REPORTAGE VIDÉO – Lancé le 14 mars 2015 sur le thème « Les musiques de l’exil », la 5e édition du festival Détours de Babel porté par le Centre international des musiques nomades bat son plein. Jusqu’au 3 avril 2015, plus de 80 rendez-vous dédiés aux « musiques en devenir » sont programmés. Manifestation protéiforme et innovante, mêlant musiques du monde et jazz aux écritures contemporaines, les Détours de Babel savent aussi prendre des risques.
Enchaînement de concerts, salons de musiques, brunchs, conférences, expositions, lectures et projections dans toute l’agglomération… Les Détours de Babel ont atteint leur vitesse de croisière. Plus de 80 manifestations au service d’une programmation très éclectique et aussi, en fil rouge : l’exil.
Un exil incarné par deux cents étranges silhouettes de personnages vus de dos, colorées, omniprésentes sur les différents lieux du festival. Le résultat plastique et sonore d’un grand projet participatif organisé avec les MJC de Grenoble, Fontaine et Voiron. « A travers l’exil, c’est la question de notre identité, de l’autre, de la différence qui est posée » explique Benoît Thiebergien, le directeur du festival. Et de poursuivre : « Il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde, nous disait malicieusement Pierre Desproges en son temps. Et il avait raison… Profitons-en ! ».
Retour en images sur quelques-uns des temps forts de ces dernières journées. Notamment sur les nouveaux rendez-vous de fin d’après-midi, les salons de musique, dans les murs chargés d’histoire de la Maison de l’International. Une manière de retrouver les artistes en solo ou en duo dans un espace plus intime, quasiment au contact des artistes.
RéalisationJK Production
Un festival pas seulement pour les bobos
« Nous souhaitons faire de la culture pour tous et partout. Nous sommes dans les théâtres, dans les salles, dans les lieux de patrimoine, dans les quartiers, les espaces publics, dans les bibliothèques, à l’hôpital, dans les établissements scolaires et les écoles de musique » a rappelé Benoît Thiebergien, directeur du festival, lors de son inauguration. Et de poursuivre, un peu sur la défensive : « Le festival investit plus de 48 lieux différents pour toucher un public le plus ouvert possible, pas seulement les bobos, comme on voudrait nous le faire croire parfois ! ».
Des mots lâchés pour lutter contre une étiquette qui colle un peu à la peau des Détours de Babel. Celle d’un festival “intello” aux musiques difficiles, expérimentales et avant-gardistes réservées à un public branché de bourgeois bohèmes. Un procès injuste pour Benoît Thiebergien qui défend « un festival des musiques en mouvement, en création, en recherche sur le monde et sa diversité culturelle ». Lequel attirerait, au contraire, des publics « très mélangés, transgénérationnels, et touchant beaucoup de catégories sociales d’origines diverses ».
Un festival fait de détours pour emprunter les chemins de traverse des esthétiques « pour mieux dévoiler le tempo du monde, ses mélodies et ses timbres, à la recherche de nouvelles identités musicales et composites, à l’image de notre société multiculturelle ». En conclusion, on appréciera la formule : « Nous voulons l’élitisme pour tous, nous n’avons pas peur des gros mots », résume le directeur du festival.
Des rencontres musicales improbables
Dépasser le cadre des grandes œuvres, ne pas jouer la sécurité des têtes d’affiche, créer des rencontres, tels sont les axes forts des Détours de Babel, selon Cyrille Colombier, chef du Chœur académique lycéen, qui dirigera la création « Des voix pour l’exil ».
« Ce n’est pas qu’un festival de musiques contemporaines, un festival de musique baroque ou encore de jazz. Au contraire, ce festival autorise des rencontres parfois un peu improbables impliquant une certaine prise de risques et je trouve ça remarquable » déclare-t-il.
Et de préciser : « Quand on met, par exemple, Yasser Haj Youssef avec les Musiciens du Louvre, ça peut donner un projet fantastique ou tout aussi bien ne pas fonctionner ! ». Le chef de chœur pose la question : est-ce qu’aujourd’hui, aller au spectacle ce ne serait pas aussi savoir prendre le risque d’aller voir des choses, de faire des découvertes ? « Ça marche ou ça ne marche pas, mais c’est aussi comme ça que peut avancer la création artistique ».
Jasser Haj Youssef, « aventurier de la musique »
A chaque édition, son coup de cœur. Cette année, le choix des programmateurs s’est porté sur le violoniste et compositeur tunisien Jasser Haj Youssef, un invité emblématique que l’on retrouve à l’affiche de plusieurs spectacles. « Un musicien atypique, un aventurier de la musique, une personnalité musicale tout à fait en résonance avec ce que nous défendons aux Détours de Babel sur cette ouverture, cette dimension transculturelle de la musique », explique le directeur du festival.
Nous avons rencontré le jeune compositeur à l’occasion d’une répétition générale, juste avant le concert qu’il a donné avec les Musiciens du Louvre à l’Odyssée à Eybens, le 19 mars dernier. Il nous parle des circonstances de sa rencontre avec les Détours de Babel et du travail qu’il présentera avec le chœur académique lycéen.
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Que l’on se rassure toutefois ! Il reste d’autres occasions d’apprécier les multiples talents de Jasser Haj Youssef. Notamment, le mercredi 1er avril à la salle Olivier Messian, avec le chœur académique lycéen, et le jeudi 2 avril à 18 h 30 à la Maison de l’international, dans le cadre des salons de musique.
Haut les chœurs !
Lors de la soirée intitulée « Des voix pour l’exil », c’est donc un chœur de lycéens qui interprétera une pièce composée par Jasser Haj Youssef — Solitudi, solitudo — écrite « sur mesure ». Mais aussi des pièces de répertoires ancien et contemporain. Une manière de mettre en miroir ces deux axes.
En filigrane, comme un leitmotiv, toujours, le thème de l’exil, en l’occurrence celui des Babyloniens [pour mémoire, Babel est le nom hébreu de Babylone, ndlr] avec des œuvres inspirées du psaume 137 de l’ancien testament.
Un pari audacieux engagé dès l’automne 2014 par l’équipe du festival, le compositeur et près d’une centaine de lycéens et professeurs de musique de l’académie de Grenoble. « Le principal problème que nous avons rencontré a été celui des distances. Nous ne pouvions pas réunir trop souvent les personnes venant d’assez loin dans l’académie » confie le chef de chœur Cyrille Colombier. Mais le résultat est là.
Pour les retardataires, le festival se poursuit encore pendant une semaine. De quoi partir à la découverte d’itinéraires musicaux concoctés sans détours pour le coup… Alors ? Babel la vie ?
Joël Kermabon
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