Fellag. credit Denis Rouvre

Fellag : « J’ai d’a­bord écrit pour des rai­sons politiques »

Fellag : « J’ai d’a­bord écrit pour des rai­sons politiques »

TROIS QUESTIONS À – Mohamed Fellag, dit Fellag, fête les deux décen­nies de sa car­rière fran­çaise. Une suc­ces­sion de spec­tacles seuls en scène – ou one-man-show, même si le terme ne sied pas tout à fait – per­met aujourd’­hui au frin­gant sexa­gé­naire algé­rien de jouer la carte de la rétros­pec­tive avec un best of, Bled Runner, pro­grammé à l’Heure bleue de Saint-Martin-d’Hères le jeudi 21 jan­vier 2016.

Fellag ©  Denis Rouvre

Fellag. © Denis Rouvre

Voilà vingt ans que Fellag a débar­qué en France, chassé de son Algérie natale par la guerre civile, ou “décen­nie noire”. C’est à Grenoble qu’il a d’a­bord vécu pen­dant deux ans, jouant ses spec­tacles dans sa langue mater­nelle pour les Algériens vivant là.

À mesure que les fran­co­phones ont grossi les rangs de son public, ses spec­tacles, seuls en scène, se sont fran­ci­sés. Lui ne croyait pas son humour expor­table ou même tra­dui­sible. Heureusement, il se trompait.

1997. Il gagne la capi­tale et ren­contre le suc­cès que l’on sait avec « Djurdjurassique Bled ». Un one-man-show aux accents auto­bio­gra­phiques qui pose déjà les bases de son humour. Plutôt qu’­hu­mo­riste, d’ailleurs, Fellag est conteur. Il a le verbe haut, fleuri. Les textes de ses spec­tacles sont le plus sou­vent publiés, du reste. Il se sert de ce talent pour tis­ser des his­toires por­tées par un nar­ra­teur qui, à l’oc­ca­sion, inter­prète les per­son­nages qu’il esquisse.

Écrivain, comé­dien, humo­riste, conteur… autant de facettes dont l’ar­tiste va nous par­ler à l’oc­ca­sion de son retour à l’Heure bleue de Saint-Martin-d’Hères, où il a déjà joué par le passé. Entretien.

En Algérie, vous avez suivi des études de théâtre à l’Institut natio­nal d’art dra­ma­tique et cho­ré­gra­phique d’Alger. Vous avez ensuite débuté et pour­suivi une car­rière de comé­dien, tout à fait hono­rable, pour le théâtre comme pour le cinéma ou la télé­vi­sion algé­rienne. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire vos pre­miers one-man-show ?

Déjà au théâtre, j’a­vais une fibre comique. Mes inter­ven­tions fai­saient beau­coup rire. Mais quand, vers 35 ans, je me suis mis à écrire mon pre­mier spec­tacle, je ne l’ai pas fait pour le rire, d’a­bord, mais pour des rai­sons politiques.

En octobre 1988, il y a eu ces évé­ne­ments qui ont conduit à la fameuse décen­nie noire en Algérie [guerre civile d’une grande vio­lence qui entraîna la mort d’au moins une cen­taine de mil­liers de per­sonnes, ndlr]. La même année, j’ai quitté le théâtre tra­di­tion­nel pour écrire mes propres spec­tacles. Le théâtre conti­nuait de jouer des pièces clas­siques ou contem­po­raines avec des sujets plus géné­raux, plus universels.

Moi, j’a­vais envie de racon­ter ce qui se pas­sait dans la rue. Je trou­vais que la rue avait beau­coup d’hu­mour au vu des évé­ne­ments poli­tiques. Les gens avaient une façon extrê­me­ment intel­li­gente et ori­gi­nale de racon­ter les bou­le­ver­se­ments poli­tiques qui se jouaient à ce moment-là. J’avais envie qu’on entende ça au théâtre. J’ai com­mencé à écrire. Ça m’a per­mis, dans un même temps, d’ex­pri­mer mon tem­pé­ra­ment comique et de racon­ter des his­toires poli­tiques et socio­lo­giques de mon temps.

En 1995, vous fuyez l’Algérie où sévit la guerre civile meur­trière débu­tée quatre ans plus tôt. Quelle inci­dence votre arri­vée en France aura-t-elle sur votre car­rière de conteur et d’humoriste ?

La pre­mière année où j’é­tais à Grenoble, je répon­dais ainsi aux gens qui me deman­daient si j’al­lais jouer en fran­çais : « Je ne peux pas parce que cet humour-là, algé­rien, est si par­ti­cu­lier. Il vient d’une autre langue qui a ses propres codes, sa propre poé­sie. » Il m’é­tait très dif­fi­cile de pas­ser de la langue algé­rienne à la langue fran­çaise que je maî­tri­sais bien par ailleurs, comme beau­coup d’Algériens. Et puis je me disais que, de toute façon, je ne res­te­rais que deux ou trois ans, le temps que ça se calme en Algérie. Je pen­sais y retour­ner pour conti­nuer ma car­rière là-bas.

Mais l’his­toire en a voulu autre­ment et, à force d’être là, j’ai conti­nué à jouer pour des asso­cia­tions ou pour des petits théâtres à Grenoble, à Lyon, et un peu par­tout en France. Au début, uni­que­ment pour des Algériens. Mais petit à petit, les repré­sen­tants des asso­cia­tions me disaient qu’il y avait dans l’as­sem­blée des Français ou des immi­grés d’o­ri­gine algé­rienne qui ne par­laient pas l’al­gé­rien. Donc j’in­tro­dui­sais du fran­çais dans mon spec­tacle de manière impro­vi­sée. Je tra­dui­sais à ma façon. Je me suis rendu compte que ça mar­chait bien. Je suis donc passé au fran­çais très naturellement.

Et puis, comme le spec­tacle Djurdjurassique Bled a com­mencé à se faire connaître [Il a obtenu le Prix de la révé­la­tion théâ­trale de l’an­née du Syndicat de la cri­tique en 1998. ndlr], j’ai été obligé de quit­ter Grenoble pour Paris parce que je devais jouer pen­dant plu­sieurs mois dans un même théâtre…

Bled Runner est pré­senté comme un best of, autre­ment dit comme une com­pi­la­tion des spec­tacles joués pen­dant ces deux décen­nies en France. Était-ce le moment pour vous de regar­der dans le rétroviseur ? 

Fellag © Denis Rouvre

Fellag, à l’Heure bleue jeudi 21 jan­vier, avec « Bled Runner » © Denis Rouvre

Bled Runner est une sorte de com­pi­la­tion, oui, mais un peu par­ti­cu­lière car ce ne sont pas des mor­ceaux joués les uns der­rières les autres. C’est un voyage à tra­vers mon écri­ture depuis mon départ de l’Algérie. Mais il y a aussi des extraits tota­le­ment inédits, le tout racon­tant une his­toire com­plète allant de l’en­fance d’un Algérien qui aurait 5 ans pen­dant la guerre d’Algérie et qui arri­ve­rait en 1995 en France au moment où il quitte son pays pour fuir les évé­ne­ments que vous connaissez.

Dans mon pré­cé­dent spec­tacle, Petits chocs des civi­li­sa­tions, je com­mence par mon arri­vée en 1995. Dans Bled Runner, je ter­mine par cette date. Car je constate qu’au­jourd’­hui, vingt ans après avoir fui la vio­lence de mon pays, les évé­ne­ments nous rejoignent. C’est aussi un peu pour ça que j’ai décidé d’é­crire ce spec­tacle de cette façon-là. Parce que l’his­toire nous rat­trape par le tricot.

Propos recueillis par Adèle Duminy

Infos pra­tiques

L’Heure bleue
Avenue Jean Vilar à Saint-Martin-d’Hères

« Bled Runner »
De et avec Fellag – Mise en scène : Marianne Épin
Jeudi 21 jan­vier, à 20 heures
De 7,50 à 27 euros

Et aussi à L’Heure bleue : « La gràànde finàle »

"La gràànde finàle", à l'Heure bleue, le mardi 26 janvier 2016. © Alex Giraud

« La gràànde finàle », à l’Heure bleue, le mardi 26 jan­vier 2016. © Alex Giraud

Nous n’a­vons pu voir à l’a­vance cette « gràànde finàle » mais l’ar­gu­ment, ainsi que le mariage des dan­seurs de la com­pa­gnie Volubilis avec les musi­ciens du groupe Monofocus, laisse pré­sa­ger une jolie surprise.

Ça raconte quoi ? Une his­toire émi­nem­ment contem­po­raine : une dizaine de dan­seurs concourent afin de rem­por­ter une épreuve dont un seul sor­tira vain­queur. Ils répètent ainsi jus­qu’à l’é­pui­se­ment une même figure imposée.

Métaphore de nos shows de télé-réa­lité ou allé­go­rie d’une vie vouée à la per­for­mance jus­qu’à l’u­sure ? Nous ver­rons. En atten­dant, point d’in­quié­tude quant au carac­tère tra­gi­que­ment plom­bant du mes­sage : une bonne dose de bur­lesque semble souf­fler sur le tout. Et puis, il y a les Monofocus dans le rôle de l’or­chestre dont la musique accé­lère inexo­ra­ble­ment son tempo jus­qu’à la chute.

Infos pra­tiques 

À l’Heure bleue de Saint-Martin-d’Hères, en par­te­na­riat avec La Rampe d’Échirolles, dans le cadre de Concentré de danses 

La gràànde finàle
« Marathon de danse pour 12 inter­prètes en fin de course »
Mardi 26 jan­vier, à 20 heures
De 7 à 19 euros

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