EN BREF – Dans un référé adressé aux ministres de l’Écologie et des Transports, le premier président de la Cour des comptes pointe du doigt les cadeaux faits par l’État aux sociétés autoroutières concessionnaires. Dont Area, à qui ont été confiés les travaux d’élargissement de l’A480 dans la traversée de Grenoble. D’après les hauts magistrats, grâce au seul plan de relance autoroutier signé en 2015, les sociétés autoroutières toucheront près de cinq fois plus qu’elles ont investi.
En multipliant les plans de relance et d’investissement, l’État a‑t-il fait un cadeau aux sociétés autoroutières ? La Cour des comptes a mis son nez dans les accords conclus à trois reprises*, ces dix dernières années, entre le gouvernement et les concessionnaires autoroutiers.
Dans un référé adressé au ministre de l’Écologie et à la ministre des Transports, le constat de son premier président est sans appel.
« L’État a accepté à la demande des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA), qu’elles réalisent, moyennant compensation, des travaux qui n’étaient pas explicitement prévus dans la convention de concession. Que le financement soit assuré par l’usager actuel ou futur, ces plans d’investissement sont l’objet de négociations difficiles, dans lesquelles les pouvoirs publics sont souvent apparus en position de faiblesse », souligne Didier Migaud dans son référé.
15 milliards d’euros de recettes supplémentaires grâce au plan de relance de 2015
De fait, les sociétés autoroutières engrangeront près de cinq fois plus que ce qu’elles ont investi, rien qu’avec l’accord signé en 2015 sous François Hollande et son ministre de l’Économie Emmanuel Macron. « On peut ainsi mettre en regard les 3,2 milliards d’euros du PRA [plan de relance autoroutier de 2015, ndlr] avec la quinzaine de milliards d’euros de recettes supplémentaires que rapportera aux sociétés concessionnaires d’autoroute l’allongement de leurs concessions », note la Cour des comptes.
Les bénéficiaires ? ASF, Cofiroute, Sanef mais aussi APRR et sa filiale Area, à qui a été confiée l’exploitation de l’A480 et qui est chargée des travaux d’élargissement dans la traversée de Grenoble.
Si Area a accepté de payer plus de 300 millions d’euros pour faire passer le nombre de voies de deux à trois sur une petite dizaine de kilomètres, c’est qu’elle a obtenu des contreparties. Notamment l’allongement de la durée des concessions jusqu’en 2036 (soit un gain de deux ans) et une hausse des tarifs des péages jusqu’en 2023.
Après une hausse de 0,81 % en 2016 et de 0,21 % en 2017, le tarif des péages a ainsi à nouveau augmenté de 0,76 % le 1er février 2018. Et, de 2019 à 2023, la hausse sera encore de 0,26 % par an, en compensation du gel des tarifs décrété en 2015 par Ségolène Royal.
Hausse des tarifs et… majorations en vue
À cela s’ajoute en outre un petit bonus, détaille l’avenant de concession. « Une majoration des tarifs, valorisée à 8,8 millions d’euros hors taxe (valeur juillet 2012), sera appliquée à l’ensemble des véhicules entrant ou sortant aux barrières pleine voie de Voreppe et du Crozet, à l’occasion de la hausse annuelle des tarifs suivant la reprise en exploitation par la société concessionnaire de l’autoroute A480 ». Une autre majoration, valorisée elle à 2,2 millions d’euros, suivra une fois l’élargissement terminé, précise encore l’avenant.
Difficile d’y voir très clair, sauf à remarquer que la fin de la hausse des tarifs n’est pas pour demain. Et la Cour des comptes se montre particulièrement sceptique quant au montage opéré entre l’État, propriétaire des autoroutes, et le privé.
« La succession rapide et régulière de plans financés par cette formule [l’allongement de la durée des concessions, ndlr], dont les sociétés concessionnaires semblent particulièrement désireuses, comporte l’inconvénient de repousser sans cesse, par des allongements à répétition, la remise en concurrence des concessions », souligne-t-elle.
« En outre, reporter le financement de travaux à une échéance lointaine, en le faisant supporter par l’usager futur, est une solution de facilité qui entraîne un renchérissement correspondant au long différé de remboursement et à l’augmentation des risques qu’il implique. »
Les hauts magistrats recommandent ainsi de limiter les plans de relance à des travaux répondant à des critères précis de nécessité et d’utilité. Et réclament que le calcul des compensations soit contrôlé par un organisme spécialisé et indépendant. De même, la Cour des comptes demande à l’État d’instaurer un dispositif de baisse des tarifs des péages ou de la durée des concessions si les rentes des sociétés autoroutières dépassent les prévisions des accords.
Patricia Cerinsek