Depuis l’automne 2008, sur l’initiative du Dr Olivier Jenny, l’Unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA)1 m’a confié l’animation d’une séance hebdomadaire de Yoga et relaxation à l’intention des quelque 350 personnes détenues à la maison d’arrêt de Varces. Retour d’expérience.
Le personnel de surveillance m’accueille chaque semaine avec gentillesse et efficacité. Certains, avec une pointe de jalousie souriante, me disent que leur métier est dangereux, stressant, éprouvant et qu’ils auraient besoin eux-mêmes… de suivre des cours de yoga.
Le yoga, un outil d’éducation à la santé
La pratique du yoga se révèle un atout majeur pour la santé. Le yoga n’est pas une thérapie en tant que telle, mais c’est un formidable amplificateur thérapeutique2. La détente physiologique et psychologique participe en effet drastiquement à la réduction du stress et de ses pathologies conséquentes. Ce constat est particulièrement vrai en prison, là où se déploient tant de détresses émotionnelles et de sentiments ravageurs, tels que la peur, la haine, la vengeance, la culpabilité, la honte, le regret, l’injustice, la jalousie, etc.
Les participants sont choisis parmi une liste de volontaires. La plage horaire interfère forcément avec d’autres impératifs majeurs du système pénitencier : la promenade, la douche, le travail, le parloir, la scolarité, le suivi juridique, les visites médicales, les démarches administratives internes ou auprès du Spip3. De plus, il convient de noter qu’une majorité4 des personnes détenues ne sont médicalement pas en état de participer à une activité qui requiert un minimum d’attention dans la durée.
Un noyau dur stable
Du fait de la nature même de la maison d’arrêt, la liste des participants change fréquemment. Néanmoins, quelques personnes détenues participent à l’activité depuis plusieurs années. Elles forment un noyau stable, sur lequel les nouveaux arrivants peuvent se greffer. Certains pratiquent quotidiennement dans leur cellule, et je les ai vus évoluer au fil du temps. D’autres demandent à participer à des cours de yoga uniquement pour avoir une occasion de sortir de cellule, de rencontrer du monde. Au début, ils restent assis et regardent sans participer. J’ai une règle d’or : celui qui vient n’est pas obligé de pratiquer, mais il doit rester calme et silencieux. Je refuse que quiconque fume (c’est d’ailleurs interdit), fasse du bruit ou dérange le cours. Au bout d’une ou deux séances, cette personne ne vient plus ou bien intègre le cours.Le yoga postural
Le corps, qui ne triche jamais – ni avec les mots, ni avec les maux – réagit à l’incarcération, caractérisée par l’isolement (physique, intellectuel, affectif, sexuel), la promiscuité, la surpopulation, l’exiguïté des cellules et, bien sûr, la réduction des libertés. Le travail postural est donc non seulement un vecteur privilégié de transformation physique – étirement, renforcement, réalignement, espacement, relâchement – mais aussi un lieu de découverte du corps, depuis le petit bobo jusqu’à la pathologie plus lourde.Le cœur éthique du yoga, c’est la non-violence
Pratiquer le yoga, en prison comme ailleurs, c’est se donner une chance – trop souvent minimisée, mais toujours bien réelle – de repérer les pulsions de violence et les orgueils de toute puissance. Je ne connais ni les histoires ni les dossiers de ces élèves. Cela m’évite la tentation du discours bienveillant mais inopérant. A Varces comme avec mes autres élèves, les séances sont faites d’ateliers qui conduisent à prendre conscience, ressentir, voir, écouter l’être qui agit là sur le tapis et non pas celui que le mental croit ou imagine. Toujours revenir à la sensation corporelle, à la respiration, à l’observation du mental. Quelle que soit l’histoire des blessures personnelles, la réalité corporelle, le bagage culturel, la capacité créative, le niveau intellectuel, j’invite chacun à revenir au miracle de ce corps vivant, de ce cœur battant, de ce cerveau pensant, à cette émotion qui surgit, là, maintenant, juste à l’instant. Car le crime et le meurtre prennent toujours racine dans le souvenir des souffrances passées ou dans la projection imaginaire du futur. La capacité à tenir le corps debout, là, immobile devant les pensées anarchiques, la capacité à regarder les émotions « venir et partir » et rester sans trembler, la capacité à vivre entièrement l’instant présent est, assurément, la plus grande des assurances santé. Attention, conscience, méditation Apprendre à repérer le mouvement du balancier intérieur, qui parfois bascule en une fraction de seconde, faisant passer de l’apathie à la violence. Anticiper le passage à l’acte, sur soi ou sur l’autre, apprendre à regarder, donc déjouer, les pulsions agressives de soi, de l’autre. Oui, la santé est le fruit conséquent de l’attention à soi, de l’attention à l’autre. Les séances de méditation amènent à la conscience du corps, de l’esprit, des émotions. Sans cette conscience, nous sommes un robot, une marionnette. Et non pas un acteur de la vie. Les bénéfices Le yoga fait du bien au point de vue psychique : cela calme l’anxiété. Cela fait du bien aussi au point de vue régulation du sommeil, de l’appétit, de la vitalité. A Varces, je ne me suis jamais senti en danger et me sens respecté. Il a fallu quelque temps pour que les effets du yoga à Varces soient perçus. Les années passant, il y a eu le témoignage essentiel de ceux qui quittent la prison. Mais aussi ceux des visiteurs de prison, des différents métiers de l’UCSA, notamment Yves Chauchaix5, le porteur du projet, sans qui rien n’aurait été possible. Sans ces retours positifs, jamais cette activité, pour laquelle je suis rémunéré, n’aurait été reconduite annuellement depuis six ans. Mais le plus important à mes yeux, c’est ce que disent ou écrivent les prisonniers eux-mêmes lors de leur détention, voire même après le temps de détention. Voici quelques expressions glanées au fur et à mesure des échanges. Après un atelier « postures, tapping et automassage » « Les séances de yoga sont très utiles en prison. C’est bien parce qu’on est tous stressé. C’est mieux de se détendre plutôt que de prendre des dragées. Cela permet d’avoir une alternative à la musculation et la pratique sportive intense. Trop de sport, ce n’est pas bon. Trop n’est jamais bon. Le yoga permet de moyenner. C’est une hygiène de vie. Une rencontre avec moi. Permet de respirer correctement. Je me reprends. C’est une remise en question. Chaque personne prend du yoga ce qui lui convient. On n’a pas tous le même corps et on fait avec le corps qu’on a, suivant nos capacités. Certains ont plus de facilité sur l’expiration, d’autres sur l’inspiration. Le yoga, c’est la découverte du corps, comme je ne l’avais jamais ressentie. Avec les sensations, c’est comme si j’étais ailleurs, comme une évasion. Être ailleurs pendant une heure… puis après c’est vite oublié. » Après un atelier de pranayama et de yoga du rire « Pendant la phase de pranayama6, la respiration a changé, j’ai eu mal à la tête comme quand on fume de la beuh ou respire de la colle. Pendant la phase de rire, ça faisait mal aux abdos. J’ai même pleuré. Mais après, quand ça s’arrête, j’ai ressenti de l’apaisement. Ça fait du bien à tout le corps. Maintenant, je me sens léger, sans poids. On se sent bien, il y a de la joie et j’ai pleuré. Détente du visage. Comme un massage abdominal. J’ai senti une décharge dans les bras et le visage. Apaiser, se libérer de tout. Il y a des tensions qui sont parties. Le rire oblige à respirer profondément. Evacuer les tensions. Il y a un effet de groupe. Comme une communion. » Après un atelier de concentration puis de focalisation du regard « Impossible de garder les yeux ouverts, ça pique trop. Je manque de concentration. Là, sans penser, c’est difficile de fixer un point. Pas de concentration, la tête est ailleurs. » « Ça m’a donné envie de dormir. J’ai eu peur. Si j’ai chahuté, c’est pour me réveiller.Mal à fixer sur un point. Je pense à plusieurs choses. J’ai les yeux qui piquent. » « J’ai du mal à me concentrer, c’est mieux avec un contrôle de la respiration. » « Difficile de rester dans le moment, j’appréhende ce qui va se passer. » « J’ai l’impression d’être attaché et que je vais me noyer. » « C’était assez facile, ça ne pose pas de problème. A quoi ça sert de faire ça ? » Les difficultés propres à l’activité yoga Pour de nombreuses et pertinentes raisons propres au milieu pénitencier, le règlement intérieur est lourd et contraignant. Il est compliqué de mettre en place une activité régulière, quelle qu’en soit la nature. En ce qui concerne le cas particulier du yoga, il me faut traverser neuf portes de sécurité pour accéder à la salle polyvalente. Elle ne peut accueillir qu’une quinzaine de personnes par séance. Elle est plutôt bien chauffée, mais le sol est assez froid l’hiver et il y a très peu de lumière du jour, comme partout dans le bâtiment. Elle est située juste au dessus du « mitard », cette cellule disciplinaire qui peut devenir, par périodes brèves, extrêmement bruyante. Horaire, sortie de cellule, agenda de la salle, acquisition et disponibilité de livres, propreté des tapis… Tout nécessite de nombreuses démarches et autorisations administratives, beaucoup de temps en prises de contact, explications, écoute et compréhension mutuelles. En effet, les intérêts des différents métiers s’entrecroisent avec, parfois, des exigences pas évidentes à concilier. Et toujours une même priorité donnée à l’aspect réglementaire et sécuritaire des personnes et des lieux. André Weill N.B. : L’autorisation administrative pour dispenser des cours de yoga a été donnée par la direction de la prison et le financement est assuré par l’Association socioculturelle et sportive, via l’Agence régionale de santé.
Les établissements pénitentiaires en France Ils sont répartis en deux catégories : les maisons d’arrêt, qui concernent des personnes en attente de jugement. Et les établissements pour accomplissement de peine. Au premier février 2014, il y a avait au total 67 820 personnes détenues en France7. A la même date, 35 670 agents de l’administration assuraient le fonctionnement des établissements. Soit à peu près un agent pour deux personnes détenues.
La santé en prison « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social ». Cette définition est celle de l’Organisation mondiale de la santé. Elle implique que tous les besoins fondamentaux de la personne soient satisfaits, qu’ils soient affectifs, sanitaires, nutritionnels, sociaux ou culturels. Comme chaque établissement en France, la maison d’arrêt de Varces est jointe à un établissement de santé, en l’occurrence le CHU de Grenoble. Celui-ci est en charge, au sein de la prison, de la politique de prévention et d’éducation à la santé, des consultations et des soins courants aux personnes détenues. Des locaux et des équipements spécifiques sont mis à sa disposition.1 Unité de consultations et de soins ambulatoires 2 Yves Mangeart – CLC Eybens – Avril 2011 3 Service de probation et d’insertion professionnelle 4 80 % des personnes détenues seraient sous médicaments psychotropes. 5 Yves Chauchaix, animateur en éducation pour la santé 6 Pranayama : respiration intense 7 Source « CFDT Magazine » N°402 avril 2014