BLOG LITTÉRAIRE – Auteure-illustratrice, Loren Capelli vit entre Paris et Grenoble. Après un assez long silence éditorial, la voici qui revient avec un magnifique album solo, De ma fenêtre, publié aux éditions Courtes et longues. Minimalisme et délicatesse d’une histoire d’enfance, dans l’étonnement de soi et du monde.
Auteure-illustratrice, Loren Capelli vient de publier De ma fenêtre
Ma première rencontre avec un livre de Loren Capelli date de quelques années. Je découvrais alors son travail d’illustratrice. Elle m’avait prêté, je m’en souviens, deux ouvrages parus aux éditions Esperluète.
Première émotion devant un trait si resserré sur l’essentiel, accompagnant en toute liberté des textes dont l’intimité secrète dialoguait si bien avec son dessin à la fois frêle et impérieux.
Depuis ces débuts dans l’édition, un certain travail d’équilibriste de Loren s’est ainsi poursuivi : entre douceur et mélancolie, entre grisaille et couleur, repli et ouverture.
Des héros discrets
La page de couverture de l’album De ma fenêtre, signé Loren Capelli
Sans faillir et sans faiblir, c’est d’enfance qu’il est question presque toujours chez cette artiste entêtée. Il y a deux ans, elle exposait d’ailleurs à l’Art à la page (Paris) une série malicieusement intitulée Enfants de Loren.
De livre en album, ils commencent en effet par faire une famille nombreuse. Silhouettes souvent androgynes, visages insaisissables, ces héros discrets sont à l’âge où l’on bute sur des questions, sur du trop grand pour soi. L’étrangeté du monde, ce qui advient, ce qui disparaît, la peur de grandir, l’envie de solder l’enfance… C’est peut-être pour cela qu’ils replient souvent leur corps dans le rêve, le silence ou toute autre forme de retrait sibyllin.
Tristesse aérienne
La petite fille qui traverse l’album De ma fenêtre me semble de cette lignée. Secrète, boudeuse devant sa fenêtre, curieuse de la neige et du vent, rêveuse, repliée… Tiraillée entre l’envie d’avoir enfin sept ans et la lassitude des rituels. C’est toujours le même air. Je connais par cœur. Mais quelle tristesse aussi d’avoir sept ans en plein automne. Le gel par-dessus les herbes séchées… Plus rien ne bougera jusqu’au printemps. Rien pourtant qui sombre vraiment, juste une tristesse aérienne. Et en contre-point, la douceur d’un geste sur l’épaule de l’enfance, un sourire, un baiser, une phrase d’encouragement, le tissu bleu où se cacher, où jouer malgré tout.
Un monde en bleu
Une double page intérieure de De ma fenêtre
La mise en forme n’est pas la moindre élégance de cet album faussement simple. J’aime le jeu subtil entre le texte et les images, le premier disant parfois ce que les autres ne montreront jamais : le petit voisin à la crinière ébouriffée, le jardin où règne la mère de la petite. J’aime les décrochages, les images décalées du texte, la tentation du presque vide, le mystère inquiet qui persiste dans cette histoire de saisons et d’enfance, une disparition juste effleurée. Et que dire des quelques doubles pages où l’énergie bleutée confère aux paysages d’hiver ou à l’évocation du rêve une splendide présence ?
Art poétique
De ma fenêtre s’ouvre sur un désordre. C’est le grand bazar enfantin, le bric-à-bac dans lequel les doigts avides viennent puiser les matériaux du rêve. Est-ce la chambre de la fillette ou, comme plus loin, la pièce du père où tout était là pour se raconter un tas d’histoires ? L’inventaire des petits riens et des bouts de ficelle y est dressé soigneusement. J’y vois une forme d’art poétique, une déclaration sans doute auto-biographique, une invite à faire avec le monde autour de soi, patiemment. Un art sans esbroufe et sans fioriture.
De livre en livre, Loren Capelli n’a rien rabattu de son exigence : créer la profondeur des émotions sur le fil le plus ténu. L’usage de la couleur y reste serré : le pull rouge de l’enfant, le bleu du monde à la fenêtre, de timides fleurs jaunes. L’oscillation entre montrer et cacher vient rappeler enfin que l’enfance n’est que sensations ineffables, culte du mystère et infinies tractations avec l’invisible.
Danielle Maurel
À noter : l’album De ma fenêtre est sélectionné pour la Pépite de l’Album au salon du livre de jeunesse de Montreuil.
A lire aussi :
L’Amour à la récré – texte C. Dreyfuss – Frimousse 2010
Kid – texte Corinne Lovera Vitali – Rouergue 2010
Histoire d’un loup – texte J. Lamarca – Thierry Magnier 2009
C’est Giorgio – texte Corinne Lovera Vitali – Rouergue 2008, prix Rhône-Alpes du livre
La Petite – texte Pascale Tison – Esperluète 2005