ENTRETIEN – Indignés numériques des « attaques faites à la République », plusieurs jeunes militants de formations politiques différentes se sont inopinément retrouvés les organisateurs d’une Marche des Républicains le 8 décembre prochain à Paris. Le socialiste grenoblois Benjamin Rosmini est l’un d’entre eux. Outre les objectifs de ce rendez-vous, il détaille le rôle qu’ont pris les réseaux sociaux en politique.
À 25 ans, Benjamin Rosmini est étudiant en deuxième année à l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Grenoble. S’il est plus âgé qu’une grande partie de ses camarades, c’est que son parcours scolaire diffère. Issu d’une famille « non-politisée ayant connu plusieurs générations d’artisans », il est orienté contre son gré vers la voie professionnelle, « après un collège mal vécu ». BEP pâtisserie-chocolaterie en poche, « pour rassurer la famille et l’institution scolaire », Benjamin Rosmini enchaîne plusieurs petits boulots. Il s’intéresse parallèlement à la politique en adhérant, en 2007, aux Jeunes socialistes. Il passe son baccalauréat à 23 ans au collège et lycée élitaire pour tous (CLEPT) de la Villeneuve à Grenoble, et finit par intégrer Sciences-Po après un an de droit. En 2012, il prend la tête du groupe Homosexualités et Socialisme (HES) de Grenoble, avant une actualité politique forte, celle du mariage pour tous. Alors que les débats se cristallisent autour du projet de loi, Benjamin Rosmini est la cible d’une menace de mort par courrier. Ayant récemment intégré le bureau national de HES, il y est notamment en charge de la communication sur les réseaux sociaux. Une fonction qu’il occupe également aujourd’hui dans l’équipe de campagne de Jérôme Safar, actuel premier adjoint au maire de Grenoble et candidat socialiste à l’élection municipale de mars prochain. Vous êtes l’un des organisateurs de la Marche des Républicains qui se déroulera le 8 décembre prochain à Paris et en régions. Quelle est la genèse de ce projet ? Comme beaucoup de Français, j’ai été choqué des sifflets contre François Hollande lors de la cérémonie de commémoration du 11 novembre dernier. Ce n’était plus seulement l’homme politique qui était visé, mais également l’Etat. Lors d’une journée comme celle-ci, il y a traditionnellement une union nationale. Ces sifflets et les actes de violence qui ont suivi ont sali cet acte de mémoire. Rapidement, il y a eu une forte réaction sur Twitter autour du hashtag, #MarcheDesRépublicains. Connaissant très bien le fonctionnement des réseaux sociaux, je me suis empressé de déposer le nom de compte @MDRepublicains pour devancer une récupération de la formule par des groupuscules qui n’ont rien de républicain. En parallèle, d’autres personnes ont eu la même réaction que moi sur d’autres supports. Nous avons rapidement été submergés par l’ampleur que cela prenait. Et sans même nous être rencontrés, nous avons organisé, le soir-même, une vidéoconférence pour décider de la suite des évènements. Qu’en est-il sorti ? Nous avons pris conscience que cet engouement était la concrétisation d’une indignation partagée vis-à-vis des attaques faites contre la République et ses valeurs. Par exemple, les propos racistes à l’égard de Christiane Taubira, l’antisémitisme dont a été victime Jean-François Copé, l’abattage de l’arbre de la laïcité à Angers, les actes d’homophobie en marge de la loi sur le mariage pour tous et, plus récemment encore, la prise pour cible de la presse par le tireur parisien. Je comprends qu’il y ait des oppositions qui expriment leur désaccord. Mais elles doivent rester dans le cadre républicain. Comment procédez-vous pour réunir un maximum de personnes, le 8 décembre prochain ? Pour le moment, nous démarchons via les réseaux dont nous disposons du fait de notre expérience de militants. Chacun, à travers la sensibilité politique qui est la sienne, trouve des relais auprès des responsables associatifs, syndicaux et militants. Prochainement, un appel sera publié dans la presse avec plusieurs signataires de renom derrière une charte commune. L’objectif est qu’un maximum d’associations, de syndicats, de mouvements citoyens et de citoyens tout court nous rejoignent pour une marche unitaire défendant certaines valeurs qui méritent la concorde nationale. Le Parti de Gauche estime que vous êtes manipulés par le président François Hollande et le Premier secrétaire du PS, Harlem Désir pour mobiliser les foules une semaine après la manifestation qu’ils organisent pour plus de justice fiscale. Notre mouvement est transpartisan. Sur les quatre porte-parole à l’origine du projet, on compte deux militants socialistes, un de l’UDI et un autre de l’UMP. En raison du calendrier électoral, la Marche des Républicains est considérée avec suspicion mais notre message s’adresse à la majorité comme à l’opposition. Nous leur disons : vous n’êtes parvenus ni l’un, ni l’autre à répondre à cette inquiétude des citoyens. Mobilisez-vous pour le faire. Par ailleurs, l’inquiétude n’est pas seulement le fait de militants politiques. Une majorité de citoyens sont en dehors des partis et se mobilisent. C’est aussi à eux que nous nous adressons. Quand la parole politique est remise en cause et qu’une méfiance s’installe à l’égard des élus, des actes citoyens peuvent faire bouger les lignes. Comment répondre aux inquiétudes de récupération de la marche qui pourraient dissuader d’y participer ? En nous rejoignant ! Seule la diversité des participants la dépolitisera. Plus ils seront nombreux et représenteront un maximum d’opinions, plus le rassemblement sera hétéroclite et transpartisan. Peut-être suis-je utopiste, mais j’ai l’impression qu’il y a une nouvelle génération qui souhaite faire évoluer le débat politique et sortir de l’opposition permanente. Tout juste trente ans après la marche pour l’égalité et contre le racisme, l’histoire se répète-t-elle ? C’était un autre contexte et les actes racistes étaient d’une autre gravité. Mais il est important de rappeler régulièrement nos valeurs communes. Nous avons eu des contacts avec des participants à la marche des Beurs qui souhaitent organiser un événement pour célébrer cet anniversaire. Ils sont un peu crispés à l’idée de rejoindre notre marche, craignant une récupération. J’espère qu’ils iront jusqu’au bout et que nous pourrons nous rassembler à cette occasion. Qui qu’il en soit, nous serons très vigilants à la réponse qui sera faite à l’issue de cette marche. Si nous mobilisons fortement, nous attendons que le chef de l’Etat se saisisse de cette inquiétude et qu’il engage des mesures pour y faire face. Quelles sont les valeurs unitaires que vous porterez lors de cet appel ? Nous nous inscrivons dans un certain héritage du Conseil national de la résistance qui, dans le contexte beaucoup plus grave et décisif de l’après guerre, avait réussi à créer l’union des différents organismes politiques – des communistes aux libéraux – autour de valeurs fondamentales partagées. Notre génération n’a pas connu cette époque. Il est donc impératif de rappeler les valeurs de laïcité, de respect des personnes, de lutte contre toutes les discriminations et de respect de l’institution de l’État. C’est une ligne de crête délicate à tenir, car nos positions politiques nous pousseraient parfois à ajouter d’autres valeurs à cette marche. Mais la discussion permanente entre les différents porte-parole est une gymnastique nécessaire pour que l’appel soit réellement transpartisan, pour un front républicain plus fort et plus uni que jamais. Vous marcherez pour des valeurs partagées. Mais identifiez-vous également des opposants communs ? Nous ne pouvons pas directement les nommer pour des raisons de sécurité. Mais nous combattons les idées de certains groupuscules qui, par exemple, n’ont jamais accepté l’élection de François Hollande et se saisissent désormais de tous les rassemblements publics pour la remettre en cause. Il s’agit notamment de groupes qui se sont illustrés dans l’opposition au mariage pour tous et qui infiltrent aujourd’hui le mouvement des bonnets rouges, alors qu’ils ne sont ni bretons, ni agriculteurs. Ils s’en prennent à des équipements de l’État pour contester sa légitimité. Ils surfent sur l’abstention et le rejet du politique, espérant faire vaciller l’État par des actes extrémistes et violents. Les réseaux sociaux amplifient-ils ces phénomènes selon vous ? Il s’agit d’un outil formidable pour qui sait s’en servir. C’est leur cas. La parole y est débridée, avec l’idée que l’expression numérique n’est pas celle du monde physique et que les lois ne sont pas les mêmes. Il y a de réels déchaînements sur les réseaux sociaux, qui vont même parfois jusqu’à des appels à la mort du président de la République. À l’inverse, quels avantages les réseaux sociaux apportent-ils à la vie politique aujourd’hui ? Pour le militant de base, ils sont désormais un moyen de sortir des barrières de son parti pour s’exprimer. Cela a également permis d’augmenter la transparence de certains élus qui partagent leurs positions et leur emploi du temps. Enfin, c’est la possibilité de solliciter directement son élu. Encore faut-il que la formulation soit respectueuse et que la question ne soit pas une simple provocation. Dans tous les cas, l’élu est libre d’y répondre et se doit de le faire, à mon sens. Les réseaux sociaux peuvent aussi être utilisés pour prendre la température de la société et sonder les avis sur certaines mesures. Ils ne doivent cependant pas être les seuls indicateurs car la proportion de personnes présentes sur les réseaux sociaux n’est pas représentative de la société. La présence numérique est-elle désormais incontournable en politique ? C’est un outil supplémentaire. Les politiques n’ont rien à gagner à être présents sur les réseaux sociaux. Mais ils ont beaucoup à perdre en y étant absents ! Le message doit aller à l’essentiel car la langue de bois sur Twitter, ça ne marche pas. Et les personnalités politiques doivent gérer elles-mêmes leur compte. Vous êtes en charge des réseaux sociaux dans la campagne de Jérôme Safar pour l’élection municipale à Grenoble. Quel conseil pouvez-vous lui donner ? Jérôme Safar a aujourd’hui son compte personnel qu’il gère seul. Je lui conseille d’être lui-même et de montrer qui il est. Il doit révéler l’homme derrière le costume cravate de l’élu, en ne partageant pas uniquement des faits politiques. Sur le compte de campagne, notre souhait est de porter un message positif. D’exposer le bon bilan de la municipalité sortante, en démontrant que Grenoble est une ville préservée de la crise économique. Propos recueillis par Victor Guilbert Photos de Véronique Serre L’entretien a été réalisé le mercredi 20 novembre au restaurant « Le Moderne », 11 Rue Hébert à Grenoble. Il n’a pas été soumis à relecture.Extrait d’ouvrage choisi par Benjamin Rosmini « L’attrape-cœur » de Jérôme David Salinger : « Et moi je suis planté au bord d’une saleté de falaise. Ce que j’ai à faire, c’est attraper les mômes s’ils approchent trop près du bord. Je veux dire s’ils courent sans regarder où ils vont, moi je rapplique et je les attrape. C’est ce que je ferais toute la journée. Je serais juste l’attrape-cœurs et tout. D’accord, c’est dingue, mais c’est vraiment ce que je voudrais être. » La conviction qu’il en tire J’ai découvert le goût de la lecture assez tardivement, grâce à ce livre notamment. C’est l’histoire d’un jeune décrocheur scolaire, en crise existentielle, qui se sent inutile mais qui souhaite partager sa vision du monde. Je me suis évidemment reconnu en lui. C’est pour moi un roman très politique concernant la scolarité difficile, rendu accessible par une prose simple.- Consultez ici les autres entretiens politiques du Dimanche de Place Gre’net.