FOCUS – Ce lundi 16 septembre, 95 % des barreaux de France étaient en grève. Notamment celui de Grenoble dont une forte délégation s’est rendue à Paris pour manifester. Les robes noires, comme d’autres professions libérales, défendent bec et ongles leur retraite. Dans leur viseur, le rapport Delevoye qui prévoit de fondre l’ensemble des régimes autonomes dans le régime général.
De mémoire d’avocat, on n’avait jamais vu une telle mobilisation avec, ce lundi 16 septembre, 95 % des barreaux français en grève. Dont celui de Grenoble, le conseil de l’ordre ayant décidé le 10 septembre d’appeler à la grève pour cette journée nationale de mobilisation des robes noires.
Les raisons de cette bronca sans précédent ? Les avocats, comme d’autres professions libérales, défendent bec et ongles leur régime de retraite, visé par la réforme en cours. Dans leur ligne de mire, le rapport Delevoye prévoyant de fondre l’ensemble des régimes autonomes dans le régime général.
Une drôle de grève ou, après l’adoption d’une motion lue devant les tribunaux, les avocats grévistes ont systématiquement demandé des renvois d’audience à l’appel de leurs affaires respectives. Les magistrats ont globalement joué le jeu, acceptant les renvois à certaines exceptions près. Dans le même temps, une forte délégation grenobloise est allée grossir les rangs de la manifestation nationale se déroulant à Paris.
Non déficitaire, le régime de retraite des avocats n’apporte aucun privilège
« On dit souvent que les avocats sont des nantis, or ils ne le sont pas s’agissant des retraites », explique David Roguet, bâtonnier de l’ordre des avocats de Grenoble. Ce dernier ne conteste pas l’utilité d’un débat sur l’équilibre du régime général des retraites, « plombé par les régimes spéciaux ». Pour autant, affirme-t-il, « le régime des avocats n’est pas un régime spécial ! »
Le bâtonnier veut lever toute confusion. « C’est un régime qui est autonome. Il ne nous apporte aucun privilège particulier. Un avocat ne cotise pas moins ni moins longtemps que les autres pour des pensions équivalentes », martèle-t-il.
De surcroît, précise David Roguet, « c’est un régime qui n’est pas déficitaire. Des générations d’avocats l’ont parfaitement géré. Ce qui permet d’assurer une solidarité avec les plus modestes d’entre eux ».
De fait, 30 % des avocats disposent de revenus inférieurs à 2 000 euros. Ce sont souvent ceux qui travaillent à l’aide juridictionnelle, aux permanences ou pour les commissions d’office. « Il faut les préserver, ces gens-là, et leur permettre d’avoir une retraite décente ! », s’exclame David Roguet.
« Avec la fusion envisagée, les cotisations passeront de 14 à 28 % »
Au titre de la solidarité, externe celle-là, le bâtonnier évoque les quelque 98 millions d’euros reversés par leur régime autonome au régime général, chaque année. « Contrairement au régime spécial qui est sous perfusion du régime général, nous ne devons rien à l’État. Nous reversons à l’État », tient-il à préciser.
« Le revenu médian des avocats se situe aux environs de 43 000 euros. Avec la fusion envisagée, ils passeront de 14 % à 28 % de cotisations, soit le double ! », enchaîne David Roguet. En revanche, un tiers de la profession a des revenus se situant autour de 24 000 euros. « Ce sont eux qui vont prendre de plein fouet cette augmentation des cotisations ! », s’insurge le bâtonnier.
Et quand bien même il n’y aurait qu’une augmentation des cotisations, il faut aussi prendre en compte une baisse mécanique du montant des pensions. « Certains disent que nous allons répercuter cette augmentation sur nos clients. Or ce n’est pas vrai pour les plus modestes d’entre nous, notamment ceux qui travaillent à l’aide juridictionnelle », poursuit David Roguet. Et pour cause, explique-t-il, « payés par l’État, ils se trouvent dans l’impossibilité de reporter ces charges ».
Une baisse de près de 80 % du montant minimum des pensions
« Aujourd’hui, nous nous opposons frontalement à cette réforme-là. Il se peut qu’avec le temps nous puissions parvenir à négocier les conditions de notre régime autonome », explique David Roguet. « J’aimerais que l’on discute du fléchage de nos fonds propres qui permettent de payer les retraites futures. Et peut-être, aussi, de rediscuter les grilles de cotisations et de pensions », espère-t-il.
À cet effet, les robes noires ont noué des contacts avec les parlementaires isérois afin de leur faire entendre les arguments de la profession. Tout autant qu’ils comptent le faire avec des représentants d’autres professions libérales, elles aussi concernées par la réforme.
Quant aux montants des pensions, c’est une préoccupation majeure.
« Le minimum actuel est de 1 400 euros mensuels. Selon les prévisions, on passerait à un peu plus de 1 000 euros », estime David Roguet. Avec cette révision du régime général, « il y aura forcément des effets de bord », augure l’avocat. Qui prédit que « les professions libérales dans leur ensemble feront partie des grands perdants de cette réforme ».
Joël Kermabon