Incroyable, la presse ? C’est en tout cas ce qu’affirme le titre de l’exposition de la Bibliothèque d’étude et du patrimoine de Grenoble : Incroyable presse ! Un passionnant parcours qui retrace l’histoire des médias, à travers l’évocation de titres nationaux comme locaux, et soulève les nombreuses questions auxquelles est confrontée la presse.
De Théophraste Renaudot à Edwy Plenel, en passant par Albert Londres, les attentats de Charlie Hebdo… ou Nabilla, il y a tellement à dire de la presse, de sa nécessité, de ses vocations, de ses errements parfois ou des pressions qui peuvent peser sur elle.
C’est tout cela que l’on retrouve, en accéléré, dans l’exposition Incroyable presse !, présentée à la Bibliothèque d’étude et du patrimoine de Grenoble jusqu’au 15 avril 2017.
Pour la bibliothèque, l’objectif était avant tout de valoriser son patrimoine en mettant en avant la richesse de ses archives, de ses « 23 kilomètres de rayonnage, dont un tiers consacré à la presse », explique Nathalie Ngeumani, commissaire adjointe de l’exposition.
Un contenu hétéroclite
Quant à son contenu, il s’est décidé autour d’un “comité scientifique” constitué de trois universitaires : Gilles Bastin, Jean Sgard et Pierre Frappat. Contenu pour le moins hétéroclite. Le sous-titre de l’exposition met en avant « une histoire mouvementée entre liberté et censure ». Et Nathalie Ngeumani nous explique que l’exposition s’est « resserrée sur la question des pouvoirs et des influences suite aux attentats de Charlie Hebdo ». Cependant, d’autres aspects historiques ou liés à la pratique journalistique sont également longuement abordés.
Ainsi, tout un mur est-il consacré à la figure même du journaliste, entre évocation de glorieux ancêtres et explication pédagogique – tellement nécessaire – de la manière dont travaille un journaliste, recoupant les sources et s’appliquant à ne publier qu’une information dûment vérifiée. Ce qui n’empêche en rien les erreurs, voire les manquements.
Une salle annexe est pour sa part dédiée au devenir de la presse, depuis la chute des ventes de titres papier en passant par l’émergence des modèles pure player comme Mediapart. Plus loin, ce sont les médias participatifs qui sont abordés, ainsi que les “faux” titres de presse qui fleurissent sur Internet et nourrissent à l’envi rumeurs et théories du complot, sans se soucier de proférer ou relayer des mensonges avérés.
Autres thèmes traités : les modèles économiques – avec ou sans publicité, recours ou non aux aides de l’État, payant ou gratuit – ainsi que les méthodes utilisées par les journaux pour fidéliser leur lectorat. On découvrira ainsi que le bulletin météorologique a très vite trouvé sa place dans les gazettes, et que la presse à scandale sait user jusqu’au string les starlettes qui se prêtent volontiers aux gros titres.
Des ciseaux d’Anastasie aux caricatures de Mahomet
« L’idée du tracé, c’est aussi de mettre en avant le patrimoine d’hier et celui d’aujourd’hui. C’est une exposition où il y a énormément de documents contemporains par rapport à d’autres pour montrer que, demain, ce sera aussi du patrimoine », note Nathalie Ngeumani. On trouve en effet tout autant des titres du XIXe siècle que des exemplaires de Fluide glacial, du Canard enchaîné ou de Charlie Hebdo et son fameux numéro 1 178, titré « Tout est pardonné ».
Pour autant, en abordant tant de thématiques différentes sur un espace d’exposition restreint – bien que très bien aménagé –, les questions de censure, de pressions du pouvoir et de liberté de la presse ont du mal à se dégager des autres. Elles n’en demeurent pas moins abondamment traitées, avec une place de choix accordée aux ciseaux d’Anastasie et au terrorisme islamique.
Les responsables de l’exposition ont su, en particulier, éviter l’écueil du politiquement correct et aborder la question religieuse et, incidemment, celle du blasphème. Ils ne manque pas de rappeler que ce dernier n’est plus un délit puni par la loi depuis 1881 – ce qui n’empêche pas les pressions de persister –, et dressent une chronologie de l’histoire des caricatures de Mahomet, depuis leur publication dans un journal danois jusqu’à l’attentat du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo.
La presse locale… sans Place Gre’net
Ancrage et patrimoine locaux obligent, Incroyable presse ! s’attache également à mettre en avant le paysage médiatique de la région grenobloise, principalement contemporain. Le Dauphiné libéré est naturellement représenté, de même que Le Postillon ou Le Petit Bulletin. Mais aussi le journal Ville ouverte des années 70 et Le Crieur de la Villeneuve, dont Gilles Bastin, membre du comité scientifique de l’exposition, est directeur de publication.
Le grand absent, au final ? Place Gre’net. Le premier pure player de la région grenobloise – qui fait d’ailleurs partie de l’offre de presse numérique en accès libre dans les bibliothèques – n’est en effet mentionné nulle part. Ni lorsque la question de l’évolution de la presse papier vers le numérique est abordée, ni lorsque se pose celle du modèle économique (malgré la formule hybride adopté par le site), ni simplement dans la présentation de l’histoire de la presse, qui tend pourtant à mettre en avant les rares titres fondés par des femmes.
Alors, Place Gre’net, pas assez « incroyable » ? Nathalie Ngeumani préfère évoquer « un oubli et une erreur ». « Nous avons travaillé en collectif, notamment avec le comité scientifique, et c’est lui qui a fait les sélections. Mais ce n’est pas une volonté de notre part, nous n’avons pas fait cela volontairement ou consciemment. C’est un oubli, une erreur, mais en aucun cas une volonté politique, médiatique ou quoi que ce soit ». Juste une belle occasion manquée.
Le succès d’Incroyable presse !, notamment auprès des scolaires
Incroyable presse ! n’en demeure pas moins une exposition qu’il serait dommage de ne pas visiter. Volontairement ludique et didactique, elle remporte d’ailleurs un franc succès auprès des scolaires. Elle constitue une entrée en matière nécessaire pour qui ne connaît que de loin les tenants et les aboutissants de la presse, tout en offrant quelques jolies piqûres de rappel à qui maîtrise mieux le sujet.
Outre quelques lacunes, on lui reprochera surtout d’avoir voulu trop en dire, au risque de perdre de vue son angle de départ et de ne pas arriver à mettre suffisamment en valeur la thématique du combat contre la censure qui se voulait, semble-t-il, le fil rouge de ce voyage au cœur de la presse.
Une chose est sûre, le succès ne se dément pas : alors que l’exposition Incroyable presse ! devait prendre fin le 25 mars, sa date de clôture a été repoussée au 15 avril. En attendant que la Bibliothèque d’étude et du patrimoine n’accueille, en novembre, une nouvelle exposition qui consacrera cette fois ses murs à la figure de Stendhal.