BLOG – On ne va pas se mentir : il n’y avait hélas pas vraiment foule dans la soirée, au « week-end du retrogaming », qui se tenait à la Casemate samedi 29 novembre. Un ou deux couples, une poignée d’enfants, quelques gamers endiablés, et votre serviteur tout de même qui était bien content de ne pas avoir à se battre pour pouvoir essayer chaque machine.
Du passé, faisons table pleine !
Votre serviteur, qui était bien content également de pouvoir suivre une courte mais passionnante conférence sur le thème de la discipline du joueur, et d’échanger quelques mots avec des passionnés. Des vrais, soucieux de parler avec respect de ce loisir sans tomber dans les outrances ou les provocations de bas étage.
Votre serviteur, qui était bien content encore de pouvoir revisiter l’exposition « À quoi tu joues ? », où se déroulait cette journée retrogaming. Un vrai coup de cœur que cette réflexion sur l’évolution des technologies vue à travers le jeu vidéo, volontiers ludique, inventive et interactive.
Vous avez toujours rêvé de pouvoir jouer à Pac-Man tout en pédalant ? La Casemate vous le propose, et vient de reporter au 26 juillet 2015 la clôture de l’exposition. Juste pour être sûre que vous n’ayez plus d’excuses.
King Pong
En attendant, les lieux étaient également pris d’assaut par des machines d’un autre temps, aux gros pixels qui tachent, sur des télévisions antiques, nanties de joypads ou de joysticks archaïques et délirants. L’occasion pour moi de voir en vrai des consoles dont je n’avais jamais qu’entendu parler, et dont certaines me faisaient rêver lorsque j’étais enfant.
Par exemple ? La Nec PC Engine, qui connut une diffusion plutôt confidentielle en France mais dont les qualités préfiguraient la génération des consoles 16 bits, autrement dit la Megadrive et la Super Nintendo, qui allaient changer le monde vidéoludique. Ou encore la Neo-Geo, une console haut de gamme au prix parfaitement inabordable, au sein d’un marché pourtant déjà largement onéreux.
Ce n’est cependant pas là que j’ai trouvé mon plus grand bonheur. La preuve encore une fois que l’amusement ne dépend pas des seules performances d’une machine.
Je ne dis pas que je n’ai pas pris plaisir à jouer Metal Slug sur Neo-Geo ou Parodius sur la Nec. Ce sont deux jeux parfaitement hilarants et très agréables à manier. Mais je me suis surpris à bien plus m’acharner sur une partie de Donkey Kong sur Colecovision, un véritable dinosaure au pad improbable.
Quant à la Vectrex, autre antiquité s’il en est, elle nous offrait la possibilité de jouer à Mine Storm, un clone d’Asteroids au gameplay fascinant : votre vaisseau tourne sur lui-même, un bouton vous permet de tirer, un autre de vous téléporter au hasard, et le troisième de vous propulser en avant. Le jeu est minimaliste au possible avec ses graphismes en fil de fer, mais sa prise en main est parfaite et son intérêt toujours intact.
Rétro, c’est trop
Parce que c’est aussi – et surtout – cela qui est en jeu dans le retrogaming : prendre contact avec un temps qui, aussi passé soit-il, n’est pas nécessairement révolu. Le fait est que le jeu vidéo est encore trop souvent perçu comme une produit de seconde zone, et uniquement analysé sous l’angle de sa rentabilité économique. Dans un cas comme dans l’autre, on ne s’attardera pas sur son Histoire, comme si les jeux d’hier avaient pour vocation d’être jetés à la poubelle dès que leurs successeurs arrivent sur le marché.
Certes, la question de savoir si le jeu vidéo est ou non le « dixième art » fait rage, y compris au sein de la communauté des joueurs, mais une chose est certaine : il est au minimum une discipline dont les évolutions n’invalident ni ses racines, ni ses fondements. Et c’est un fait dont l’industrie du jeu vidéo elle-même s’est bien moquée durant des années : fidèle à la logique consumériste qui fonde son modèle économique, elle se souciait bien peu de la conservation dans le temps de ses propres créations.
Il suffit cependant de jouer quelques minutes à des jeux aussi “primitifs” qu’un Pac-Man pour se rendre compte que nous sommes en présence d’une réalisation impliquant une volonté narrative, un agencement technique, une conception graphique et une condition d’interactivité pour établir son principe ludique. Une œuvre, en somme. Tellement réussie que l’on s’y abandonne toujours, presque par réflexe, trente ans plus tard.
Seb n’a pas vendu que des grille-pains : en 1977, le groupe lance la Telescore, sa seule incursion dans le monde du jeu vidéo. DR
Que les graphismes soient moins beaux, les pixels plus gros qu’aujourd’hui, les animations plus saccadées ou les bruitages quelquefois approximatifs n’enlève rien au plaisir de jouer à des jeux qui ont quinze, vingt ou trente ans. Pas plus que l’arrivée de la couleur et du parlant n’a réduit à néant la beauté et la force des chefs‑d’œuvre du cinéma muet. Ces jeux nous parlent de leur époque, sont une contextualisation immédiate de leurs décennies, et témoignent de l’inventivité de leur concepteurs.
Les Neiges d’antan
L’Histoire du jeu vidéo reste à être écrite, me disait à raison Yace de l’association RetroGame Alpes, avec qui j’ai eu la chance de discuter quelques minutes. Pour le moment, elle s’écrit elle-même dans un désordre aussi réjouissant que confus, grâce à la passion de quelques-uns, collectionneurs aguerris qui redoublent d’ingéniosité pour maintenir en vie des machines souvent fatiguées, ou programmeurs avertis qui émulent ces modèles d’un autre temps pour les ressusciter sur nos PC d’aujourd’hui.
Car aussi décriés furent-ils, suspectés d’être violents, demeurés, drogués voire
épileptiques, ce sont des joueurs des premières générations qui se sont mobilisés pour recueillir la mémoire de leur loisir favori et lui permettre de perdurer. Qui ont compris que le jeu vidéo n’est pas un produit de consommation comme un autre. En ouvrant à son tour ses portes au videogame en 2013, le MoMA de New-York leur a finalement donné raison.
Une belle revanche ? Même pas : ce n’est pas en quête de respectabilité que ces joueurs ont pris leurs responsabilités et agissent activement à la préservation de l’Histoire du jeu vidéo. C’est par passion et par amour. La même passion et le même amour qui vous animera, l’espace de quelques minutes, quand vous appuierez sur le bouton start de votre manette Super Nintendo pour lancer une partie de Tetris à l’ancienne.
Pardonnez-moi, prince (of Persia), si je
suis foutrement moyenâgeux…
Florent Mathieu