REPORTAGE – Les militants de divers syndicats, collectifs et associations de soutien aux migrants se sont rassemblés sur le campus de Saint-Martin‑d’Hères, ce jeudi 22 mars dans l’après-midi. Leur objectif : protester contre la présence « d’acteurs de la militarisation des frontières » lors du colloque international sur Frontex qui se tient jusqu’à ce vendredi 23 mars à l’Université Grenoble-Alpes. Une mobilisation qui, commencée calmement, s’est vite terminée avec l’intervention de la police anti-émeute…
« Frontières partout, justice nulle part », « tout le monde déteste les frontières », ou encore « Frontex expulse, expulsons Frontex ». Tels étaient les slogans scandés par la centaine de militants qui s’étaient réunis sur le campus de Saint-Martin‑d’Hères, ce jeudi 22 mars, suite à l’appel lancé par différents syndicats, collectifs et associations* de soutien aux migrants.
Mégaphone et banderoles à la main, ils s’étaient donné rendez-vous à 15 heures devant les portes verrouillées** du bâtiment d’Imag. C’est en effet dans cet édifice qu’en début d’après-midi le Centre d’études sur la sécurité internationale (Cesice) et le Centre de recherche juridique (CRJ) avaient inauguré la première journée du colloque international « De Frontex à Frontex : vers l’émergence d’un service européen de garde-côtes ». Le coup d’envoi d’une série de rencontres qui, entre conférences et débats, s’enchaîneront jusqu’à ce vendredi 23 mars au soir.
« Des technocrates et policiers » invités sur le campus
Parmi les invités ? Outre des enseignants et chercheurs provenant de toute la France, les organisateurs ont choisi « de faire intervenir des technocrates et policiers responsables de la militarisation des frontières », dénonce un jeune militant, en se faisant porte-parole de l’indignation collective. Et celui-ci d’étayer ses propos : « Frontex n’est qu’un moyen dont l’Europe se sert pour expérimenter les technologies de guerre sur les migrants. »
L’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes disposerait en effet, selon les associations à la tête du rassemblement, « d’un arsenal militaire répressif et d’un outillage sécuritaire de haute technologie », souvent financés par « des sociétés privées ». Parmi celles-ci, Thalès, EADS, Finmeccanica, Lockheed Martin, ou encore Aerovision.
Raison pour laquelle les syndicats et collectifs isérois ont décidé de faire entendre leur voix. En ligne de mire : la présence au colloque d’Hervé Yves Caniard, le directeur de l’Unité des affaires juridiques de Frontex, ainsi que « la venue de Michel Quillé », ancien commissaire de police aujourd’hui aux manettes du projet Euromed Police IV. Entendez par là un programme lancé en 2016 afin de renforcer la coopération « sur les questions de sécurité » entre les pays du sud de la Méditerranée et les États membres de l’Union européenne.
Migrants et associations : les grands absents au colloque
« On regrette que les personnes réellement concernées par ces questions ne soient pas invitées », remarque par ailleurs un autre militant. Les grands absents de l’évènement ? Non seulement « les migrants et réfugiés qui risquent leur vie en mer pour rejoindre les côtes de l’Europe », mais aussi les « acteurs de terrain » engagés dans des missions d’aide et soutien aux réfugiés.
Seule l’intervention d’une représentante du monde associatif figure en effet dans le programme du colloque. En l’occurrence, celle d’une activiste de La Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués) qui évoquera, ce vendredi après-midi, le rôle des ONG face au renforcement des contrôles aux frontières.
« Notre objectif est de parler de Frontex sous l’angle du droit, tout en prenant en compte différents points de vue » déclare pour sa part Romain Tinière, professeur de droit public à l’UGA et coordinateur du colloque. Qui se défend : « En plus de traiter les aspects institutionnels et juridiques de la question, dont la protection des droits fondamentaux de l’homme, nous cherchons également à porter un regard critique sur les actions de Frontex. »
Un propos contesté par l’un des militants. « Ce colloque peut servir à se questionner sur comment Frontex viole le droit, mais cela ne suffira pas, car il faut aussi dénoncer le problème politiquement », rétorque-t-il. Et une autre manifestante de renchérir : « Tant que l’Europe exportera la guerre, il y aura toujours des refoulements aux frontières, en rendant les passages de plus en plus dangereux et mortels pour les migrants. »
Une protestation pacifique… face à la police
« Comment cette université, qui accueille depuis décembre nombre de demandeurs d’asile aux Patio, peut en même temps accepter de dialoguer avec les responsables de Frontex ? », interrogent les manifestants. D’où leur décision de manifester leur dissentiment… en « s’invitant » dans la salle des conférences de l’Imag. Leur objectif : empêcher que le président d’Euromed Police ne prenne la parole.
Une protestation non violente qui a duré juste le temps de scander quelques slogans… et de sortir une bombe de peinture pour écrire « Frontex tue » sur le mur. Quelques minutes après, l’action s’est en effet terminée avec l’intervention des forces de l’ordre en tenue anti-émeute.
Source : militant anonyme
« Ils nous ont bousculés pour nous forcer à sortir. Certaines personnes ont pris un coup de matraque dans le dos pendant qu’elles évacuaient alors qu’il n’y avait aucune violence et aucune animosité de leur part », relate, indigné, un jeune témoin. Entre temps, à l’intérieur du bâtiment Imag, le colloque a repris son cours normal.
Au total, quatre personnes auraient été blessées, dont deux – dénoncent les militants – « ayant eu besoin de points de suture à la tête ».
Contactée, l’Université Grenoble Alpes a affirmé ne pas être responsable de l’envoi de la police. Une information démentie par la préfecture de l’Isère*** qui a tenu à préciser que cette intervention n’avait pas été faite à son initiative mais bien à la demande de l’UGA.
Giovanna Crippa, correspondante à Saint-Martin-d’Hères
- * RUSF38, Union départementale CNT 38, Clagi, Cisem, CIIP, Collectif hébergement logement, Survie Isère, Patate chaude, Dal38, Asti Annonay,et Solidaires Isère
** Si la première journée de conférences s’est déroulée à portes fermées, les rencontres de ce vendredi sont en revanche ouvertes au public.
*** Précision ajoutée le vendredi 23 mars à 13 h 50 suite à un appel de la préfecture de l’Isère.
FRONTEX EN BREF
Suite à une réforme en 2016, Frontex est devenue l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. Financé par l’Union européenne et les États membres, cet organisme dispose d’un budget en constante augmentation : soit 281 millions d’euros en 2017, contre 238 millions d’euros en 2016. Le personnel de l’agence devrait, lui aussi, augmenter progressivement. Actuellement, il est composé de 1 000 garde-frontières et de 1 500 réservistes.
Ses compétences principales ? Outre la coordination d’opérations en mer et aux frontières extérieures terrestres, l’agence fournit une assistance technique aux pays de l’UE confrontés à une forte pression migratoire, à travers le déploiement d’équipements techniques supplémentaires et de personnel spécialement formé.
De plus, dénoncent les associations, Frontex s’occupe de « l’interception des bateaux lors des tentatives de passage de mer » avec le conséquent « refoulement des personnes », de la mise en place d’interventions militaires, ou encore de l’« organisation de retours conjoints ».
« Contrairement à ce qui est parfois affirmé dans les médias, enchaînent-elles, le sauvetage ne fait pas partie des missions de Frontex et, quand il le fait, c’est par obligation du droit international. La majorité des sauvetages sont en réalité effectués par des ONG, la marine marchande ou des pêcheurs, souvent accusés de complicité d’immigration illégale ».