REPORTAGE – Une centaine de personnes ont participé à la marche blanche organisée ce samedi 26 novembre depuis l’Esplanade jusqu’à l’Hôtel de police de Grenoble. Un rassemblement en hommage à Jean-Pierre Ferrara, abattu chez lui à Échirolles par des policiers lors d’une intervention suite à une altercation de voisinage, le 28 octobre dernier. Objectif de son fils, organisateur de la marche : demander à ce que « la vraie justice soit faite ».
« Je voulais vous dire : pendant le chemin du cortège, s’il y en a qui rentrent dans le cortège pour des débordements, n’hésitez pas à les calmer ou à les sortir, parce que ce n’est pas l’image de mon père, de celui qu’il était. » C’est Ludovic Ferrara qui, au mégaphone, adresse ce message avant que la marche blanche en hommage à son père ne se mette en mouvement depuis la place de l’Esplanade à Grenoble.
Jean-Pierre Ferrara, le père de Ludovic et de trois autres enfants, employé à la Semitag, est mort dans la soirée du 28 octobre 2016, abattu par cinq policiers, à la suite d’une altercation avec son voisinage. Les forces de l’ordre invoquent la légitime défense, affirmant que l’homme les aurait menacées d’une arme. La famille, pour sa part, parle d’une « grosse bavure » et demande à ce que la justice soit saisie.
Discrète surveillance policière
Et la justice est bien le maître-mot qui domine cette marche blanche. « Justice pour Jean-Pierre » sur les tee-shirts blancs que la famille de Jean-Pierre Ferrara a fait imprimer pour l’occasion, et qui seront rapidement épuisés. « Justice pour mon père » sur la grande banderole déployée en tête de cortège et tenue par les proches de la famille avec Ludovic au centre.
La centaine de personnes venues participer à la marche respecteront scrupuleusement les consignes de Ludovic Ferrara : pas un débordement, pas un slogan scandé, aucun message de haine ou de vengeance. Des visages graves, sérieux, mais aussi parfois, en milieu ou fin de cortège, de légers éclats de rire et – presque – de la bonne humeur.
Durant toute la manifestation, depuis la place de l’Esplanade jusqu’à l’Hôtel de police de Grenoble, le long du cours Jean-Jaurès puis du tracé de la ligne de tram B, la présence policière se fait légère et discrète. Seul un motard et une voiture banalisée précèdent de quelques mètres les marcheurs, notamment pour stopper la circulation.
« Mais la marche, c’est pour les policiers ? »
Si le cortège ne passe pas inaperçu, un samedi à proximité des fêtes, bon nombre de passants n’en connaissent pas la raison. Et bien souvent, ce sont les journalistes suivant la marche qui répondent aux questions.
Mais les circonstances de la mort de Jean-Pierre Ferrara reviennent vite en mémoire. Une dame âgée se demande, suite à un malentendu : « Mais la marche, c’est pour les policiers ? — Non, pour la victime… » Elle se renfrogne : « Les policiers n’ont pas besoin de ça en ce moment ! »
Parmi les marcheurs, le sentiment n’est évidemment pas le même et, bien que silencieuse, la colère est bien présente chez certains. « Légitime défense / Offense ? », interroge une pancarte brandie par une manifestante. Si chacun reste digne et respectueux, un profond sentiment d’injustice domine dans les rangs.
Malaise et sentiment d’injustice
Dans le cortège, des membres de la famille de Jean-Pierre Ferrara, des amis, des voisins, mais également des inconnus. Charles est de ceux-là : syndicaliste, proche du collectif Nuit debout, il insiste sur le fait que c’est en tant que citoyen qu’il participe à la marche. Et son opinion est bien arrêtée.
« Je suis très choqué de la manière dont les personnes qui ont assassiné (sic) Jean-Pierre Ferrara se réfugient derrière la légitime défense. Je trouve cela scandaleux. Les policiers se plaignent d’être mal-aimés, peut-être devraient-ils réfléchir en interne à certaines pratiques qui leur nuisent ! », nous confie-t-il ainsi sans ambages.
Un échange avec un voisin de la victime, méfiant mais parfaitement courtois, illustre en quelques mots le sentiment de malaise et d’injustice qui règne également chez certains manifestants : « Vous êtes qui ? — Place Gre’net — Ah, et vous êtes de quel bord ? — Aucun, nous sommes neutres. — Ouais, comme toute la presse, c’est ça ?… »
Une minute de silence devant l’Hôtel de police
À l’approche de l’Hôtel de police, la présence policière se renforce, et l’on observe même quelques hommes en tenue anti-émeutes pénétrer à l’intérieur du bâtiment avant l’arrivée des marcheurs.
Arrivés à destination, le cortège déploie sa banderole devant le bâtiment des forces de l’ordre, avant que Ludovic Ferrara ne prenne de nouveau la parole, brièvement et sobrement : « On demande la justice pour notre père. La vraie. »
Suivront une minute de silence, et les applaudissements des marcheurs qui se disperseront ensuite, dans le calme, tandis que le fils et l’épouse de la victime répondent aux journalistes.
« On veut savoir ce qui s’est passé »
« On demande la justice, que la vraie justice soit faite. On demande aussi qu’un juge d’instruction soit nommé, ce qui n’a toujours pas été le cas. On veut savoir ce qui s’est passé. Cela va faire un mois que l’on n’a toujours pas accès au dossier, un mois que le procureur de Grenoble n’a toujours rien dit, à part par le biais de la presse », déclare Ludovic Ferrara.
Et le jeune homme de laisser parler son indignation, sans perdre son calme : « C’est comme cela qu’on laisse une famille dont le père a été tué comme une bête, dans son jardin, chez lui ? Ce n’est pas la Justice française ça ! On ne sait rien du tout. Mon père était dans le respect des autres, il n’y avait pas plus honnête, c’était un grand homme qui m’a inculqué des valeurs : quand tu fais des bêtises, tu dois les assumer derrière. Et je crois qu’il y en a qui n’assument pas… »
Seules quelques dernières personnes portent encore le tee-shirt de la marche tandis que, sur la banderole lentement repliée par les marcheurs, le portrait de Jean-Pierre Ferrara, une guitare dans les mains, s’efface doucement. Un homme dont la mort suscite autant de questions que de tristesse et de colère. Mais qui pourra encore se rallier à une seule vérité, qu’elle aille dans un sens ou dans l’autre, si celle-ci venait à être établie un jour ?
Florent Mathieu