FOCUS – C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour l’opposition de gauche à Grenoble. Le tweet d’un élu de la majorité, jugé insultant à l’endroit de la conseillère d’opposition Marie-José Salat, a été l’occasion pour Jérôme Safar, président du groupe Rassemblement de gauche et de progrès, d’exprimer son « ras-le-bol ». En cause : l’attitude de la majorité municipale, notamment lors des conseils et sa conception du débat démocratique.
« Nous verrons quelles seront les suites, s’il doit y en avoir, y compris de l’ordre de la plainte ! Le dossier est d’ores et déjà entre les mains de l’avocat du groupe », prévient Jérôme Safar, président du groupe Rassemblement de gauche et de progrès, cachant mal une colère froide. En cause, le tweet publié sur Twitter par l’adjoint au secteur 2, Antoine Back, lors du conseil municipal du 21 mars.
Ce tweet se terminait en posant la question d’un éventuel « trouble dissociatif de la personnalité » de Marie-José Salat, conseillère municipale de l’opposition de gauche. C’est plus qu’il n’en fallait pour Jérôme Safar, qui dénonce là « un niveau de violence verbale tout à fait regrettable » et exprime son « ras-le-bol ». Retiré depuis, il a été remplacé par un autre.
Dans le cas improbable où il aurait fallu préciser ma pensée…#CMGrenoble pic.twitter.com/TbxkxqDvgB
— Antoine BACK (@abkgrenoble) 21 mars 2016
« Le maire l’a cautionné »
Le dernier conseil municipal, qui s’est déroulé ce lundi 21 mars, a fait figure d’exception. A plusieurs titres. Notamment sa durée qui n’aura pas excédé… trois heures et demie – une première – et un ordre du jour qualifié d’anémique par les opposants. Avec ses trois interruptions de séance, également. Une première dédiée à l’intervention d’un membre des Conseils citoyens indépendants (CCI) qui interpellait, fait nouveau, le maire sur le devenir de l’Orangerie. Une seconde où Jacqueline Hubert, la directrice générale du Centre hospitalier universitaire de Grenoble (CHU), a présenté un important projet de réorganisation du complexe hospitalier.
Ajoutez à cela l’interruption demandée par le groupe Rassemblement de gauche et de progrès. En cause : la découverte du fameux tweet après lequel l’ensemble du groupe a quitté, « indigné », l’enceinte de l’assemblée délibérative.
Que disait ce tweet ? Il reprochait à Marie-Josée Salat, conseillère municipale de l’opposition de gauche, de demander des précisions sur un projet porté par la Métropole. Un projet dont elle est, par ailleurs, membre du comité de pilotage. Pour l’élue, ce message était doublement insultant. « Outre qu’il mettait en cause ma personnalité, il laissait entendre que je ne comprenais pas très bien ce qui revient à la Métropole et ce qui revient à la ville de Grenoble », s’offusque-t-elle.
Et de s’étonner subséquemment de l’absence de réaction du maire et qu’il ne se soit pas positionné au-dessus de la mêlée. « À défaut de dénoncer le contenu de ce tweet, par sa non-réponse, le maire l’a cautionné », souligne amèrement Marie-José Salat.
« Je les mets tous dans le même sac »
Quoi qu’en pense l’élue, Éric Piolle, le maire de Grenoble, n’est pas resté sans réagir, mais peut-être pas dans le sens attendu. « J’aurais moi-même pu faire un livre sur toutes les invectives qui m’ont été adressées durant la campagne municipale […], sans parler des mensonges extrêmement graves qui auraient pu créer des situations incontrôlables », a rétorqué le maire.
Et de préciser son attitude face aux réseaux sociaux. « Quels que soient les groupes politiques auxquels appartiennent les auteurs de tweets mettant en cause des élus, je les mets tous dans le même sac. » Ce dernier en convient, le débat politique est certes souvent rugueux. « Ce genre de débordements arrive. Laissons-les glisser mais ne laissons pas passer quand il y a des attaques personnelles ou des insultes », conclut-il. Pas de quoi satisfaire Marie-José Salat…
« Depuis deux ans, le bilan s’alourdit ! »
Pour Jérôme Safar, cet incident est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Bien qu’affirmant ne pas souhaiter monter l’événement en épingle, l’élu estime que celui-ci « interpelle réellement sur la conception qu’a cette équipe [la majorité, ndlr] de l’action publique et du débat démocratique à Grenoble ». Une réaction à froid qui traduit bien le malaise de l’opposition de gauche. Celle-ci n’a de cesse de tirer, depuis bientôt deux ans, la sonnette d’alarme quant à l’impéritie supposée de la majorité et à son absence de dialogue constructif avec ses opposants. Maintenant c’est « ras-le-bol ! », lance-t-il.
En tête des critiques, Jérôme Safar fustige l’absence de débats constructifs aboutissant, au fil des mois, à des ordres du jour de conseil municipal plus que maigrelets.
Une manière de mettre la poussière sous le tapis, selon lui. « L’équipe municipale cherche, avant tout, à masquer ses difficultés à donner une prospective claire et nette aux Grenoblois qui sont en droit de l’attendre de leurs élus », explique-t-il.
« Depuis deux ans, le bilan s’alourdit », estime Jérôme Safar. Et d’énumérer, tapant du poing sur la table, une longue liste de sujets importants et jamais débattus. Notamment la politique des services publics, de prévention et de sécurité, la licéité des marchés publics organisés par la Ville, l’absence de réflexion sur les orientations de la politique culturelle… Autant de thématiques moult fois évoquées par le groupe au cours de ces deux ans qui n’ont pas fait l’objet de délibérations cadres, à son grand regret.
« De l’exemplarité démocratique à la discrétion démocratique »
Manque de transparence, annonces privilégiant la presse, absence de réelle concertation sur les dossiers… « En deux ans, nous sommes passés de “l’exemplarité démocratique” à la discrétion démocratique », persifle Jérôme Safar. Mais pas seulement. L’élu relève le passage « du souffle nouveau à l’absence de prospective et de ligne claire ». Signe, selon lui, d’un manque cruel de vision à moyen terme. Bref, l’élu en est convaincu, il l’aura d’ailleurs répété à l’envi, « le discours municipal se heurte à la réalité face à laquelle la panne est avérée ».
Et d’asséner : « Lorsqu’il n’y a plus rien à dire, c’est l’arrogance, le mépris, les moqueries, l’insulte le cynisme qui prennent le relais. »
Une attitude qui prend un sens tout particulier au cours des commissions municipales, qualifiées par le groupe de chambres d’enregistrement. Tout au moins celles où les oppositions sont représentées, ce qui n’est pas toujours le cas.
« Nous sommes tout de même dans une ville où la droite ne siège plus en commission d’appels d’offres, ne siège pas au comité d’avis culture… C’est du jamais vu que des élus démissionnent d’une commission parce qu’ils ont le sentiment de ne servir à rien, même du temps où Alain Carignon menait sa ville et son conseil municipal à la “schlague”. » Le signe révélateur d’un dysfonctionnement majeur selon Jérôme Safar.
« On les connaît par cœur ! »
« Les Grenoblois, entre eux, pour rire, lorsqu’ils veulent expliquer à quelqu’un qu’ils ne feront pas quelque chose disent qu’ils vont le coconstruire », relate Jérôme Safar. « Ça nous fait tous rire, mais c’est dévastateur parce que ça veut dire qu’un terme qui avait du sens devient un élément de langage signifiant que l’on remet des décisions aux calendes grecques. »
Tout un symbole, selon l’élu : « Quand on dévoie une notion positive à ce point-là en deux ans, ça veut vraiment dire qu’il y a des choses graves, derrière ! »
« Quand nous disons “ras-le-bol, trop c’est trop !”, c’est parce que nous savons très bien ce qui est engagé, ici. Nous ne sommes pas à Grenoble dans un laboratoire démocratique mais dans un laboratoire politique ! », martèle-t-il.
Jérôme Safar croit bien reconnaître, dans le fameux tweet, l’ADN de l’extrême gauche qui se caractérise, selon lui, « par la violence verbale qui s’adresse à la personne, uniquement à la personne ». Pour le président de groupe, ce n’est pourtant pas faute d’avoir dénoncé cet ADN avant les municipales. « On les connaît par cœur ! Je dois reconnaître qu’avec talent ils ont su le masquer de façon remarquable. En particulier, en planquant Élisa Martin autant qu’ils pouvaient le faire. »
Joël Kermabon