REPORTAGE – La Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) a ouvert les portes de ses établissements un peu partout en France le 18 octobre dernier. L’occasion de découvrir le travail éducatif et les missions d’insertion menés par les équipes de la PJJ, ainsi que les différentes structures dépendant de la direction territoriale iséroise. À Grenoble, les visiteurs étaient reçus à l’Unité éducative d’activités de jour (UEAJ), qui accueille 24 jeunes âgés de 15 à 18 ans, sous mandat judiciaire pour les trois quarts d’entre eux et en décrochage scolaire pour le quart restant. Objectif : les guider vers l’insertion sociale et professionnelle, tout en évitant la récidive.
Elle fait partie de ces administrations dont l’acronyme, PJJ, est bien plus connu du grand public que la nature réelle de ses missions et l’ensemble des dispositifs et structures qu’elle chapeaute. La journée portes ouvertes organisée, comme chaque année, par la Protection judiciaire de la jeunesse, ce jeudi 18 octobre, constituait donc une opportunité exceptionnelle pour mettre en lumière le travail méconnu de cette direction du ministère de la Justice.
Pour les professionnels de la PJJ, c’était aussi l’occasion de battre en brèche les clichés accolés à la justice des mineurs. Une notion qui n’a souvent pas bonne presse, généralement associée aux concepts menaçants de « délinquance juvénile » ou « futurs criminels », voire « jeunes sauvageons » pour plagier les mots de deux anciens ministres de l’Intérieur.
Des moyens mis en commun pour créer une plateforme d’insertion
L’objectif du suivi en milieu ouvert est double : remettre ces jeunes sur la voie d’une insertion sociale et professionnelle durable et éviter toute récidive potentielle.
Une mission dévolue aux Services territoriaux éducatifs de milieu ouvert d’insertion (STEMOI), constituées de plusieurs unités : les Unités éducatives de milieu ouvert (UEMO), qui mettent en œuvre les prescriptions du juge des enfants. Et les Unités éducatives d’activités de jour (UEAJ), qui organisent des activités scolaires, professionnelles, culturelles et sportives adaptées aux mineurs accompagnés.
Le STEMOI de Grenoble regroupe ainsi les deux UEMO de Grenoble et Échirolles et l’UEAJ de Grenoble, qui ont toutes trois mis en commun leurs ressources – dont leurs équipes – pour créer une plateforme d’insertion. Un dispositif transversal qui colle parfaitement au thème choisi pour les portes ouvertes 2018 de la PJJ. « On fait un focus sur l’insertion, cette année, d’où la journée portes ouvertes sur ce type d’établissement », confirme Françoise Dewamin, directrice territoriale de la PJJ Isère, en référence à l’accueil des visiteurs effectué à l’UEAJ de Grenoble.
Si, d’après elle, « environ 1 500 jeunes sont suivis à l’année par l’ensemble des dispositifs de la PJJ Isère, dont 700 sur Grenoble en moyenne », l’UEAJ ne dispose en revanche que de vingt-quatre places, comme le précise la responsable d’unité éducative Delphine Noiret : « Dix-huit places sont dédiées à des mineurs sous mandat judiciaire (en conflit avec la loi) et six à des jeunes hors mandat judiciaire, souvent en décrochage scolaire et orientés par les collèges, le service social à l’enfance, les missions locales ou des associations. »
« Du jeune ayant commis un simple vol jusqu’à celui qui sort d’incarcération »
« Selon la convention passée avec l’Éducation nationale, ce sont des jeunes à la limite de l’exclusion scolaire », souligne Françoise Dewamin. Âgés également de 15 à 18 ans, les dix-huit mineurs sous-main de justice, « avec des mesures de suivi au pénal », présentent des profils encore plus hétérogènes, poursuit la directrice territoriale : « Ça peut aller du jeune ayant commis un simple vol jusqu’à celui qui sort d’incarcération. Et on reçoit aussi de plus en plus de mineurs [étrangers] non accompagnés. »
La procédure d’admission se fait en plusieurs temps. À l’origine, explique Françoise Dewamin, « c’est l’éducateur qui fait une évaluation des besoins du jeune et propose de l’accueillir dans le cadre de l’UEAJ. Tous les mois, une commission décide, en fonction de certains critères, d’intégrer tel ou tel jeune au dispositif. »
Les admissions se font ainsi tout au long de l’année, pour une durée très variable : « Cela dépend du parcours du jeune. Mais le timing est en général assez court, afin d’autoriser un retour vers l’Éducation nationale : de un à six mois en moyenne. » Si les précieux sésames restent limités à vingt-quatre, ce turn-over régulier permet à la structure d’accueillir près d’une centaine de mineurs par an, même si la directrice admet « recevoir plus de demandes qu’il n’y a de places ».
Le but reste d’effectuer un suivi individualisé et adapté
Pour les jeunes admis au sein de l’unité éducative, la liste des ateliers et activités proposés par la plateforme d’insertion est aussi longue que variée : atelier cuisine et pâtisserie, culture et savoirs de base (français, mathématiques, histoire-géo…), méca-vélo, bâti-métal (carrelage, peinture, électricité), robotique, sports, arts plastiques…
Sans oublier le restaurant d’application La Petite Fourchette, les chantiers éducatifs durant les vacances scolaires, les activités liées au pôle santé bien-être (rencontre avec le psychologue de l’UEAJ, accompagnement au planning familial ou sensibilisation aux conduites à risques) ou encore divers projets comme la réalisation d’un journal ou les sorties culturelles.
Les ateliers se déroulent le plus souvent par « petits groupes de trois ou quatre, formés par rapport au niveau d’apprentissage des jeunes, et durent entre une heure et une heure et demie. Jamais plus car ils ne tiennent pas plus longtemps », précise Delphine Noiret. Si au départ, ceux-ci font presque tous « le tour des ateliers », le but reste d’effectuer un suivi individualisé et adapté. Le choix se fait donc « en fonction du désir du jeune et de là où il en est, indique la responsable de l’UEAJ. On va l’orienter principalement vers les ateliers qui l’attirent. »
Les équipes de la PJJ ne perdent en effet pas de vue l’objectif initial : viser une progression dans le parcours d’insertion sociale et professionnelle du jeune et, pourquoi pas, éveiller une vocation ou au moins lui offrir un débouché concret à sa sortie du dispositif : stage, apprentissage, emploi ou acquisition de titres professionnels.
L’ex-décrocheuse scolaire s’est « découvert des compétences et goûts » insoupçonnés
Un pari ambitieux mais qui semble en passe d’être gagné pour Léna. Scolarisée auparavant dans un établissement de l’agglomération, la jeune fille de 17 ans a intégré l’UEAJ, il y a quatre mois, car elle « n’y arrivait pas en cours ».
Aujourd’hui pourtant, Léna rayonne, présentant fièrement l’atelier robotique et ses propres réalisations aux visiteurs de la journée portes ouvertes : « J’ai fabriqué ce robot en quatre séances d’une heure et demie et après je l’ai programmé sur l’ordinateur avec ses différentes fonctions : son, visuel, capteur, pinces. »
Et celle-ci d’ajouter : « J’aime bien toutes les choses manuelles : dessiner, faire des trucs en papier… Mais je n’avais jamais fait de robotique et j’ai quand même réussi tout de suite ! » Le plus frappant chez Léna reste néanmoins sa métamorphose globale depuis son arrivée au 38, chemin de la Poterne.
En quatre petits mois, l’ex-décrocheuse scolaire, en rupture de ban avec l’Éducation nationale, s’est ainsi « découvert des compétences et des goûts » insoupçonnés. « Même si je préfère la cuisine, la robotique et les savoirs de base, je trouve tous les ateliers utiles et j’aime presque tout », s’étonne-t-elle encore.
L’un des plus beaux symboles de réussite de l’UEAJ en matière d’insertion
Quid alors de son avenir à court terme ? Lorgnant vers son futur projet – un robot Lego ou un scorpion, elle ne sait pas encore –, Léna anticipe : « La robotique, ça me plaît et des fois, je me dis que je pourrais peut-être en faire un métier. » Mais son dada à elle, c’est « la cuisine, sans hésitation ! J’aimerais vraiment bosser là-dedans. »
La cuisine, justement, constitue sans doute l’un des plus beaux symboles de réussite de l’UEAJ en matière d’insertion. Chaque semaine, le professeur de cuisine Dominique Renart tente d’initier les jeunes à l’art culinaire durant ses ateliers : « On élabore les menus ensemble. Au départ, on fait des choses simples, puis on essaye de monter en puissance. »
Pour lui, l’un des éléments les plus compliqués à appréhender au début, c’est le niveau très disparate de ses élèves, « entre des jeunes qui ne savent pas casser un œuf et d’autres qui ont déjà quelques connaissances ». Mais davantage encore que les ateliers, c’est le restaurant d’application La Petite Fourchette qui peut se poser en étendard de l’établissement.
Ouvert tous les jeudis midis sur réservation (de huit à dix-huit couverts), celui-ci propose un menu fixe, changeant toutes les deux semaines, pour un prix fixe.
« La première fois, on travaille avec les jeunes sur le menu, on l’élabore ensemble ou on change des petits détails, et on imagine ensuite un nouveau menu pour les deux fois suivantes », explique Dominique Renart. Aucune obligation pour les cuistots en herbe : « Un jeune peut très bien faire une fois le resto et ne jamais revenir, tandis que d’autres vont alterner cuisine et service. »
« On voit souvent des jeunes qui se découvrent une vocation avec la cuisine »
Parmi ces derniers, d’aucuns imiteront peut-être leurs prédécesseurs, savoure le chef à l’avance : « On voit souvent des jeunes qui se découvrent une vocation avec la cuisine. » À leur sortie de l’UEAJ, certains d’entre eux s’orientent ainsi vers l’Enilv (École nationale des industries du lait et des viandes) au Pont-de-Claix. Une « petite école formant notamment aux métiers du fromage » et « bien adaptée à leur profil », selon Dominique Renart, qui estime que « pour des jeunes en rupture scolaire, intégrer une grosse structure comme l’IMT, ça ne fonctionne pas ».
Le professeur a en tout cas sa petite idée sur l’attrait exercé par les métiers de la restauration sur une large partie de ses élèves : « Dans une cuisine ou un restaurant, on a les produits devant nous et on voit les résultats immédiatement, contrairement à beaucoup d’autres activités. C’est ce côté concret qui plaît à beaucoup de jeunes. »
Majoritairement tournée vers son travail d’éducation et d’insertion envers les mineurs délinquants ou déscolarisés, la PJJ exporte cependant parfois ses missions hors les murs, visant un public de la même tranche d’âge. Preuve en est l’exposition itinérante présentée au premier étage du bâtiment, à l’occasion de la journée portes ouvertes.
C’est dans les collèges de quartiers sensibles que l’expo obtient les meilleurs retours
Tournant depuis des années dans les collèges isérois mais récemment réactualisée, cette exposition est « destinée à sensibiliser les élèves de 4e et 3e sur la justice des mineurs et leurs droits et devoirs », précise Céline Meallet, éducatrice à l’UEMO, rappelant que « cela fait partie des missions de prévention de la PJJ ». L’exposition reste une semaine dans chaque collège où elle est animée par les éducateurs, en collaboration avec un représentant de l’association d’aide aux victimes.
« C’est assez interactif », affirme Céline Meallet, qui met en avant les échanges avec les collégiens : « On travaille sur la responsabilité pénale et civile, leurs droits et devoirs, ce qu’ils en connaissent. Pour cela, on leur donne des exemples : si on vole un scooter ou on rentre dans une vitrine, que se passe-t-il ? »
Selon l’éducatrice, c’est dans les collèges de quartiers sensibles que l’exposition obtiendrait les meilleurs retours de la part des jeunes, tordant ainsi le coup à bon nombre d’idées reçues : « Plus on va dans des zones où il se passe beaucoup événements, plus ils sont actifs et réceptifs. Ils se confrontent en effet à ce qu’ils voient au quotidien. »
« Des jeunes qui n’adhèrent pas du tout et refusent toute prise en charge institutionnelle »
Dans l’ensemble, juge-t-elle, les collégiens « ont de réelles connaissances. Leur principale méconnaissance, c’est ce qu’ils risquent pour une infraction. Beaucoup pensent que ce sont les parents qui sont sanctionnés dans ce cas. » D’après elle, le bilan est quoiqu’il en soit très positif : « L’expo les remet bien au centre en tant que citoyens. »
À lire les louanges tressées de toutes parts envers la PJJ, des jeunes aux éducateurs, en passant par les professeurs et responsables d’unité, difficile de déceler une faille ou un défaut dans le discours bien huilé exposé lors de cette journée portes ouvertes. Les éventuels moutons noirs et rebelles réfractaires au système auraient-ils été priés d’aller voir ailleurs ce 18 octobre ?
Françoise Dewamin le concède finalement, il y a « parfois des difficultés : des jeunes qui n’adhèrent pas du tout, qui refusent toute prise en charge institutionnelle. » Mais si les mineurs sont reçus avec leurs parents lors de l’entretien d’accueil, « l’accord de la famille ou du jeune n’est pas rédhibitoire, souligne la directrice territoriale. On l’accueillera malgré tout. »
Car hormis les résultats tangibles en terme d’éducation et d’insertion, la PJJ joue également un autre rôle, moins visible mais sûrement tout aussi important : « remonter l’estime de soi et redonner confiance au jeune. »
Manuel Pavard
LA PJJ, KEZAKO ?
Ayant succédé, en 1990, à la direction de l’éducation surveillée, elle a pour cœur de mission l’action éducative dans le cadre pénal et applique les dispositions de l’Ordonnance du 2 février 1945, le texte de référence sur les mineurs délinquants. La PJJ est chargée, selon un décret du 9 juillet 2008, de « l’ensemble des questions intéressant la justice des mineurs et de la concertation entre les institutions intervenant à ce titre ».
Au niveau local, la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) assume ainsi plusieurs missions complémentaires, comme le précisent ses documents officiels : apporter aux magistrats une aide pour les mineurs délinquants comme pour les mineurs en danger, notamment par des mesures d’investigation permettant d’évaluer leur situation ; mettre en œuvre les décisions des tribunaux pour enfants dans des établissements et services de placement et de milieu ouvert du secteur public ou du secteur associatif habilité ; assurer le suivi éducatif des jeunes détenus en quartiers pour mineurs ; contrôler et évaluer l’ensemble des structures suivant des mineurs sous mandat judiciaire.
La moitié des jeunes suivis par la PJJ le sont en milieu ouvert
Afin d’adapter la prise en charge aux profils très divers de ces jeunes, la PJJ possède un large éventail de solutions offertes par ses différentes structures éducatives.
Selon les chiffres des mesures ordonnées en 2017 par l’autorité judiciaire, près de la moitié des jeunes suivis par la PJJ le sont en milieu ouvert (49 % en Isère, 53 % au niveau national), accompagnés par un éducateur référent intervenant dans leur lieu de vie habituel – le reste se répartissant entre mesures d’investigation et, à un degré moindre, de placement (foyers, centres éducatifs fermés, centres éducatifs renforcés, familles d’accueil, etc).