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Librairie Voiron : Les libraires s'organisent contre Leclerc

Leclerc à Moirans : les libraires mobilisés

Leclerc à Moirans : les libraires mobilisés

REPORTAGE – Les petits libraires n’ont pas dit leur der­nier mot. Alors que le pro­jet d’es­pace cultu­rel Leclerc à Moirans pour­rait être aban­donné, les librai­ries indé­pen­dantes du Voironnais res­tent sur leurs gardes. Pour autant, l’en­nemi numéro un ne se cache pas dans un centre com­mer­cial, mais der­rière un écran. Profitant de la gra­tuité des frais de port, la vente en ligne, Amazon en tête, gri­gnote des parts de mar­ché. La pro­po­si­tion de loi, qui doit être exa­mi­née par le Sénat, remet­tra-t-elle les pen­dules à l’heure ?

Librairies indépendantes : Chemain à Voiron Les libraires mobilisés contre Leclerc

Les librai­ries indé­pen­dantes du Pays voi­ron­nais sont inquiètes alors qu’un espace cultu­rel Leclerc est en pro­jet.
© Patricia Cerinsek / pla​ce​gre​net​.fr

Elles luttent et résistent mais jus­qu’à quand ? Les librai­ries indé­pen­dantes sont sur la corde raide. Partout en France, les ventes de livres se tassent. La faute à la crise éco­no­mique, mais pas seulement.
L’ennemi numéro un dans le sec­teur du livre, c’est Amazon. Le géant amé­ri­cain du com­merce en ligne gri­gnote, chaque année, un peu plus de parts de marché.
Alors, for­cé­ment, quand les libraires du Voironnais, à Voiron, Rives, Moirans ou Tullins, ont vu débou­ler le pro­jet de centre cultu­rel Leclerc, prévu à Moirans sur 500 m², leur sang n’a fait qu’un tour. 
La mort annon­cée ne devrait tou­te­fois pas avoir lieu. En tout cas pas de cette manière. D’après nos infor­ma­tions, l’en­seigne aurait en effet fina­le­ment fait machine arrière. Tout du moins, elle se serait enga­gée ora­le­ment à reti­rer l’es­pace culture et loi­sirs de son pro­jet de centre com­mer­cial. Contacté, le por­teur de pro­jet, le direc­teur du centre Leclerc Comboire à Échirolles, a refusé de s’exprimer. 
Un pre­mier pro­jet reto­qué 

Librairies indépendantes : Chemain à Voiron Les libraires mobilisés contre Leclerc

Quel ave­nir pour le livre, entre vente en ligne et e‑book ?
© Patricia Cerinsek / pla​ce​gre​net​.fr

L’espace cultu­rel fai­sait par­tie du pre­mier pro­jet de super­mar­ché pré­senté devant la com­mis­sion dépar­te­men­tale d’é­qui­pe­ment com­mer­cial (CDAC) en jan­vier 2013. Il avait été retoqué.
Une seconde ver­sion, sans l’es­pace cultu­rel cette fois, devrait être pré­sen­tée devant la com­mis­sion avant la fin de l’année. 
Pour poser un pied en terres voi­ron­naises, le centre Leclerc va-t-il revoir sa copie et faire des com­pro­mis ? Tirer un trait sur l’es­pace livres, sur l’ac­cès direct depuis la route dépar­te­men­tale pour évi­ter qu’un Comboire bis ne voit le jour ?
« Le Pays voi­ron­nais est favo­rable à ce pro­jet », sou­ligne le pré­sident de la com­mu­nauté d’ag­glo­mé­ra­tion, Jean-Paul Bret, « mais il doit s’in­té­grer dans un nou­veau quar­tier, équi­li­bré, avec des acti­vi­tés ».
En jan­vier der­nier, les deux voix pour, du maire de Moirans et du repré­sen­tant des consom­ma­teurs, n’a­vaient pas suffi pour obte­nir l’a­vis favo­rable de la CDAC. 
Un équi­libre précaire
Le livre peut-il espé­rer souf­fler en atten­dant le pro­chain avis de tem­pête ? Car l’é­qui­libre est pour le moins précaire. 

Laurence Mani-Poncet, co-gérante de la librairie Chemain à Voiron les libraires mobilisés contre Leclerc

Pour Laurence Mani-Ponset, à la librai­rie Chemain à Voiron, « la situa­tion est ten­due ».
© Patricia Cerinsek / pla​ce​gre​net​.fr

« La situa­tion est ten­due. Il nous suf­fi­rait d’un souffle d’air pour vaciller ». Entre les piles de livres de la librai­rie Chemain à Voiron, Laurence Mani-Ponset conti­nue de défendre son métier avec pas­sion. Pas ques­tion de bais­ser les bras.
Les chiffres auraient pour­tant de quoi don­ner le bour­don. En France, la marge nette des libraires est tom­bée à 0,6 % du chiffre d’af­faires en 2011.
« Le peu que l’on gagne sert tout juste à payer les charges et les salaires, les­quels sont très bas » constate celle qui, avec son mari, a repris cette librai­rie fami­liale au cœur de Voiron, il y a quatre ans.
Eux aussi vont peut-être devoir faire des com­pro­mis, mais pour sur­vivre. Car dif­fi­cile, avec deux bou­tiques en centre-ville et donc deux loyers, de joindre les deux bouts. « Pour arri­ver à être équi­li­bré, il y a des chances qu’on ferme un maga­sin… »

Libraires indépendants : Chemain à Voiron Les libraires mobilisés contre Leclerc

Entre 2003 et 2010, le chiffre d’af­faires des libraires indé­pen­dants a baissé de 5,4 %. La loi Lang ne suf­fit plus à enrayer la baisse face à l’ar­ri­vée de nou­veaux concur­rents sur le mar­ché.
© Patricia Cerinsek / pla​ce​gre​net​.fr

Entre 2003 et 2010, le chiffre d’af­faires des libraires indé­pen­dants a baissé de 5,4%. La loi Lang sur le prix unique du livre, votée en 1981 pour faire face à l’ar­ri­vée sur le mar­ché de géants comme la Fnac, ne suf­fit plus pour aider les petits libraires qui luttent à armes inégales.
La gra­tuité des frais de port, dis­tor­sion de concurrence ?
L’horizon n’est pour­tant pas fon­ciè­re­ment bou­ché. Un plan en faveur des librai­ries a été engagé par la ministre de la Culture et de la Communication. Celui-ci pré­voit une baisse de la TVA sur le livre (*) mais aussi des dis­po­si­tifs de sou­tien en faveur des libraires indé­pen­dantes, finan­cés à hau­teur de 11 mil­lions d’eu­ros par des fonds publics et de 7 mil­lions par les éditeurs. 
« C’est bien mais ce n’est pas suf­fi­sant », déplore Laurence Mani-Ponset. « Et puis, les mesures ne seront pas mises en place avant 2014 ». 
Or pour les petits libraires, le temps presse. Et la mesure phare – l’en­ca­dre­ment de la vente du livre sur Internet – divise. Adoptée à l’u­na­ni­mité par l’Assemblée natio­nale, la pro­po­si­tion de loi doit être exa­mi­née par le Sénat.
Laurence Mani-Poncet, co-gérante de la librairie Chemain à Voiron les libraires mobilisés contre Leclerc

« La gra­tuité des frais de port n’existe que dans les pays où l’on a mis en place le prix unique ». Laurence Mani-Ponset.
© Patricia Cerinsek / pla​ce​gre​net​.fr

Aujourd’hui, tout com­mer­çant peut concé­der un rabais de 5 % sur le prix du livre. Mais la vente en ligne dis­pose d’un autre atout dans sa manche, autre­ment plus per­sua­sif : la gra­tuité des frais de port quel que soit le mon­tant des achats. Une manière pour les libraires de « détour­ner la loi Lang ».

« Cette gra­tuité des frais de port n’existe que dans les pays où l’on a mis en place le prix unique », constate Laurence Mani-Ponset. « C’est clai­re­ment fait pour détour­ner la légis­la­tion ! »
Premier visé : Amazon, dont le siège est basé à Luxembourg. Le syn­di­cat de la librai­rie fran­çaise n’y va pas par quatre che­mins, poin­tant « la poli­tique de dum­ping d’Amazon (…) finan­cée par l’é­va­sion fis­cale. Sur les der­nières années, ce n’est pas moins d’un demi-mil­liard d’eu­ros qu’Amazon devrait à l’État fran­çais ».
Si la loi est votée par le Sénat, les acteurs de la vente en ligne devront choi­sir entre la remise de 5 % et la gra­tuité des frais de port. Le syn­di­cat de la librai­rie s’en féli­cite, mais pas tous les libraires. Et encore moins Amazon qui y voit une mesure dis­cri­mi­na­toire et nui­sible au pou­voir d’a­chat. « Toute mesure visant à aug­men­ter le prix du livre péna­li­se­rait d’a­bord le pou­voir d’a­chat des Français et crée­rait une dis­cri­mi­na­tion pour le consom­ma­teur sur Internet », avait ainsi déclaré le géant amé­ri­cain à l’AFP.
Loi anti-Amazon : une demi-mesure ?

Libraires indépendants : Chemain à Voiron Les libraires mobilisés contre Leclerc

Les libraires indé­pen­dantes ont d’autres armes. Les lec­teurs sont-ils prêts à se battre à leurs côtés face à la réa­lité éco­no­mique ?
© Patricia Cerinsek / pla​ce​gre​net​.fr

Alors, demi-mesure ? « Il aurait fallu inter­dire la gra­tuité des frais de port pour mettre tout le monde à concur­rence égale », juge la libraire de Voiron.
La mesure sera-t-elle suf­fi­sante, alors que les petits com­mer­çants doivent aussi se battre contre l’aug­men­ta­tion des charges et, notam­ment, des loyers en centre-ville, et des délais de livrai­son qui se ral­longent, à l’heure où le consom­ma­teur-lec­teur vit pour ainsi dire dans l’immédiateté ?
Les petites librai­ries ont pour­tant d’autres armes. « On vend du conseil, des paquets cadeaux, des retours faciles sans pas­ser par La Poste » égrène Laurence Mani-Ponset. Ce sont aussi des ren­contres avec les auteurs, des ani­ma­tions dans les classes, la pré­sence sur des mani­fes­ta­tions locales comme « Livres à vous » ou « Femmes plurielles ». 
Un enga­ge­ment humain plus qu’une réa­lité éco­no­mique. C’est aussi cette dimen­sion-là dont doivent prendre conscience les lec­teurs. A l’aube du livre numé­rique, les libraires indé­pen­dants savent qu’a­vec ou sans super­mar­ché Leclerc, la par­tie n’est pas encore gagnée…
Patricia Cerinsek 
* Sous Nicolas Sarkozy, la TVA sur les livres était pas­sée de 5,5 % à 7 %. Depuis le 1er jan­vier 2013, le taux a été réta­bli à 5,5 %. Une loi votée le 29 décembre 2012 pré­voit que le taux doit encore être réduit à 5 % au 1er jan­vier 2014. 
Entre remises et rabais
Le libraire se rému­nère grâce à la remise accor­dée par l’é­di­teur (ou le dif­fu­seur) sur le prix des livres. Lesquelles remises varient selon les mai­sons d’é­di­tion mais aussi chez un même édi­teur en fonc­tion notam­ment de ses collections.
En moyenne, la remise est de 30 %. « Trente pour cent, c’est ce qu’il faut pour faire tour­ner une librai­rie, explique Laurence Mani-Ponset. Ce qui signi­fie que la marge nette est infé­rieure à 1 % ».
Vous croyez qu’un libraire passe le plus clair de son temps à lire les ouvrages qu’il conseille ? Non, il négo­cie et jongle avec les chiffres et les pourcentages.
Car le libraire doit accor­der des remises sur les livres qu’il vend à l’Etat et aux col­lec­ti­vi­tés. Si le rabais est de 9 % pour les biblio­thèques, stric­te­ment enca­dré par la loi, la remise peut être autre­ment plus consé­quente pour d’autres marchés.
C’est le cas du mar­ché sco­laire où les 23 % de remise pèsent lourd. « On a bien essayé de négo­cier… », avance Laurence Mani-Ponset. Vu ce qu’on est obligé de consen­tir pour obte­nir ce mar­ché, on ne gagne abso­lu­ment rien ! »

Patricia Cerinsek

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