’aller en prison au motif d’avoir aidé des personnes en détresse, le jeune homme a fait appel de cette décision et comparaissait devant le tribunal d’instance de Grenoble ce mercredi 2 octobre.
Venus soutenir le jeune Briançonnais, des associations et citoyens de Grenoble et de Briançon ont revendiqué devant le tribunal le droit légitime de porter secours aux migrants, au nom du principe de fraternité inscrit dans la Constitution de 1958. « Le 6 juillet 2018, le Conseil constitutionnel a même été on ne peut plus clair, précise Michel Rousseau, coprésident de l’association Tous Migrants. Il a affirmé qu’une aide désintéressée au séjour irrégulier des étrangers ne saurait être passible de poursuites, en vertu du principe de fraternité. »
Des frontières dangereuses, dignes du Moyen Âge
Dans l’attente de la fin du procès, des militants regroupés sur le parvis du tribunal ont poussé la chansonnette, dénonçant sur des airs connus la pression policière à l’égard des migrants et le durcissement des politiques migratoires.
Puis quelques personnes ont pris la parole, à l’instar de Matthieu. Comme Kevin et beaucoup d’autres Briançonnais, il fait des maraudes solidaires durant l’hiver. C’est-à-dire qu’il part en montagne au-devant des migrants pour leur apporter un peu de nourriture ou une aide quelconque. « Ces personnes viennent chercher l’asile en France et, au lieu d’être accueillies, elles sont traquées par la police », fustige le maraudeur.
Ces intimidations, ce harcèlement les poussent, juge-t-il, à courir de grands risques en empruntant des chemins dangereux en montagne. « Par ces agissements, l’État a réussi à recréer un coin de Moyen Âge, au XXIe siècle ! », déclare le citoyen scandalisé, qui déplore que cette situation perdure. Voilà en effet déjà quatre hivers que l’association Tous migrants organise des maraudes solidaires.
« Les magistrats ont semblé être à l’écoute »
Sur les coups de 15 h 30, Kevin et son avocate Maeva Binimélis sont sortis du tribunal. Pas franchement enclin à se mettre en avant, le jeune maraudeur veut d’abord penser aux migrants : « Il faut surtout continuer à parler de la situation abominable à la frontière que vivent ces personnes et dénoncer le système frontalier en général. Le délit de solidarité, c’est annexe (…) »
Maeva Binimelis, avocate des maraudeurs briançonnais qui portent secours aux migrants, devant la tribunal d’instance de Grenoble, 2 octobre 2019. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net
L’avocat général a requis le maintien de la peine de prison prononcée en première instance. Sans surprise, l’avocate a, quant‑à elle, demandé la relaxe pure et simple de son client.
« L’audience a été sereine, alors que l’ambiance est souvent électrique dans ce genre d’affaire. Les magistrats ont semblé être à l’écoute », a‑t-elle déclaré, en faisant montre tout à la fois de prudence et d’optimisme.
Le délibéré sera rendu le 23 octobre, à la veille de la comparution de Pierre, un autre maraudeur condamné pour des faits similaires. Une quinzaine de personnes sont actuellement poursuivies par le procureur de Gap, pour avoir porté secours à des migrants dans les Hautes Alpes.
Séverine Cattiaux