REPORTAGE – Ce samedi 27 mai, Greenpeace a lancé un appel à la mobilisation internationale pour protester contre un projet de forage du groupe Total au large du Récif de l’Amazone. Pendant que les militants de l’ONG, associés à ceux d’Action non violente Cop21 (ANV-Cop21), occupaient une vingtaine de stations-service dans 18 villes de France, les activistes des groupes locaux de Grenoble et Chambéry se donnaient rendez-vous devant la station-service Total située à La Tronche.
Il était 11 heures quand, ce samedi 27 mai, une dizaine de personnes de tous âges ont débarqué, en défilant l’une après l’autre sur leur vélo, à la station-service Total de La Tronche. Gilets fluorescents, sacs à dos, t‑shirts confortables aux couleurs vives : on aurait pu croire qu’il s’agissait d’un rassemblement de cyclistes.
Mais au lieu de gourdes et de ravitaillements, les cyclistes ont préféré sortir de leurs sacs quelques panneaux en formes de poissons, de tortues ou de dauphins, pour les afficher sur les vitrines et les pompes de la boutique.
Suivant les directives internationales, ces militants de Greenpeace Grenoble-Chambéry et d’ANV-Cop21 démarraient ainsi leur action symbolique. Au même moment, dans 17 villes de France (dont Paris, Strasbourg, Bordeaux et Lille), armés à leur tour de silhouettes de créatures marines, d’autres activistes et camarades de lutte envahissaient une vingtaine de points de vente du groupe pétrolier.
L’objectif de tous ces militants ? Demander à ce géant de l’industrie des combustibles fossiles à échelle mondiale de renoncer à ces projets d’exploration pétrolière à l’embouchure de l’Amazone. C’est dans cette région, en effet, qu’une équipe de scientifiques a récemment découvert l’existence d’un récif corallien étendu sur 95 000 km2.
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Poissons, tortues et corail dans une station-service : une action symbolique
Et pour cause, les explorations pétrolières en offshore ultra-profond pourraient provoquer une marée noire s’étendant des côtes brésiliennes jusqu’à la Guyane française. Une catastrophe écologique, sans compter l’impact sur les ressources des communautés locales.
D’où l’explication du geste symbolique que les militants des associations de protection de l’environnement ont accompli ce samedi dans toute la France : transformer les points de vente Total en récif corallien en dessinant, sur le sol et sur les vitrines, des coraux à la peinture jaune, ou bien en disposant des panneaux représentant des tortues, des dauphins ou des espèces de poissons.
La particularité de ces silhouettes ? Leur couleur noire, fond duquel se détachent les phrases écrites par les internautes qui soutiennent la pétition lancée en avril 2016 sur le site de Greenpeace : « Arrêtez de polluer notre planète à long terme, pour vos profits à court terme », « STOP à l’écocide, nous n’avons qu’une planète », ou encore plus prophétique : « Ce projet sera voué à l’échec. Le pétrole est sans avenir. »
L’effet de surprise : une arme à double tranchant
L’occasion, donc, de sensibiliser les citoyens à la cause environnementale de manière directe… et très voyante. « Les formes des poissons recouverts de peinture noire évoquent la vie menacée par le pétrole. Elles sont beaucoup plus parlantes qu’une pancarte traditionnelle », précise Christelle.
Reste que ces panneaux, n’ont été visibles qu’environ une heure, c’est-à-dire le laps de temps pendant lequel l’action des militants grenoblois s’est déroulée. Pris de court par l’arrivée inattendue des activistes, le gérant a en effet bloqué l’accès au point de vente Total à La Tronche, en entourant l’entrée avec des cônes de signalisation de chantier. Pour toute explication, il a déclaré être « en plein travaux ».
Damien Londiveau, responsable d’ANV-Cop21 ne cache pas sa déception : « Notre idée était de laisser l’accès libre aux utilisateurs pour que les clients puissent entrer, se servir, tout en échangeant avec nous. Les militants auraient dû leur poser des questions, les informer du projet de forage de Total au large du récif de l’Amazone et ouvrir un dialogue sur ce sujet. »
Loin de se décourager, ces derniers ont pourtant poursuivi leur action de sensibilisation, en essayant d’arrêter les voitures de passage pour leur laisser des tracts explicatifs. Un retour aux méthodes traditionnelles ? Pas tout à fait. « Notre but est quand même atteint, parce que nous visions à nous faire connaître grâce aux réseaux sociaux, qui nous permettent d’avoir une visibilité d’ampleur nationale et internationale, estime Jean-Luc Mokhmari, coordinateur adjoint de Greenpeace Grenoble. Finalement, notre action gagne en termes d’image. »
« La cible de notre protestation est Total, une grosse entreprise qui exploite ses employés »
Quant aux désagréments qu’ils pourraient avoir provoqués au gestionnaire du petit commerce, les militants ne semblent pas trop s’en inquiéter. « La cible de notre protestation est Total, une grosse entreprise qui exploite ses employés. Et même quand il s’agit de gérants indépendants d’une franchise, leur marge de gain est limitée. Eux aussi, ils sont à considérer comme des victimes de Total », affirme Jean-Luc Mokhmari.
La question des relations du gérant de la station service avec le géant pétrolier reste cependant ouverte. Invité à maintes reprises à donner son opinion sur la situation, ce dernier a en effet refusé de s’exprimer.
« Apparemment, il s’agit d’une franchise, donc le gérant est un privé », affirme Damien Londiveau, suite à un dialogue animé avec le propriétaire. Et celui-ci d’enchaîner, en ébauchant une timide tentative d’excuses : « Notre erreur a été de ne pas être au courant de cette information. Nous ne voulions pas aller à l’encontre du fonctionnement de la station. »
Du reste, juste après le départ des militants (et, avec eux, des journalistes), la station a rouvert ses portes aux clients comme si rien ne s’était passé. Et les travaux en cours ? Oubliés, eux aussi. Ou reconvertis en une opération de nettoyage. En l’espace de quelques minutes, la plupart des panneaux avaient été enlevés. Seuls quelques poissons rescapés restaient exposés, suscitant la curiosité des usagers.
Giovanna Crippa, correspondante à La Tronche
UN PRÉCIEUX ÉCOSYSTÈME EN DANGER
Le récif d’Amazone est un trésor de la nature menacé par l’activité humaine avant même que sa richesse n’ait pu être complètement explorée. Depuis quelques années, selon Greenpeace, l’ampleur des ressources de combustible fossile inexploitées dans le sol au nord du Brésil attire l’attention des compagnies pétrolières. Deux d’entre elles, BP et Total, souhaitent notamment effectuer des forages exploratoires, sans tenir compte des distances réglementaires à respecter.
Lina Nekipelov, coordinatrice de Greenpeace Chambéry, précise : « Le gouvernement brésilien a ordonné une étude environnementale, suite à celle menée par Total, qui avait tendance à minimiser les risques. Total ne peut pas commencer sa recherche de pétrole sans retour de cette étude. La situation est en attente, mais on préfère anticiper… »
Pour expliquer les conséquences négatives de cette éventuelle exploitation, Christelle, membre de Greenpeace à Grenoble, prend la parole : « Le récif de l’Amazone a été découvert en avril 2016, et il abrite une grande biodiversité composée de diverses espèces de coraux, d’éponges et de rhodonites. Si, comme elle l’espère, Total parvient à forer à moins de 30 kilomètres de cet écosystème, il y aura un fort risque de fuite de pétrole qui ira anéantir l’immense complexité de cet environnement : ainsi, beaucoup de poissons et d’algues seront en danger de mort, avec des conséquences dramatiques au niveau écologique. »