TROIS QUESTIONS À – Les policiers vont mal. La faute à la Justice, trop laxiste envers les délinquants ? Faux ! Rétorque Dominique Barthe-Bougenaux, juge, déléguée régionale du Syndicat de la Magistrature à Grenoble. Est-il temps d'élargir le droit de tirer pour les policiers, en cas de légitime défense ? Ce serait une mauvaise idée selon la syndicaliste.
Place Gre’net - Les policiers ont manifesté dans les rues ces derniers jours en dénonçant notamment un manque de moyens et de reconnaissance. Le ministre de l'Intérieur semble avoir entendu leur requête. En revanche, les policiers réclament depuis très longtemps des peines plus lourdes pour les délinquants. Là dessus, pas de nouveauté à l'horizon. Qu'en pensez-vous ? La justice est-elle trop laxiste en France ?
Dominique Barthe-Bougenaux - Le sentiment d’impunité et la réclamation par les policiers de sanctions adaptées est un discours récurrent depuis des années. Depuis que je fais ce métier – cela fait trente-six ans –, j’entends ce discours, qui remonte et qui enfle à certaines périodes politiques, et notamment quand la gauche est au pouvoir : ça, c’est extrêmement clair aussi.
Mais examinons quelques chiffres. Le nombre de personnes détenues est en hausse constante depuis les années 80. Il est passé de 36 913 en 1980 à 77 291 en 2015, à 78 982 en octobre 2016. Entre 1980 et 2016, on a plus que doublé les personnes sous écrous. Ce n’est pas rien quand même… Un cinquième des délits donne lieu à de la prison ferme et, quand il y a récidive légale, 80 % des condamnations prononcées sont des condamnations à de la prison ferme. Autre chiffre : la durée des peines moyennes augmente également, passée de 7 mois en 1990 à 10,4 mois en 2014.
Bref, le discours sur le laxisme de la justice est un discours totalement irrationnel. Je pense, et je ne suis pas la seule, qu’il y a une exploitation du malaise policier par certains partis politiques ou syndicats proches de la droite forte.
Le malaise policier est réel, et il a des raisons d’être. Il n’est absolument pas question d’en nier la réalité. Il s’est développé depuis un certain nombre d’années, et notamment depuis la suppression massive de postes en 2008. Il s’est développé aussi pour d’autres raisons, comme le fait que la hiérarchie policière s’est complètement éloignée de la logique propre au métier de policier, en donnant des directives qui poussent à la schizophrénie. Quand on développe à l’excès la politique du chiffre et qu’on demande au policier de la stat[istique] au lieu de faire du travail de qualité sur le terrain, je pense qu’aucun policier ne peut exercer son métier dans des conditions satisfaisantes et sans éprouver un malaise profond.
Ces difficultés que rencontrent les policiers à mener toutes leurs missions de front… ont des répercussions pour la justice. Les juges d’instruction ont de grandes difficultés à obtenir, au niveau de la hiérarchie policière, des effectifs de policiers en nombre suffisant pour exécuter ce qu’on appelle leurs commissions rogatoires, c'est-à-dire leurs demandes d’enquêtes, pendant le stade de l’instruction – une fois passée l’enquête préliminaire, l’arrestation, les gardes à vues…
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