EN BREF – Des chercheurs grenoblois de l’ESRF, du CEA-Liten et de l’Université Grenoble Alpes ont contribué à déterminer le degré de toxicité des nanofils d’argent sur les cellules de la peau en fonction de leurs diamètres. De quoi ouvrir à ces nanomatériaux de larges perspectives applicatives, notamment pour la fabrication d’écrans tactiles flexibles pour smartphone.
Les technologies permettant de doter les smartphones d’écrans tactiles flexibles, plus résistants aux chocs que les classiques écrans rigides, se multiplient. À la fois conducteurs flexibles et transparents, les nanofils d’argent sont d’excellents candidats pour le développement de tels écrans.
Mais, principe de précaution oblige, encore faut-il au préalable déterminer leur toxicité sur les cellules de la peau en contact direct avec ces nanomatériaux.
C’est ce que vient réaliser une équipe franco-américaine* dont font partie des scientifiques grenoblois du Synchrotron européen de Grenoble (ESRF), du Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (CEA-Liten) ainsi que de l’Université Grenoble Alpes (UGA).
L’étude qui démontre l’importance du diamètre des nanofils dans leur toxicité sur les cellules de la peau a été publiée le 8 juillet dernier dans la revue PNAS (pour « Proceedings of the National Academy of Sciences »).
« L’interaction des nanofils d’argent avec les cellules de la peau peut entraîner leur mort »
« L’interaction des nanofils d’argent avec les cellules de la peau peut entraîner un dysfonctionnement cellulaire, une inflammation et éventuellement la mort des cellules », rappelle le géochimiste Laurent Charlet, chercheur à l’Institut des sciences de la Terre (ISTerre) et codirecteur de l’étude avec Benjamin Gilbert, chercheur au Laboratoire national Lawrence-Berkeley (LBNL).
Face à ce danger, « nous voulions savoir si les nanofils d’argent pourraient être conçus de manière à minimiser leur toxicité cellulaire, tout en conservant leurs propriétés techniques », explique ce dernier.
Ainsi, l’équipe pluridisciplinaire a‑t-elle cherché à comprendre le processus à l’origine de la toxicité sur les cellules de la peau des nanofils conservant la conductivité électrique et la transparence optique. Mais aussi à déterminer la principale caractéristique impliquée dans cette toxicité : la quantité de nanofils, leur dimension (diamètre et longueur) ou leur biopersistance ?
Pour ce faire, l’équipe a associé des études de toxicologie et d’écotoxicologie à des techniques synchrotron sur les deux lignes de faisceau ID16A et ID21 de l’ESRF.
Les techniques synchrotron permettent de visualiser l’interaction entre les nanofils et la cellule
« En utilisant une imagerie à rayons X cohérente, nous pouvons voir directement comment les nanofils interagissent avec la cellule », se réjouit Peter Cloetens, l’un des six scientifiques de l’ESRF ayant participé à l’étude.
Les chercheurs ont plus précisément utilisé trois techniques synchrotron. La première est la nano-tomographie de cellules congelées qui, selon l’expert du synchrotron, « fournit des instantanés 3D montrant l’emplacement et la forme de chaque nanofil ».
Les deux autres sont la fluorescence X et la spectroscopie. « [Elles] complètent le tableau chimique afin de déterminer si les nanofils d’argent s’associent à d’autres éléments et dans quelle mesure l’argent se répand à l’intérieur de la cellule », ajoute-t-il.
L’équipe s’est plus précisément focalisée sur l’étude de deux nanofils d’argent synthétisés au CEA-Liten. L’un, de 90 nm de diamètre et l’autre, beaucoup plus fin, de 30 nm.
Les nanofils épais perforent les membranes de la cellule
Résultats ? Quel que soit leur diamètre, la cellule incorpore facilement les nanofils par endocytose [au sein de vésicules, ndlr]. En revanche, leur incidence sur la cellule est différent suivant leur diamètre.
En effet, les nanofils épais sont capables de perforer la membrane de la vésicule, libérant ainsi les ions d’argent (Ag+) et le contenu de cette dernière dans le milieu intérieur de la cellule. « Cela initie le stress oxydatif et la mort cellulaire », précisent les chercheurs. A contrario, la membrane de la vésicule peut froisser les nanofils les plus minces, beaucoup moins rigides à la flexion.
Ces derniers restent alors confinés dans les vésicules, ce qui les rend pour la plupart inoffensifs.
Les nanofils plus fins vont permettre la fabrication de produits plus sûrs
Ayant vérifié que les nanofils de 30 nm de diamètre préservent les paramètres de performance critiques des réseaux transparents conducteurs, à savoir la conductivité électrique et la transparence optique, les chercheurs peuvent d’autant plus facilement affirmer que « cette découverte permettra à terme la fabrication de produits plus sûrs, incorporant des nanofils d’argent plus fins ».
Mieux, « ces recherches ouvrent la voie à de multiples applications des nanofils d’argent, au-delà des écrans tactiles », se félicitent-ils. Ainsi, l’utilisation des nanofils d’argent fins est déjà envisagée pour d’autres applications telles que les adhésifs ou les revêtements à haute résistance (cf. aussi en encadré).
VM
* Ont également contribué à cette étude le Laboratoire national Lawrence-Berkeley (LBNL) ainsi que les universités de Lille et de Floride. L’étude a été financée par Labex Serenade, le projet ERA-NET SIINN (pour « Safe implementation of innovative nanoscience and nanotechnology ») et la Commission américaine de la sécurité des produits de consommation.
Des domaines d’application variés
Les nanofils d’argent sont aussi pressentis dans le champ médical en tant que porteurs potentiels pour l’administration de médicaments ou dans la fabrication de dispositifs médicaux biocompatibles et résorbables. De même que dans les étiquettes électroniques utilisables comme antennes RFID au sein des emballages ou dans les papiers incorporant des Led, des capteurs ou des transistors.