TROIS QUESTIONS À – C’est parti pour la 30e édition des Rencontres du jeune théâtre européen organisées à Grenoble par le Centre de création de recherche et des cultures (Créarc) du 29 juin au 8 juillet. Cette nouvelle édition accueille 180 jeunes artistes appartenant à quinze compagnies en provenance de onze pays européens. L’occasion d’évoquer avec Fernand Garnier, directeur du Créarc, quelques-unes des spécificités qui font de ces rencontres « une école de citoyenneté, de tolérance et de respect ».
Depuis vendredi 29 juin, une agitation particulière règne aux abords du Centre de création de recherche et des cultures (Créarc), rue Pierre Duclot à Grenoble.
De petits groupes de jeunes, badges autour du cou, convergent à longueur de temps vers le siège des 30e Rencontres du jeune théâtre européen organisées par le Créarc qui se déroulent jusqu’au 8 juillet, à Grenoble.
Un rendez-vous théâtral d’envergure qui, cette année encore, accueille 180 jeunes danseurs, jongleurs, musiciens et acteurs appartenant à quinze compagnies de spectacle vivant en provenance de onze pays européens.
Huit jours d’effervescence théâtrale, d’ateliers et de cafés-débats
Au cours des huit jours que durent les rencontres, ces jeunes troupes de baladins vont présenter – une spécificité du festival – des spectacles joués dans la langue de leurs pays respectifs à l’Espace 600, au Théâtre 145, salle Olivier Messiaen et, c’est une nouveauté, au musée archéologique Grenoble – Saint Laurent.
Mais pas seulement puisque des représentations auront également lieu en plein air. Notamment dans la cour du musée de l’Ancien évêché et dans les rues et places de Grenoble.
Après la grande parade d’ouverture qui s’est déroulée ce samedi 30 juin, investissant pour la toute première fois le quartier Saint Laurent, huit jours de représentations « ouvertes à toutes les esthétiques » proposées chaque jour par les compagnies théâtrales vont suivre.
Deux temps forts sont au programme. Ainsi le 4 juillet, jour anniversaire des rencontres nées avec la chute du mur de Berlin, réunira ses acteurs historiques ainsi que ceux du réseau du jeune théâtre européen.
Point d’orgue du festival ? La parade-spectacle de clôture du samedi 7 juillet « consacrée à une œuvre emblématique du génie humain », le Faust de Goethe, adapté par Romano Garnier, fils de Fernand Garnier, directeur du Créarc. Et puis bien sûr, ateliers internationaux et cafés-débats jalonneront cette semaine d’effervescence théâtrale, d’échanges et de collaborations internationales.
Fernand Garnier : « les rencontres sont un foyer de réflexion et d’action »
Ces rencontres veulent être, plus qu’hier et moins que demain, une école de tolérance, de respect et de citoyenneté. Des notions plus que d’actualité à l’heure où l’Europe est confrontée au problème des réfugiés et migrants et dont certains pays ont encore tout récemment mis la barre à droite, toute.
« Dans un monde qui s’interroge sur les valeurs qui le fondent et les modèles sociaux et politiques de nature à assurer la paix et la prospérité entre les hommes, les Rencontres sont un foyer de réflexion et d’action », se réjouit Fernand Garnier.
Quid des spécificités propres à chaque pays participant, des différentes formes théâtrales présentées lors des rencontres, du théâtre de subversion alors que le populisme gagne l’Europe ? Pour le savoir, nous avons questionné Fernand Garnier qui, outre sa casquette de fondateur et directeur du Créarc, fut également, durant les années 70, le cofondateur avec Renata Scant de la compagnie Théâtre action. Une compagnie bien connue à l’époque pour son engagement populaire et militant.
Place Gre’net : Bien que le théâtre soit un art universel, existe-t-il des spécificités propres aux différents pays représentés dans les Rencontres du jeune théâtre européen ?
Fernand Garnier : Oui. Ce qu’il y a de très intéressant dans ces rencontres, c’est que les troupes viennent de pays qui ont des traditions théâtrales différentes. Prenons le théâtre polonais. C’est un théâtre spécifique marqué par de très grands auteurs, de très grands metteurs en scène comme Tadeusz Kantor, et il en est de même pour le théâtre anglais, très particulier, ou encore italien. Les troupes qui arrivent à Grenoble sont porteuses de ces spécificités et traditions nationales et les proposent aux autres participants. Du coup, il y a une découverte, un échange, et ça, c’est effectivement très intéressant.
Il y a aussi des différences qui tiennent à la direction d’acteurs. La troupe Theaomai theater studio qui vient de Vilnius en Lituanie et joue la pièce Les Carnets du sous-sol de Dostoïevski est une troupe de comédiens formés à la méthode russe, celle du théâtre de Stanislavski, avec un certain style de jeu.
Après, il y a les choix artistiques des metteurs en scène eux-mêmes avec l’expression d’esthétiques différentes les unes des autres. La troupe de Barcelone, le forn de teatre Pa’tothom, qui fait du “théâtre de l’opprimé” crée par le dramaturge Augusto Boal, c’est très spécifique comme théâtre. Cette troupe travaille avec des jeunes issus de l’immigration et aborde des thèmes sociaux, culturels.
Quant à la troupe de Bruxelles, le Collectif 1984, elle pratique le théâtre-action fondé en 1972 par Renata Scant et moi-même. Après, on a du théâtre classique comme celui de la troupe du Teatr Studyjny, avec une exigence de l’acteur très particulière et une sensibilité très polonaise.
En même temps, tous ces jeunes comédiens – ça va de six-sept ans à trente ans – ont en commun la culture internationale et européenne d’aujourd’hui, ils ont un langage commun. Cette conjugaison, cet ensemble, font tout l’intérêt des Rencontres du jeune théâtre européen.
Certains pays européens viennent récemment de changer de couleur politique, virant au “brun” pour certains. Qu’en est-il du théâtre politique, de subversion que vous connaissez bien ? N’est-ce pas un rude coup porté au théâtre et, partant, à la libre expression dans ces pays-là ?
C’est une question complexe. Nous avions par exemple invité, il y a deux ans, une compagnie hongroise de Budapest dont le metteur en scène à décidé d’émigrer en France parce qu’il ne supportait plus l’ambiance que le gouvernement de Viktor Orban a créée en Hongrie. C’est vrai qu’il y a dans les pays d’Europe centrale un problème culturel, artistique qui se pose. Ce qui semble démonter que la question de l’émigration pour des raisons politiques se pose pour un certain nombre d’artistes.
Le metteur en scène roumain Florin Didilescu a abordé dans le spectacle qu’il présente cette année la question de l’émigration des jeunes Roumains.
Il y a une véritable hémorragie. La Roumanie est en train de perdre toute sa jeunesse, avec 4,5 millions de Roumains qui sont partis dans différents pays européens. À un tel point que cela en devient vraiment dramatique. C’est à la fois lié à des problèmes politiques mais aussi à des problèmes d’organisation économique de l’Union européenne.
Ce qui est intéressant dans ces rencontres c’est que, dans les cafés-débats qui suivent les spectacles, on se rend compte que les jeunes comédiens sont dépositaires de mémoire et d’histoire nationale si différentes qu’elles sont sources d’incompréhensions. Entre des Polonais, des Roumains, des Hongrois qui ont fait l’expérience du régime communiste et des Anglais ou des Espagnols, il y a vraiment quelque chose de fondamentalement différent. Le rapport au passé n’est pas le même. À ce niveau-là, les rencontres ont une fonction de découverte réciproque qui peut être extrêmement positive.
L’immigration est un sujet d’actualité brûlant, dramatique et d’ampleur mondiale où l’Europe a sa part. Certaines créations ou pièces présentées dans ces rencontres reflètent-elles cette préoccupation de la part des artistes ambassadeurs de la jeunesse européenne ?
Oui, on va la retrouver dans le spectacle de la troupe roumaine avec certitude. Après, je ne sais pas parce que beaucoup de spectacles sont des créations faites spécialement pour les rencontres. Nous ne les avons pas vues.
Par exemple, l’Antigone de la Mandala theatre company d’Oxford, à travers une réécriture contemporaine de l’œuvre de Sophocle, met en scène des personnages appartenant aux minorités, à des “immigrés”. Est-ce que ça aborde ces questions migratoires ? Ce qui est frappant c’est que nos partenaires anglais sont complètement traumatisés par le Brexit. Ils appartiennent à cette catégorie d’Anglais qui le vivent comme un drame.
Moi, parfois, je m’interroge sur l’avenir de ces rencontres en fonction de l’évolution de l’Union européenne. Comment, dans les années qui viennent, en fonction de la multiplicité de ces crises qui secouent le continent, va-ton pouvoir poursuivre ce travail de dialogue, de mise en réseau, de manière à assurer la compréhension et à réguler la violence qui pourrait naître ? Est-ce que ce projet européen doit aller vers une fédération, une Europe des nations ? On voit bien que nous sommes actuellement en plein dans ce débat.
Toujours est-il que nous aurions dû accorder une importance beaucoup plus grande à la culture dans la construction européenne, a fortiori quand on voit le succès du programme Erasmus+. Après, on entre dans le domaine politique. Nous, nous travaillons dans les domaines de la tolérance, de la diversité, de la solidarité… Mais si on est dans un système où c’est la concurrence systématique qui est mise en exergue, il y a une antinomie ingérable !
Propos recueillis par Joël Kermabon