EN BREF – Alors que les populations d’amphibiens déclinent partout dans le monde, des chercheurs français sous la conduite du laboratoire d’écologie alpine de Grenoble viennent de démontrer le rôle des perturbateurs endocriniens dans cette hécatombe. Derrière, se pose aussi la question des concentrations autorisées de pesticides dans l’eau du robinet. Depuis 2010, la réglementation autorise une eau cinq fois plus polluée…
Des chercheurs grenoblois viennent de démontrer que les grenouilles étaient particulièrement sensibles aux perturbateurs endocriniens. Alors que depuis les années quatre-vingt les populations d’amphibiens sont en déclin massif partout dans le monde, les travaux des scientifiques de l’Université Grenoble Alpes et du CNRS* apportent un nouvel éclairage dans la compréhension de cette hécatombe.
Jusque-là, la communauté scientifique était divisée. Entre, d’un côté, ceux soutenant que les amphibiens n’étaient pas plus sensibles que d’autres aux perturbateurs endocriniens (en tout cas, aux concentrations observées dans les écosystèmes). Et ceux pour qui la multi-pollution générée par ces substances naturelles ou artificielles présentes dans de nombreux pesticides, plastiques et cosmétiques pourrait en combinaison avec d’autres facteurs jouer un rôle prépondérant. Les amphibiens, sentinelles de l’environnement ?
Des concentrations de perturbateurs endocriniens sous le seuil autorisé…
Pour les chercheurs du laboratoire d’écologie alpine de Grenoble aux manettes de ces travaux, publiés dans la revue américaine PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America), la question ne se pose plus. En tout cas pour une variété de crapauds, le Xenope tropicalis vivant en Afrique tropicale, sur laquelle les scientifiques ont mené leurs expériences. Les scientifiques ont exposé les crapauds, à différents âges de leur vie, à deux perturbateurs endocriniens modèles : l’hydrocarbure aromatique polycyclique benzo[a]pyrène (BaP) et l’antimicrobien triclosan (TCS).
« Les concentrations d’expositions ont été choisies pour être, non seulement compatibles avec les doses environnementales, mais également pour être en-dessous du seuil autorisé par la réglementation dans l’eau de consommation », précisent les chercheurs dans un communiqué.
Résultat ? Les animaux développent non seulement une intolérance au glucose mais aussi une stéatose hépatique (foie gras), une activation des gènes hépatiques associés aux métabolismes lipidique et glucidique et une hypersécrétion d’insuline. Autant de symptômes typiques d’un diabète de type 2.
Des conséquences qui se transmettent de génération en génération
Plus grave, l’effet de ces perturbateurs endocriniens sur les organismes de ces crapauds africains dure et se transmet de génération en génération. Après un an d’arrêt de l’exposition, les animaux exposés au BaP présentent toujours une intolérance au glucose associée à un défaut de sécrétion d’insuline, suggérant que les effets engendrés par cette molécule ne sont pas réversibles, font remarquer les chercheurs.
« Ce syndrome métabolique insoupçonné jusqu’ici conduit à une descendance présentant une métamorphose retardée, avec un poids et une taille à la métamorphose plus faibles. À l’âge adulte, la progéniture des individus exposés aux perturbateurs endocriniens présente également un succès reproducteur plus faible que les individus issus de parents non exposés, démontrant des effets multi-générationnels. »
Alors que les perturbateurs endocriniens sont suspectés d’être à l’origine de maladies comme le cancer du sein, l’infertilité, le diabète ou l’obésité, ces travaux viennent apporter un nouvel éclairage. Et de nouvelles questions dont celle des normes en vigueur de concentrations autorisées dans l’eau potable.
La réglementation fixant les teneurs maximales en pesticides dans l’eau du robinet a en effet été modifiée en 2010 et autorise désormais une eau… cinq fois plus polluée. En janvier 2017, l’association Générations futures avait croisé les données de trois études gouvernementales sur l’eau du robinet, les eaux souterraines et les eaux de surface avec la liste des perturbateurs endocriniens. Résultat ? Ces derniers représentaient entre 50 et 75 % des pesticides mesurés…
Patricia Cerinsek
* Le consortium français auteur de cette étude est piloté par le Laboratoire d’écologie alpine (Leca – UGA / CNRS / Univ. Savoie Mont-Blanc), avec entre autres la participation du laboratoire de bioénergétique fondamentale et appliquée (LBFA – UGA / Inserm), de l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (IGFL – Univ. Lyon 1 / École normale supérieure de Lyon), de Rovaltain Research Company (RRCo), de la plate-forme Therassay (Institut du thorax, Inserm / CNRS / Univ. Nantes), et du Centre de ressources biologiques Xénopes, (CRB – Univ. Rennes 1 / CNRS).