FOCUS – Organisé le 2 juin dernier par Grenoble-Alpes Métropole, le forum 5i a dévoilé les dernières innovations technologiques de la région. Les douze projets sélectionnés pour la vitrine technologique du forum étaient cette année développés autour du concept d’EnerNet – l’Internet de l’énergie. Zoom sur cinq entreprises iséroises qui se sont lancé le défi de repenser l’énergie.
BeezBee : La ruche connectée au service de l’apiculture “climato-intelligente”
Imaginez une ruche connectée permettant de récolter des données sur son poids, son hygrométrie et sa température, puis de les communiquer à distance. Cela vous semble relever davantage de la science-fiction que de la réalité ? Et pourtant, les premières ruches connectées – une centaine environ – sont déjà installées en France, notamment à Grenoble, à l’Île d’Amour.
Il ne s’agit toutefois pas d’une ruche bardée de capteurs, mais d’une balance connectée. Son objectif ? Permettre à l’apiculteur de réduire ses déplacements – et donc ses émissions de CO₂ – et avoir accès à des informations importantes sur l’état de santé de sa ruche. Le tout à distance.
Fabien Holin, le porteur du projet, a eu l’idée, il y a deux ans, de cet outil connecté au profit de la smart agriculture (agriculture “climato-intelligente”, en bon français). Pour sa réalisation, il a travaillé avec des apiculteurs, afin de mieux connaître leurs besoins et de créer un produit qui corresponde à leurs attentes.
Une collaboration qui lui a permis d’apporter plusieurs modifications au projet. « Au début, par exemple, on a mis énormément de capteurs dans la ruche pour compter, entre autres, le nombre d’abeilles qui entraient et sortaient », se souvient Aurélien Le Saint, qui a rejoint le projet en tant que stagiaire.
« Mais ensuite, les apiculteurs nous ont dit que l’information essentielle pour eux était le poids. Autre critère important : on avait besoin de créer un produit qui soit aussi discret que simple d’utilisation. »
La commercialisation du produit a commencé en mars 2016. À ce jour, une centaine de ruches est déployée en France, quelques-unes en Belgique. « On est encore en phase de lancement de ce produit, avec beaucoup de potentiel de développement », se réjouissent les producteurs. Qui précisent que leur projet, « plus qu’un objet connecté, est un outil connecté servant réellement la production agricole ».
Waga Energy : l’énergie renouvelable issue des déchets ménagers
Wagabox, le projet de Waga Energy, s’inscrit dans une démarche de transition énergétique durable en contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le cœur de ce projet ? La transformation de biogaz issu des déchets ménagers en ressources renouvelables et compétitives par rapport aux énergies fossiles.
« Le processus naturel qui se crée du fait de la présence de matière organique dans les déchets ménagers stockés, produit du biogaz », explique Mathieu Lefebvre, associé et directeur général de l’entreprise. « La problématique de ce gaz-là, c’est que lorsqu’on le capte pour le valoriser, on aspire aussi le gaz de l’air. Ainsi, devient-il excessivement complexe à épurer. »
Waga-Energy achète donc ce biogaz. « On donne une valeur économique à la pollution », précise avec un sourire Mathieu Lefebvre. « Grâce à l’exploitation de notre technologie, unique au monde, nous produisons du bio-méthane qui a la qualité du gaz naturel. Il devient ainsi possible de l’injecter dans le réseau de gaz naturel, à la place de celui qui arrive de Russie, d’Algérie ou de Mer du Nord. »
L’entreprise est actuellement en train de réaliser deux projets en France, qui vont chacun permettre la production de pas moins de 20 gigawatts de bio-méthane par an.
Bien que l’idée du concept date de 2007, il a fallu presque dix ans de réflexion et de développement pour la mettre en place. Les quatre fondateurs associés exécutifs ont ainsi créé l’entreprise en janvier 2015. Elle compte aujourd’hui dix actionnaires et huit salariés. « L’idée est née au sein d’Air Liquide », confie Mathieu Lefebvre, qui précise qu’une grande partie des porteurs du projet est également issue de cette entreprise.
eBikeLabs : le vélo électrique en pleine expansion
Quelle solution connectée, dédiée à la mobilité, utiliser dans une ville qui se veut « intelligente » (smart city) ? Telle est l’interrogation au cœur du projet eBikeLabs, une startup créée en 2015 avec l’objectif de « casser les barrières d’usages du vélo électrique ».
Comment ? « On développe essentiellement des logiciels et des services, notamment une application eBikeMaps », explique Maël Bosson, directeur général de la startup.
Ce dispositif peut avoir plusieurs usages. Premièrement, les personnes en recherche d’information sur les vélos électriques peuvent trouver le modèle qui correspond le mieux à leurs besoins et à leurs usages et ainsi mieux faire leur choix avant tout achat. Deuxièmement, l’application permet de calculer des itinéraires adaptés au vélo électrique.
« En fonction de la personnalité de l’usager, de son vélo et de son trajet, on pourra voir, en plus du trajet entre deux points précis, la quantité de batterie qu’il va consommer. Une fois sur son vélo, si la personne a des doutes sur la capacité de charge restante, notre application va l’aider à en gérer l’usage pour lui assurer d’arriver à destination », précise Maël Bosson.
Mais les applications de ce projet vont au-delà de la simple optimisation d’usage de la batterie par rapport aux besoins de l’utilisateur. « Grâce à ce dispositif, on peut trouver facilement les points de charge, les trajets partagés par d’autres utilisateurs. Il est également possible de rencontrer d’autres usagers de vélos électriques pour échanger ou laisser un commentaire sur le modèle qu’on utilise, et pour aider les personnes en phase d’achat. » De quoi fédérer les amateurs de vélos électriques autour de cette application, utilisée, pour l’heure, par environ 3000 personnes, y compris à l’étranger.
Selon Maël Bosson, l’un des atouts de l’application, par rapport aux autres dispositifs existants, réside dans sa capacité à adapter le trajet au vélo électrique. Car les priorités lors du déplacement ne sont pas les mêmes que celles, par exemple, d’un usager de vélo classique.
« Pour calculer un trajet à vélo, Google Maps, par exemple, va minimiser l’énergie dépensée, sans prendre en compte d’autres paramètres. Alors que l’activité physique, lorsque l’on fait du vélo électrique, est davantage comparable à de la marche. On privilégiera donc la sécurité à la vitesse de déplacement. Ceci est possible avec notre application, où l’on peut partager ses trajets habituels en indiquant les chemins les plus sécurisés. »
Le vélo électrique n’attire pas forcément les mêmes usagers que le vélo classique. La preuve : environ 80 % des utilisateurs de vélos électriques ne faisaient pas de vélo avant. Ce marché est d’ailleurs en pleine émergence en France, avec 30 % de croissance sur trois ans.
Bladetips Energy : le drone générateur d’énergie qui ringardise les éoliennes
Saviez-vous que seulement le dernier tiers des pales d’une éolienne sert à générer de l’énergie et qu’environ 80 % de sa structure permet juste de la maintenir à une bonne altitude ? Ce constat étonnant a conduit la startup Bladetips Energy à revoir la forme des éoliennes et à en inventer une nouvelle : le drone générateur d’énergie.
Le dispositif mis en place permet de ne garder que cette dernière partie des pales. Une solution source d’importantes économies, alors que le niveau de production d’énergie reste le même que pour des éoliennes classiques. La production de drones en remplacement d’éoliennes permet ainsi d’économiser 80 % de matière et 60 % de coûts.
Comment fonctionnent ces drones générateurs d’énergie ? « Sur chaque bout de pale, on a mis un moteur qui va être activé pour faire décoller le système et lui faire atteindre l’altitude désirée », explique Thibault Cherqui, cofondateur du projet. « Il y a beaucoup d’intelligence et d’automatisme dans chaque pale. Chacune d’elles est indépendante, mais elles travaillent ensemble. C’est pour cela que l’on parle d’un drone générateur d’énergie et non pas d’une éolienne. »
Les trois pales sont reliées entre elles par un câble. Tout le système décolle au moyen d’un petit hélicoptère. Et c’est l’air, balayé par chaque pale, qui contribue à la production d’énergie. « Le vent va également pousser la structure, qui sera reliée par câble à une génératrice. Une fois l’altitude maximale atteinte, on va modifier la position des pales et ramener la structure. Ce n’est plus le mouvement de rotation mais celui de va-et-vient qui va créer l’énergie. »
Bien que la création d’entreprise soit prévue pour la fin de l’été 2016, des prototypes sont déjà réalisés et la startup est actuellement en phase d’incubation.
Son bagage ? Une victoire au concours « Énergie intelligente EDF » et un suivi par le pôle de compétitivité Tenerrdis. Des marques d’intérêt rassurantes pour la startup. « Le but actuel est la création de la société et le développement d’un prototype de 20 kilowatts pour la mi-2017 », confie Thibault Cherqui, qui a rejoint, il y a un an, le projet initié par Rogelio Lozano. Avant de démarrer le projet, ce dernier a écrit sa thèse de doctorat sur le sujet des drones générateurs d’énergie.
Orange Smart Metering : des compteurs intelligents pour éviter la fraude
Tandis qu’un peu partout en France, les compteurs communicants Linky font polémique, d’autres dispositifs de collecte et de contrôle de données mis en place au service des distributeurs d’énergie se développent. L’un d’entre eux, Orange Smart Metering, développé comme son nom l’indique par l’opérateur Orange, est destiné, dans un premier temps, à des pays d’Afrique. Ce choix géographique s’explique par « une opportunité commerciale que le groupe exploite déjà beaucoup dans le domaine de la téléphonie mobile ».
Le dispositif proposé par Orange permet de relever des compteurs à distance et d’agir dessus, en coupant ou en modulant l’énergie. L’enjeu est de permettre aux distributeurs d’énergie locaux de proposer une offre en adéquation avec la consommation et d’adapter cette dernière à la production, afin d’éviter des coupures totales de courant encore trop fréquentes. Dernier avantage d’Orange Smart Metering : il règle le problème « des fraudes et des non-paiements ».
« Les opérateurs des pays d’Afrique constatent aujourd’hui qu’il y a 40 % de fraude sur la distribution d’énergie », confie Florence Germain, analyste d’affaires du projet. « Nos compteurs sont capables de remonter toute tentative de fraude comme, par exemple, l’ouverture de capot ou l’installation de champ magnétique. »
Le difficulté des producteurs d’énergie locaux à distribuer des services corrects est devenue une opportunité à saisir pour le groupe français, déjà implanté en Afrique. Ce projet s’inscrit ainsi dans la continuité de l’action d’Orange dans la région : téléphonie mobile, paiements sans-contact et, maintenant, pilotage de compteur intelligent.
Le compteur peut relever quinze données différentes toutes les quinze minutes. Mais comment éviter la fuite de ces données lorsqu’elles sont stockées ? « Il est tout à fait possible de choisir de ne pas stocker les données relevées », assure Florence Germain.
« C’est le choix de nos clients. On peut offrir le service de stockage pendant un certain temps. Si on stocke les données, on va le faire sur une solution cloud sécurisée, c’est à nous donc de prouver que la solution est bonne. Nos clients peuvent nous demander également de comprendre ces données et de les analyser pour eux pour, par exemple, prévenir les patterns de fraude. »
Selon Florence Germain, grâce à ces capteurs et leur capacité d’automatiser la relève, la distribution d’énergie sera ajustée et la facturation fiabilisée. Le dispositif développé par Orange peut intégrer n’importe quel type de compteur, relever n’importe quel type d’information et utiliser n’importe quel type de communication.
Développé à Grenoble, ce projet réunit aujourd’hui une trentaine d’employés, qui étudient maintenant des opportunités commerciales plus larges sur le plan géographique. Comme le nord de l’Europe ou, bien sûr, la France. Mais d’abord – les tests d’utilisateurs à grande échelle en Afrique : 5000 à 8000 compteurs vont être déployés dans plusieurs pays du Nord du continent en aout 2016. La phase commerciale du projet est prévue début 2017.
Yuliya Ruzhechka