FOCUS – La direction d’Ulisse, groupement économique solidaire grenoblois, participait à une conférence portant sur la précarité énergétique, le 12 mars dernier, dans le cadre de la Biennale des Villes en transition. Un moment choisi par un ex-salarié et l’union syndicale précaires solidaires pour faire une action choc accusant Ulisse de ne pas respecter le droit du travail. Accusation contre laquelle la direction s’inscrit en faux.
Conférence-débat à La Plateforme, place de Verdun, le 12 mars 2019. © Charles Thiebaud ‑placegrenet.fr
« Heureux qui comme Ulisse ne respecte pas le droit du travail ! » pouvait-on lire sur la banderole, déployée le 12 mars devant l’ancien musée de peinture, au moment où s’achevait la conférence « Comment lutter efficacement contre la précarité énergétique ».
Une conférence à laquelle participait Jean-Jérôme Calvier, directeur général adjoint d’Ulisse, groupement économique solidaire grenoblois (cf. encadré), dans le cadre de la Biennale des Villes en transition.
Rendez-vous surprise
Michael Adam, ex-salarié d’Ulisse Énergie soutenu par des militants de l’union syndicale précaires Solidaires, qui patientaient jusque-là dans la salle, venaient de passer à l’action avec ce « rendez-vous surprise ».
L’un après l’autre, ils ont alors posé publiquement des questions accusatoires : comment une entreprise « au service de l’emploi et du déploiement d’activités économiques » peut-elle délaisser ses propres salariés ? « Comment, M. Calvier, est-il possible que des personnes censées accompagner, être des conseillers en énergie, puissent se retrouver elles-mêmes en situation de précarité ? »
Michael Adam a, pour sa part, dénoncé un « grand écart entre les valeurs affichées et la situation en interne » de l’entreprise. Une semaine avant la fin de son contrat, l’ex-salarié avait exercé son droit de retrait le 21 février dernier, durant sept jours, le « lendemain du malaise d’un collègue ».
Un ex-salarié interpelle le directeur adjoint d’Ulisse Energie. © Charles Thiebaud ‑placegrenet.fr
Opéré cardiaque, Michael Adam explique qu’il s’inquiétait pour sa santé. Il souhaite « dénoncer une situation extrêmement compliquée, avec des tensions générées par une coordination du travail dysfonctionnelle ». Un contexte difficile qui ne serait pas récent, selon lui.
Les salariés seraient dans une « situation moralement et psychiquement difficile ». Et iraient au travail « avec la peur au ventre ». « Il y a une grande difficulté en matière de droit du travail. L’encadrement est arbitraire », dénonce l’ex-salarié. Il soupçonne par ailleurs Jean-Jérôme Calvier de vouloir le présenter comme un cas isolé, « un travailleur mécontent », suite à la non-reconduction de son contrat, alors que cette démarche serait collective.
« Il n’y a absolument pas de précarisation des salariés »
Bien que surpris, Jean-Jérôme Calvier a gardé son calme face à ces accusations publiques et a répondu sur-le-champ aux reproches, en quelques mots . « Il y a beaucoup de confusion en ce moment. Il n’y a absolument pas de précarisation des salariés », a‑t-il notamment assuré.
Les partenaires tels que GEG, mais aussi la Métro et le CCAS de Grenoble, présents à cette conférence, ont par ailleurs pris la parole pour rappeler les missions de l’insertion en général, et soutenir Ulisse et le bilan de Soleni en particulier, dans le cadre de la lutte contre la précarité énergétique.
L’ex-salarié et une syndicaliste font part du tract au directeur adjoint d’Ulisse © Charles Thiebaud ‑placegrenet.fr
À la fin de la séance, Michael Adam et Alizée Coastets-Girardot, de l’union syndicale ont remis au directeur adjoint un tract reprenant leurs griefs : « Nos contrats de travail ne sont pas respectés », « notre santé s’est dégradée », « nous touchons des salaires de misère », « nos conditions de travail sont déplorables » et « nous n’avons aucune perspective professionnelle ». « Le titre [« Heureux qui comme Ulisse ne respecte pas le droit du travail ! », ndlr] est diffamatoire », leur a‑t-il rétorqué.
« Certains salariés n’acceptaient plus les consignes de l’encadrement »
Sans surprise, le récit du directeur adjoint, contacté après coup, est diamétralement opposé. Ce dernier tient d’abord à rappeler le rôle et la fonction d’Ulisse Énergie, association à but non lucratif, « une toute petite structure ». Créée en 2014, elle porte le dispositif Soleni, « service d’accompagnement à la maîtrise de l’énergie pour des ménages en précarité ».
L’association propose des CDD pour une durée entre six et vingt-quatre mois. L’objectif ? « Recruter, former et accompagner vers l’emploi des personnes qui, au départ, en sont éloignées. » Un projet social auquel il tient, tout comme le conseil d’administration.
Jean-Jérôme Calvier tient à rappeler que la situation a été compliquée. En 2018, Ulisse Énergie aurait perdu beaucoup d’argent, même si le résultat exact 2018 n’est pas encore connu. « On n’a pas eu assez d’activité », déplore-t-il. Pourquoi ? Essentiellement par manque de repérage de ménages de la part des travailleurs sociaux.
Quant à l’encadrement qui serait arbitraire, le directeur adjoint le réfute. « L’encadrement technique est évidemment bienveillant, c’est tout l’intérêt de nos structures. » Et, d’autre part, des encadrants auraient été mis en difficulté par des personnes en insertion. Victimes de pressions, voire de propos diffamatoires, des encadrants s’en seraient confiés à la direction et aux délégués du personnel.
« Les devoirs des salariés étaient complètement mis de côté »
Concernant l’organisation du travail ? « Les devoirs des salariés étaient complètement mis de côté […] Certains n’acceptaient absolument plus les consignes de l’encadrement ». Suite à plusieurs départs, Ulisse Énergie manque aujourd’hui de personnel. « On est en train de recruter de nouvelles personnes pour réaliser le travail d’accompagnement sur la maîtrise de l’énergie », précise le directeur général adjoint.
« Ce métier, au service des ménages pas forcément disponibles sur les horaires de bureau traditionnels, demande de la souplesse », reconnaît-il. Par contre, « les heures supplémentaires sont récupérées, y compris les temps de trajets », précise-t-il. Et en contrepartie, les salariés bénéficient d’aménagements pour construire leur projet professionnel (rendez-vous administratifs, formation, entretiens…).
Quant à la représentativité de l’action lancée par l’ex-salarié, le directeur adjoint en doute fort. « M. Adam se fait le porte-parole de cinq personnes. En interne, certaines ne se sentent pas du tout concernées par ces propos, ni solidaires. Depuis 2014, on a eu 25 salariés. Or l’association n’a jamais eu ce genre de remarques. La façon de travailler n’a pourtant pas du tout changé. »
Huit personnes sur dix ont trouvé des solutions en sortant d’Ulisse
En ce qui concerne la situation salariale, les salaires se situent au smic horaire, avec des temps de travail s’échelonnant entre 26 et 35 heures par semaine. « C’est la réalité économique et le modèle du secteur d’insertion par l’activité économique (IAE) conventionné par l’État, assure Jean-Jérôme Calvier. Par ailleurs, on ne peut pas augmenter les salaires puisque, derrière, on ne peut pas augmenter le prix de vente de la prestation. »
Pour ce qui est des perspectives professionnelles, « on ne peut pas dire que l’accompagnement soit insuffisant ou inexistant puisque huit personnes sur dix ont trouvé des solutions » en sortant d’Ulisse.
« Nous sommes vraiment déçus et désagréablement surpris de cette interpellation publique. Car, pour tous les points du tract, nous avons déjà apporté des réponses formelles au sein des instances dédiées. »
Jean-Jérôme Calvier conclut sur l’ex-salarié, qui a bénéficié de plusieurs formations en habilitation électrique et en maîtrise de l’énergie, tout au long de son parcours. « Il est passé à un poste de conseiller parce qu’il montrait des compétences relationnelles intéressantes pour ce métier. Malheureusement, il n’a pas eu une sortie dynamique. Mais on lui souhaite bien évidemment de trouver un emploi stable. »
Charles Thiebaud
« Ulisse, solidaires pour l’emploi »
Ulisse, groupement économique solidaire grenoblois qui compte près de cinquante salariés, comprend cinq structures d’insertion par l’activité économique :
Ulisse Solidura
Ulisse Grenoble Solidarité
Ulisse Services
Ulisse Intérim
Ulisse Energie