TROIS QUESTIONS À – L’universitaire et réalisatrice Amandine Gay présente son premier long métrage, Ouvrir la voix, au cinéma Le Club dimanche 1er et lundi 2 octobre 2017. S’y entrelacent les voix d’une vingtaine d’Afro-descendantes d’Europe francophone (France et Belgique) qui relatent, avec une grande sincérité, leurs expériences de femmes noires dans un contexte minoritaire.
Ouvrir la voix est son premier film. Pour mener à bien ce projet long de trois ans, Amandine Gay a monté sa propre société de production et de diffusion, justement nommée « Bras de Fer ». Dans son documentaire de création, cette universitaire et réalisatrice a voulu montrer la façon dont « la race s’apparente à une construction sociale » pour des femmes qui se sont découvertes noires, en France ou en Belgique, dans un contexte minoritaire.
Les témoignages de ces vingt-quatre femmes s’entrecroisent ainsi en une conversation captivante qui se décline suivant diverses thématiques : la créativité, la parentalité, la dépression, la sexualité ou la religion.
Avant son passage au cinéma Le Club dimanche 1er et lundi 2 octobre, la jeune réalisatrice revient sur le mouvement afro-féministe et les luttes qui lui tiennent à cœur.
Place Gre’net – Vous avez appelé votre film « Ouvrir la voix ». Est-ce parce que vous estimez que les femmes noires européennes souffrent d’une forme de confiscation de la parole ?
Amandine Gay – Le premier sens que je donne à ce titre, c’est une forme de réappropriation de la narration. Car, dans le film, je donne la parole sans médiation, dans le sens où il n’y a pas de voix off, pas d’expert, pas de regard surplombant. C’est un documentaire qui est fait de manière horizontale parce que c’est une grande conversation entre vingt-quatre femmes noires. On voit que, même si ces femmes-là ne sont pas sociologues ou documentaristes, elles sont tout à fait capables d’avoir du recul sur leur expérience et de l’expliquer.
L’autre dimension du titre s’entend dans le jeu de mot avec « voie ». Il est important aussi d’inscrire notre parcours dans un chemin. J’essaye beaucoup de retrouver la dimension historique des évènements, notamment quand je fais des interventions sur l’Afro-féminisme. J’explique qu’il a commencé en France dans les années 1970 avec des groupes comme la coordination des femmes noires, suivie par le mouvement de défense des femmes noires. Pour moi, ce qui est intéressant, c’est qu’on bénéficie aujourd’hui d’avancées, de droits qui ont été conquis par des femmes venues avant nous. Et ce film est aussi une étape, une trace pour celles qui viennent après nous.
Les femmes que vous interrogez évoquent le sexisme et le racisme dont elles ont été les victimes en France ou en Belgique. L’afro-féminisme, dont vous vous revendiquez, se construit-il dans la lutte contre cette double condamnation ?
Un des premiers mouvements du film est de vraiment comprendre que ces deux identités-là, être une femme et être noire, sont indissociables. Pendant très longtemps, une des grandes difficultés en France, pour les femmes noires, était de n’être prise en compte ni dans les luttes féministes, ni dans les luttes anti-racistes. Je pense par exemple aux violences obstétriques et à la pratique très répandue de césariennes sur les femmes noires. Ce ne sont pas du tout des enjeux sur lesquels se mobilisent les groupes anti-racistes et, d’un autre côté, les mouvements féministes ont tendance à homogénéiser la catégorie femme.
Dans le film, il était important pour moi de montrer qu’on est à l’intersection des questions de race et de genre. Ensuite, il y a les questions de classes, de relations sexuelles, de religions… J’amène aussi toute cette complexité dans le récit parce que, sinon, on a tendance à effacer l’individualité des femmes noires. Donc pour moi, l’afro-féminisme est vraiment un outil qui permet de ne pas compartimenter les types de discrimination auxquelles font face les femmes noires.
Vous avez choisi de quitter la France pour vivre à Montréal. Est-ce à cause de cette double ostracisation que vous dénoncez dans le film ?
C’est surtout par ambition. Où en est-on en France au niveau des mesures correctrices d’inégalité ? Mon film n’a reçu aucun soutien institutionnel. Je l’ai fait en autoproduction totale d’abord, puis grâce à une campagne de financement participatif pour la phase de postproduction. Cela fait quatre ans que je travaille sur ce projet à perte. Si je fais 20 000 entrées, on devrait rentrer dans nos dépenses. Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), c’est-à-dire l’institution qui a refusé de me financer, va-t-il gagner de l’argent sur mon film via la taxe sur l’audiovisuel ?
Au Canada, à l’horizon 2020, l’Office national du film s’est fixé comme règle d’atteindre la parité dans les financements octroyés pour les films. Ils font appel aux scénaristes, aux techniciennes, aux réalisatrices pour faire avancer la parité dans le monde du cinéma.
Où en est-on en France ? Le fonds Image de la diversité a été créé en 2007. Le baromètre CSA de la diversité donne tous les ans des chiffres qui ne sont pas forcément meilleurs que l’année précédente. Donc ça ne fonctionne pas. Et, là, on ne parle que de la représentation à l’écran. Je me demande combien d’années cela va encore prendre en France… Ce qui me fatigue, c’est la lenteur des réformes institutionnelles. C’est maintenant que je veux avoir une carrière.
Propos recueillis par Adèle Duminy
Infos pratiques
Dimanche 1er octobre à 18 h 30 (réservations obligatoires)
Lundi 2 octobre à 13 h 30Lundi 2 octobre à 19 h 30 (complet)
Rencontre avec la réalisatrice Amandine Gay à l’occasion de l’avant-première de son documentaire Ouvrir la voix
En collaboration avec l’association Contrevent et Grenoble-Alpes Métropole
Tarifs unique 6,50 euros