REPORTAGE – Ce samedi 22 novembre, un forum sur les Médias et quartiers populaires était organisé à la MC2 par des habitants de la Villeneuve. Une initiative en réaction au reportage très critiqué Villeneuve : le rêve brisé, diffusé en septembre 2013 dans l’émission Envoyé spécial sur France 2. Mais aussi l’occasion de découvrir des expériences de médias citoyens et de débattre de la couverture par les médias traditionnels.
Le forum « Médias et quartiers populaires » se tenait samedi 22 novembre à la MC2. © Simon Challemet
LyonBondyBlog, LaTéléLibre, réseau MédiasCitoyens, BornyBuzz, Les Antennes, New’s FM, Radio Kaléidoscope, Radio Grésivaudan, L’École des métiers de l’information… Ils étaient nombreux à avoir fait le déplacement pour partager leur expérience de média citoyen, dans le cadre du forum sur les Médias et quartiers populaires organisé ce samedi par des habitants de la Villeneuve et Le crieur de la Villeneuve. Un média « hyper-local et participatif » selon les termes de son rédacteur en chef Benjamin Bultel. Apparu il y a à peine trois semaines sur Internet, son numéro 0 vient de sortir en version papier.
Droit de réponse et débats
© Joël Kermabon – Place Gre’net
Lors d’un Droit de réponse au reportage contesté d’Envoyé spécial, tout un chacun, habitant ou non à la Villeneuve, pouvait exprimer son mécontentement devant une caméra.
Les participants ont également eu la parole lors de débats sur les médias, animés par la Coordination nationale – Pas sans nous et le réseau MédiasCitoyens. Parmi les thèmes traités : le financement de la presse. Dégagés des contraintes publicitaires, des médias citoyens ont prôné le temps long pour analyser les sujets d’actualités.
Si ceux-ci disposent de peu de moyens, Thierry Borde, membre de Réseau MédiasCitoyens, a rappelé que les radios associatives à but non lucratif avaient droit à un fonds de soutien de la part de l’État depuis les années 1980. Même si, comme il l’a souligné, ce fonds d’un montant de 29 millions d’euros pour 650 radios associatives équivaut à peu près aux 23 millions d’euros de subventions que touchent cinq programmes télévisuels des chaînes publiques.
© Joël Kermabon – Place Gre’net
Vous avez dit journalisme de proximité ? Il en existe de deux sortes, la proximité pouvant être géographique ou idéologique. Une distinction qui a été soulignée lors des débats, parfois vifs.
Le court-métrage Guy Môquet de Demis Herenger a ensuite calmé les esprits. Mettant en scène des habitants de la Villeneuve, ce film, présenté à la Quinzaine des réalisateurs lors du dernier Festival de Cannes, a ému les spectateurs.
Une mobilisation citoyenne en demi-teinte
Alain Manac’h, organisateur de ce forum en tant que membre de l’association Villeneuve debout, s’est avoué un peu déçu par le nombre de participants à cette journée. Tout en rappelant que les habitants de la Villeneuve s’étaient vivement mobilisés un an plus tôt, en réaction au reportage controversé d’Envoyé spécial.
Réalisation JK Production
Benjamin Bultel, le jeune rédacteur en chef du Crieur de la Villeneuve, était pour sa part ravi de sortir les 100 premiers exemplaires de son nouveau média participatif. « Participatif » ? Oui ! les habitants de la Villeneuve sont appelés à venir proposer leurs idées d’articles lors de conférences qui se tiennent toutes les deux semaines.
Réalisation JK Production
Manquements déontologiques
Table ronde animée par Philippe Descamps, avec François Ollier, Anne-Marie Benoît et le Jérôme Berthaut, lors du forum Médias et quartiers populaires. © Simon Challemet
Interrogé sur le reportage d’Envoyé spécial par Philippe Descamps, rédacteur en chef du Monde diplomatique, François Ollier, représentant du Syndicat national des journalistes, a été clair. Pour l’ancien localier de France 3 Grenoble, il y a bien eu une « déformation des faits ».
Et ce dernier de juger, comme le CSA en novembre 2013, que la chaîne avait manqué aux obligations déontologiques. Il a en particulier regretté que seuls les aspects négatifs du quartier aient été mis en avant, stigmatisant l’ensemble du quartier de la Villeneuve.
François Ollier a également dénoncé la mise en scène du trafic d’armes, sans écarter la possibilité que le détenteur de l’arme ait été payé par les producteurs du reportage. Il a ensuite déploré les dérives du journalisme, dues en partie aux « boites de production privées » qui forment une « véritable mafia », d’après lui. A l’en croire, celles-ci fabriqueraient de l’information pour répondre à la demande et maximiser leurs profits et ne respecteraient pas la Charte déontologique des journalistes. Écrite en 1918, celle-ci n’a, au grand regret du syndicaliste, jamais été introduite dans la loi.
Des scenarii choisis par la rédaction
© Joël Kermabon – Place Gre’net
Le sociologue Jérôme Berthaut, interrogé sur son livre La banlieue du 20 heures. Ethnographie de la production d’un lieu commun journalistique (2013), est revenu sur la façon dont étaient réalisés les reportages du JT de France 2. Et plus particulièrement ceux portant sur les quartiers populaires.
Après avoir suivi au quotidien des reporters du JT de France 2 et analysé leur manière de choisir les personnes à interroger, il a remarqué que toutes les décisions venaient « d’en haut ». En clair, des rédacteurs en chef et des présentateurs de la chaîne.
Questions du public lors forum médias citoyens MC2 à Grenoble © Simon Challemet
En effet, les reportages du JT découlent non pas d’enquêtes journalistiques sur le terrain mais du scénario choisi par la rédaction de la chaîne. L’image des quartiers populaires véhiculée par le JT de France 2 résulte donc, selon le sociologue, des rapports hiérarchiques existant dans cette maison et non pas d’un travail sur le terrain.
Anne-Marie Benoît, juriste en droit des médias, est pour sa part revenue sur les modalités compliquées pour adresser un droit de réponse à des émissions audiovisuelles, qui feraient tout pour ne pas en recevoir. Ce n’est d’ailleurs, d’après elle, pas un hasard si la plupart des droits de réponse sont envoyés par de grandes entreprises ou des personnalités publiques en lien avec des avocats.
Au final, les participants ont pu réfléchir à la façon dont les médias pourraient donner une meilleure image des quartiers populaires, plus proche de la réalité. En donnant notamment la parole aux citoyens ? Le débat est lancé.
Simon Challemet