REPORTAGE VIDÉO – Un collectif d’étudiants, de syndicalistes, d’enseignants-chercheurs et de personnels de documentation a organisé, ce jeudi 14 décembre, le simulacre des funérailles de dix-neuf bibliothèques vouées à être reconverties en espaces numériques de travail au printemps 2018. Le collectif, qui veut sauver un « outil de travail » essentiel, dénonce une décision unilatérale de l’université Grenoble-Alpes, ce que réfute Lise Dumasy, sa présidente.
« On pleure, on pleure, on pleure nos bibliothèques ! », scandait la petite centaine de manifestants rassemblés ce jeudi 14 décembre sur le parvis de la bibliothèque Droit – Lettres du campus de Saint-Martin-d’Hères.
Près d’une banderole où était écrit « pour les BU d’UFR [bibliothèques universitaires d’unités de formation et de recherche, ou bibliothèques de composantes, ndlr], on se laisse pas faire », trônait un cercueil de carton noir, entouré de bouquets de fleurs et de livres. Tout était en place pour le déroulement du simulacre de funérailles des bibliothèques que le collectif entendait ainsi célébrer.
Des bibliothèques reconverties en espace numérique de travail
L’idée ? Se rendre en cortège dans quelques-unes des bibliothèques du campus vouées à être reconverties en espaces numériques de travail (ENT) à l’horizon 2020. Une décision « unilatérale et sans véritable dialogue ou concertation » de l’Université Grenoble-Alpes (UGA), estime le collectif. Qui ne croit pas à des reconversions mais craint des fermetures et, partant, redoute une dégradation de la qualité de la recherche et de la formation des étudiants, tout autant que des conditions de travail des personnels affectés à la documentation.
Retour en images sur le déroulement d’un enterrement qui, s’il pouvait sembler au premier abord quelque peu potache, était pris très au sérieux par les participants.
Reportage Joël Kermabon
« Des actions isolées reposant sur des présupposés fallacieux », selon l’UGA
La présidente de l’UGA a bien tenté de déminer le terrain en affirmant dans un courrier « qu’il n’y aurait pas de fermetures de bibliothèques ». Las, rien n’y a fait, la mobilisation s’est amplifiée. Lise Dumasy est donc revenue à la charge le 7 décembre, juste après une assemblée générale sur le sujet des bibliothèques de composantes.
Et la présidente, qui devait avoir eu vent des projets du collectif, n’y est pas allée avec le dos de la cuillère dans son courrier adressé aux personnels de l’UGA…
« Nous constatons avec étonnement que nos différents messages ayant vocation à rassurer sur l’avenir de nos bibliothèques de composantes et plus particulièrement ARSH [arts et sciences humaines, ndlr] n’ont manifestement pas été compris. En effet, des manifestations de type “marche funèbre” avec dépôt de gerbe devant la bibliothèque Droit – Lettres ainsi que d’autres actions de « communication » sont prévues. Or notre politique vise à tout sauf à supprimer ces bibliothèques », pourfend Lise Dumasy.
« Nous regrettons une fois de plus sur ce sujet que des actions isolées reposant sur des présupposés fallacieux priment sur le dialogue et la coconstruction », fustige-t-elle. Avant de développer un court argumentaire rappelant les enjeux de la politique documentaire de l’UGA.
Le collectif souhaite « que tout soit remis sur la table »
Si les membres du collectif ont eu connaissance de ce courrier, celui-ci les a laissés de marbre et ne les a pas empêchés de maintenir la cérémonie funèbre. « La présidence nous a dit que nous avions mal compris le plan. Mais nous avons bien lu ! assure Franck Gaudichaud, enseignant-chercheur à l’UFR de langues étrangères. Nous souhaitons que tout cela soit remis sur la table et que l’on discute plus sérieusement d’une amélioration des bibliothèques de composantes. Mais pas dans une perspective de transformation en espaces de travail. »
Franck Gaudichaud estime ainsi non négociable « le déplacement de milliers de livres qui partiraient dans une bibliothèque centrale pour libérer de l’espace ». Quant à la mobilisation, modeste pour ces funérailles eu égard au nombre d’étudiants et chercheurs sur le campus, il assure qu’elle ne faiblit pas. « Ce n’est que le début, une jonction est en train de s’opérer entre Sciences sociales, Lettres, Langues et d’autres disciplines. Nous avons un large calendrier de mobilisation et des concertations vont être mises en place », annonce-t-il.
L’UGA ne comprend pas « qu’aujourd’hui on en soit là ! »
Côté UGA, les réactions sur ce simulacre de cérémonie ne se sont pas fait attendre. « Nous ne comprenons pas qu’aujourd’hui on en soit là, puisque l’information est claire et transparente.
Nous n’allons pas fermer de bibliothèques mais simplement les faire évoluer selon l’usage des étudiants », déclare Joris Benelle, le directeur général de l’UGA. En ligne de mire ? « Les petites bibliothèques proches de deux grandes bibliothèques universitaires », tient-il encore à préciser.
Frédéric Saby, le directeur des bibliothèques de l’UGA, déclare quant à lui que l’université s’appuie « sur la concertation qui a commencé et sur une grande enquête qui a débuté auprès des étudiants et des enseignants-chercheurs ».
Les bibliothèques vont-elles bien être vidées ? « C’est en fait une réorganisation du bâtiment Stendhal qui est en cours depuis plusieurs années. Cela a commencé avant même la fusion des universités », démine le directeur. Qui assure qu’en aucune manière l’UGA « ne tournera le dos à l’imprimé ». Avant de s’étonner : « Le mouvement, pour nous, est surprenant. Beaucoup de choses ont été dites qui ne s’accordent pas avec la réalité. Nous n’allons pas fermer de bibliothèques. Ce n’est pas un autodafé comme en 1933 ! », assure Frédéric Saby.
Dialogue de sourds ? Si direction et usagers ne parviennent pas à trouver un terrain d’entente, d’autres actions viendront, et ce pas plus tard qu’après les vacances de Noël, promet le collectif.
Joël Kermabon