ENTRETIEN – Déçu par la concentration « parisienne » des décisions du parti centriste, Christian Coigné prépare sa démission de l’Union des démocrates indépendants (UDI). Le maire de Sassenage, meneur de la fronde des élus locaux contre les emprunts toxiques de la banque Dexia, s’agace également du désengagement de l’État qui laisse les maires seuls face à leurs responsabilités « grandissantes ». Pour autant, cela ne l’empêche pas de se présenter à sa propre succession.
Propos recueillis par Victor Guilbert
Photos de Nils Louna
L’entretien a été réalisé le jeudi 14 novembre, dans le bureau de Christian Coigné, à la mairie de Sassenage. Il n’a pas été soumis à relecture.
Engagé dans la vie associative de Sassenage « depuis toujours », Christian Coigné a pris goût à la politique suite à son élection en qualité de secrétaire de l’office municipal des sports dans les années 80. Il apparaîtra ensuite dans l’équipe de Dominique Valeille, candidat victorieux aux municipales en 1983, après six mandats de Roger Deschaux, dans la commune située aux pieds du Vercors. Sous l’exécutif RPR de la nouvelle municipalité, il adhère pour sa part à l’UDF qu’il quittera en 2007. Il s’écarte de la vie politique en 1987 pour une parenthèse montpelliéraine, où il dirige la branche d’une entreprise de matériel électrique basée à La Tronche.
En 1995, il devient le leader de l’opposition à Sassenage, après la défaite de l’équipe municipale sortante. Il se présente en 2001 et obtient le fauteuil de maire. Il est également élu, en 2010, président de la fédération de l’Isère du Nouveau centre d’Hervé Morin, qui appartient aujourd’hui à la confédération des partis de centre droit de l’UDI. Il est, par ailleurs, vice-président de l’association des maires de l’Isère.
Enfin, Christian Coigné mène au plan national, avec d’autres élus locaux, la bataille judiciaire contre les emprunts toxiques de Dexia.
Avant toute chose, vous souhaitez nous faire part d’une décision. Quelle est-elle ?
Je m’apprête à quitter l’Union des démocrates indépendants. Je ne supporte plus l’entremise du bureau national dans toutes les décisions politiques locales. Ils oublient l’intérêt général des citoyens qui passe par la vie locale. Les partis politiques nous sectarisent en nous cantonnant à une idéologie. C’est dépassé. Je n’ai plus de temps à consacrer à cela. Je ne souhaite plus avoir d’autres intérêts que ceux de Sassenage à gérer. Cela m’occupe de 7h du matin à 22h le soir, sans que je ne puisse tout faire.
Jean-Louis Borloo appelle, par exemple, le lundi pour prévenir qu’une réunion est fixée le mercredi soir à Paris. Cela bloque deux jours dans la semaine aux élus locaux. C’est impossible. Le parisianisme tue la vie politique.
Je resterai donc adhérent du Nouveau centre mais je prévois de démissionner du bureau départemental de l’UDI.
Le bureau de la fédération iséroise de l’UDI – auquel vous siégez toujours pour l’instant – soutient Matthieu Chamussy pour les élections municipales à Grenoble. Cependant, Nicolas Pinel, missionné par Jean-Louis Borloo pour représenter les intérêts de l’UDI à Grenoble, assure lui qu’aucune décision n’est prise. Cette dichotomie de l’UDI participe-t-elle à votre décision ?
La centralisation des décisions du parti ne fonctionne pas. Les cadres dirigeants n’ont pas conscience du contexte local. Il y a un an, je souhaitais qu’une liste UDI soit montée sur Grenoble pour participer à la visibilité du parti. Jean-Louis Borloo m’avait répondu par la négative. La tête de liste pour Grenoble était, selon lui, donnée à l’UMP. Je lui avais pourtant présenté la situation grenobloise. Celle d’une droite n’arrivant pas à se décider et exaspérant ses électeurs. Il fallait que l’UDI soit moteur du rassemblement.
Nicolas Pinel souhaite monter une liste, en revendiquant faussement l’aval de Jean-Louis Borloo. Ce qui était envisageable il y a un an est aujourd’hui impossible à seulement quatre mois des élections. Contrairement aux autres personnalités de la droite, Matthieu Chamussy nous assure de co-construire son projet. Le bureau départemental de l’UDI a demandé à Jean-Louis Borloo d’écarter Nicolas Pinel et de le démettre de sa mission à Grenoble. Mais l’instance nationale de l’UDI refuse d’adopter une position claire et laisse pourrir la situation.
Quand démissionnerez-vous ?
J’ai consulté les membres du bureau et les ai avertis de ma volonté. Je démissionnerai certainement début décembre, sauf si le bureau national tranche en notre faveur à la réunion de mardi prochain.
L’UDI s’est rapprochée la semaine dernière du Modem de François Bayrou. Comprenez-vous cette entente ?
J’y étais personnellement opposé. Le Nouveau centre avait proposé un amendement qui acceptait une alliance, mais par absorption du Modem au sein de l’UDI, qui est déjà la fédération de plusieurs partis. Jean-Louis Borloo a accepté cette union par amitié avec François Bayrou. Mais il a oublié de considérer la déception qu’incarne ce dernier pour une partie de l’électorat centriste depuis la présidentielle.
Pour avoir travaillé avec lui au sein de l’UDF, je sais que c’est un homme égoïste. Son intérêt électoral prime dans les décisions du parti. Les personnes qui l’entourent et celles qui représentent le Modem sur le territoire sont des apparatchiks qui le soutiennent. Comment pouvons-nous aujourd’hui travailler avec les militants du Modem sur le territoire, après les avoir tant combattus ? La politique n’est pas qu’une question d’alliance. C’est aussi une histoire de personnes.
Je n’accepte plus le diktat parisianiste dans la gestion des enjeux locaux. Les partis politiques, comme les pouvoirs publics, sont déconnectés des réalités de nos territoires.
Qu’est-ce qui vous fait dire que les pouvoirs publics négligent également le local ?
30% des maires isérois ne se représenteront pas en 2014. Sous ce gouvernement, comme sous le précédent, il y a une décentralisation technique et financière des responsabilités de l’État, mais pas des décisions. Au final, il s’agit donc d’un désengagement, pas d’une décentralisation. Cela alourdit les responsabilités des maires, tout en les isolant.
Par exemple, à Sassenage, où les digues du Furon sont vieillissantes et menacent de se percer à plusieurs endroits. La rénovation coûtera 3,2 millions d’euros. Le financement est disponible depuis un an. Mais au moment de démarrer les travaux, la préfecture m’a averti que des études sur les poissons devaient être au préalable réalisées pendant un an. Si une inondation survient, je serai en revanche le seul responsable. A chaque fois qu’il y a de fortes pluies et que le Furon monte, je m’inquiète car les digues peuvent exploser et inonder la plaine.
Dexia a été débouté le mois dernier de ses poursuites pour diffamation à l’encontre d’un reportage d’Envoyé Spécial. Vous avez été entendu comme témoin dans le procès car vous aviez participé au reportage. Comment interprétez-vous ces conclusions judiciaires ?
C’est la reconnaissance que tout ce qui a été dit dans le reportage est vrai. Je déclarais que nous avions été abusés par les commerciaux de cet établissement bancaire, suite à un réaménagement d’emprunt en 2010, établi avec un taux d’intérêt trompeur. Alors que le prêt initial était de 4,2 millions d’euros, nous devrions aujourd’hui rembourser un total de 14 millions d’euros.
Le procès a été difficile à vivre car les avocats de Dexia cherchaient à nous pousser à bout pour obtenir des informations avant l’audience qui nous opposera à eux l’année prochaine. Nous réclamerons 19 millions de dédommagement.
Vous avez décidé en juin 2012 de ne plus payer les intérêts de l’emprunt, mais seulement le capital. N’est-ce pas une façon d’endosser le rôle du « frondeur » pour faire oublier aux Sassenageois la contraction du prêt ?
Nous étions 52 collectivités iséroises à avoir contracté ces emprunts ou réaménagements d’emprunts. Même le socialiste Didier Migaud l’avait fait pour la commune de Seyssins et pour la Métro. Or, à l’époque, je n’étais pas un expert bancaire et financier, contrairement à lui qui était président de la commission des Finances à l’assemblée nationale et qui est aujourd’hui premier président de la Cour des comptes.
L’opposition sassenageoise me reproche aujourd’hui cet aménagement d’emprunt, mais il est dans la vie économique des communes d’emprunter pour investir. Elle ne parviendra pas à faire oublier qu’à mon élection, en 2001, j’ai trouvé un état des finances catastrophique. Le préfet souhaitait même mettre la commune sous tutelle. L’affaire Dexia n’a, pour l’heure, rien coûté aux Sassenageois, contrairement à d’autres villes. Les impôts locaux n’ont pas augmenté et nous continuons d’investir 4 millions d’euros par an. Les intérêts de l’emprunt sont bloqués, avec l’aval de la chambre régional des comptes, jusqu’à ce que nous ayons la décision de justice définitive.
Il serait pourtant plus facile d’augmenter les impôts et de payer la dette. Une simple délibération en conseil municipal suffirait, alors que faire des économies de fonctionnement et mener l’affaire en justice représente un travail du quotidien.
Dans ces conditions, serez-vous candidat à votre succession en mars 2014 ?
Je souhaite effectuer au moins un nouveau mandat car j’ai un projet de ville qui s’échelonne sur six ans. Le passage de l’agglomération grenobloise en métropole va changer la ville. Les maires auront moins de compétences, notamment en matière d’urbanisme. Les élus de l’agglomération souhaitent densifier Sassenage car c’est la seule ville où demeurent des terrains libres et constructibles. Mais nous sommes la seule commune de l’agglomération à posséder un tel patrimoine touristique, de nombreuses zones de loisirs et un office de tourisme.
Je souhaite donc protéger le poumon sassenageois de l’agglomération grenobloise en obtenant le label « ville classée tourisme » qui préservera la ville des déformations urbaines. Il faut laisser le choix d’habiter dans des immeubles en cœur d’agglomération ou dans des maisons individuelles en périphérie.
Deuxièmement, j’ai redressé les finances de la commune et je ne voudrais pas que cela retombe. Je souhaite également continuer mon combat judiciaire contre Dexia. Les électeurs choisiront. Je ne suis pas accroché à ce mandat, mais j’ai encore toute mon énergie à y consacrer.
Extrait d’ouvrage choisi par Christian Coigné « La formule de Dieu » de José Rodrigues Dos Santos : « À la fin du Silence se trouve la réponse, À la fin de nos jours se trouve la mort, À la fin de notre vie, un nouveau commencement. » La conviction qu’il en tire J’ai aimé ce livre qui donne – par un roman facilitant la lecture – une version argumentée, technique et scientifique de l’origine de l’Univers et de son développement. Ce livre nous interroge sur notre origine, par-delà son créateur, en expliquant que toute conséquence découle d’une cause. Nous remontons à travers la lecture d’une conséquence à une cause. Mais quelle est la cause à l’origine du Bing-Bang ? Simplement passionnant.- Consultez ici les autres entretiens politiques du Dimanche de Place Gre’net.