FOCUS – Comment faire de la prévention en direction des auteurs de viols et protéger les enfants ? Quelles modifications apporter à la loi sur la notion de consentement sexuel des mineurs ? Telles sont les questions qui seront soulevées lors de la conférence-débat organisée par l’association SOS Inceste à la Maison de l’avocat de Grenoble le jeudi 7 décembre.
« La question du consentement ne devrait jamais se poser. Un enfant mineur ne conduit pas, il ne peut pas signer un chèque, ne peut pas louer une maison… Il est mineur, tout simplement ! Et pour ce qui concerne les relations sexuelles, tout d’un coup, on se pose la question ! C’est complètement aberrant ! », s’indigne Eva Thomas, la fondatrice de l’association SOS inceste.
En une phrase, celle qui fut, en 1986, la première victime d’inceste à témoigner à visage découvert, résume l’inadaptation, selon elle, de la législation française concernant les agressions sexuelles sur mineurs.
Quelles modifications apporter à la loi sur la notion de consentement ?
De nombreuses questions se posent concernant l’inceste et les viols sur mineurs. Comment faire de la prévention en direction des auteurs et protéger les enfants ? Quelles modifications apporter à la loi sur la notion de consentement des enfants face à des adultes ? Autant de sujets de grande sensibilité qui seront les principaux thèmes abordés lors la conférence-débat, organisée à l’initiative de l’association SOS inceste qui se déroulera, ce 7 décembre, à la Maison de l’avocat de Grenoble.
Les intervenants (voir encadré) ? Outre Eva Thomas, des juristes avec un bâtonnier, une représentante du parquet et une avocate honoraire, un médecin psychiatre, des psychologues cliniciens ainsi qu’un député débattront des questions que pose en la matière le droit pénal français et de ses perspectives d’évolution.
Aucun âge minimum prévu pour le consentement sexuel
Par le plus grand des hasards, cette initiative, programmée de longue date, se voit télescopée par une actualité où le débat fait rage sur la question. Notamment avec la tournure qu’ont pris les dénonciations d’agressions sexistes. Mais aussi et surtout l’affaire concernant une relation sexuelle avec une pré-adolescente où le tribunal correctionnel de Pontoise devra débattre du consentement d’une enfant de 11 ans face à un adulte.
Et ce alors même que se profile, à l’horizon du printemps 2018, un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles.
L’un de ses volets visera d’ailleurs à instaurer une présomption de non-consentement à des relations sexuelles pour les mineurs en-dessous d’un certain âge. Lequel reste encore à déterminer.
Alignement, comme le souhaite Emmanuel Macron, sur l’âge de la majorité sexuelle actuellement fixé à quinze ans en France ? Douze, treize voire quatorze ans ? « Rien n’est décidé pour l’instant, c’est une question qui mérite débat », a déclaré Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, à nos confrères du Parisien. Toujours est-il que l’exigence d’une évolution législative ne date pas d’hier, « les choses ont très peu évolué sur ce point depuis trente ans », regrette Eva Thomas.
Combler un vide juridique révélé par de récentes affaires
C’est bien un vide juridique que cette loi est censée combler. Car, pour un viol sur mineur, la loi française ne prévoit aucun âge minimum de consentement sexuel. Pour preuve de ce flou législatif, le récent acquittement d’un homme âgé de 22 ans à l’époque des faits, accusé de viol sur une fillette de 11 ans.
Les jurés ont estimé, en la circonstance, que les éléments requis par l’article 227 – 25 du Code pénal, à savoir la contrainte, la menace, la violence ou encore la surprise, n’étaient pas réunis.
« Dans nos métiers, il y a vraiment un moment où l’on se dit “ce n’est pas possible” ! On ne va pas continuer à voir des enfants de douze – treize ans à qui on demande “alors, est-ce qu’il t’a forcé, est-ce qu’il y a eu de la violence, est-ce qu’il avait une arme ?”», s’insurge Hélène Marce, avocate honoraire.
« Ce texte est à bannir, à supprimer, car il transforme un viol en atteinte sexuelle »
Hélène Marce évoque également le carcan de la loi qui contraint les magistrats à établir au moins un des éléments de l’article 227 – 25 pour conclure qu’un viol est constitué. « Même si la Cour de cassation a considéré en 2005 que, pour un enfant en bas âge, il n’y avait pas de discernement donc pas de consentement cela ne joue que jusqu’à, au maximum, dix ans. Que se passe-t-il pour les dix – quinze ans ? », interroge l’avocate. « Ce texte est à bannir, à supprimer car il transforme un viol en atteinte sexuelle. C’est intolérable et il faut que ça change ! », tonne Hélène Marce. Pour cette dernière, il n’est plus l’heure de tergiverser.
« On ne veut plus de débats interminables. Nous voulons que, lorsqu’un adulte a une relation avec un enfant de moins de quinze ans, ce soit un délit s’il n’y a pas eu de pénétration, un crime dans le cas contraire, et c’est terminé ! Nous ne voulons plus qu’un adulte ait une emprise sur un enfant et lui gâche sa vie », tempête-t-elle.
Une modification de la loi qui, en posant un interdit, adresserait un message à des auteurs potentiels et viserait à prévenir la commission des actes. Ainsi la législation française rallierait-elle la position législative de nombreux pays européens qui interdisent les rapports sexuels avec des enfants. L’âge retenu variant de 13 ans en Espagne à 17 ans en Irlande.
« Avant, c’était du domaine du secret, du confidentiel, du familial »
Il a fallu attendre la fin des années 80 pour voir les premières incarcérations pour agressions sexuelles, se rappelle, quant à elle, Danièle Durand-Poudret, ancienne responsable du Service médico-psychologique Régional (SMPR) de Varces. « Les victimes qui étaient accompagnées pour porter plainte ont permis que les choses soient dites et que la justice rattrape ce questionnement […] Avant ça, c’était du domaine du secret, du confidentiel, du familial, voire même de celui du confessionnal et les victimes restaient malheureusement seules avec ça ! », se souvient-elle.
« Je ne me suis jamais occupée de victimes. Je me suis occupée de personnes qui étaient incarcérées, prévenues, condamnées. Au fil de 32 ans de pratique, je me suis aperçue que les agresseurs avaient été des victimes en leur temps », explique Danièle Durand-Poudret. Avant de prudemment s’empresser de préciser que « toute victime ne reproduit pas les agressions sexuelles ».
« Une victime qui n’est pas entendue est une victime qui souffre »
Danièle Durand-Poudret assume, de part ses fonctions passées, une vision du problème décalée, se positionnant « de l’autre côté, du côté de ceux qui, dans leur parcours d’enfant, ont été malmenés, maltraités, violentés sexuellement ou battus ». Et parce qu’il n’y a pas eu autour d’eux « suffisamment de bienveillance pour entendre ou pour voir et s’interroger sur ce qu’il se passait et aider à faire venir la parole », estime-t-elle, ils se sont à leur tour retrouvés en position d’agresseurs. Pour cette dernière, l’écoute est ainsi primordiale : « une victime qui n’est pas entendue est une victime qui souffre et va se construire de manière tendue », affirme Danièle Durand-Poudret.
« Ce n’est pas un problème banal. C’est un vrai problème de société. Il faut qu’on s’en saisisse, que l’on se positionne ! Comment protège-t-on les enfants ? Jusqu’à quel âge considère-t-on qu’ils sont intouchables ? », questionne Wilfried Samba-Sambeligue, le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Grenoble. Autant de questions auxquelles vont tenter de répondre les intervenants invités à s’exprimer lors de cette conférence-débat.
Joël Kermabon
* Thérèse Brunisso, avocat général, André Ciavaldini, psychologue clinicien, le bâtonner Denis Dreyfus, le médecin psychiatre Danièle Durand-Poudret ancienne responsable du Service médico-psychologique Régional (SMPR) de Varces, Nelly Janin-Quercia psychologue clinicienne, Eva Thomas de l’association SOS inceste, Olivier Véran député de la 1ère circonscription de l’Isère et Hélène Marce, avocate honoraire.
CONFÉRENCE-DÉBAT SUR LES AGRESSIONS SEXUELLES SUR MINEURS
Conférence-débat, organisée à l’initiative de l’association SOS inceste à la Maison de l’avocat de Grenoble (tram A et B, arrêt Palais de justice) , le 7 décembre à 17 heures.
Événement ouvert aux professionnels et au public, dans la limite des places disponibles. Inscription obligatoire auprès du secrétariat de l’Ordre (secretariat@avocats-grenoble.com)
Intervenants
Thérèse Bruniso, avocat général près la cour d’appel de Grenoble
André Ciavaldi, docteur en psychologie et psychopathologie clinique, directeur de recherche associé à l’université Paris Descartes, auteur de nombreux articles et ouvrages dont Psychopathologie des agresseurs sexuels, et collectif Violences sexuelles chez les mineurs, spécialisé notamment dans la prise en charge des auteurs de violences sexuelles.
Denis Dreyfus, bâtonnier, avocat au barreau de Grenoble, spécialiste en droit pénal
Docteur Danielle Durand-Poudret, psychiatre, ancienne responsable du SMPR de VarcesNelly Janin-Quercia, psychologue clinicienne, expert auprès des tribunaux
Eva Thomas, fondatrice de l’association SOS inceste et auteur des ouvrages Le Viol du silence et Le Sang des motsModératrice : Hélène Marce, avocate honoraire
Avec la présence d’Olivier Véran, député, rapporteur général de la commission des finances sur le budget de la Sécurité sociale (sous réserve)