DÉCRYPTAGE – La pollution de l’air entrave la croissance du fœtus. Une vaste étude européenne, dirigée en France par le Grenoblois Remy Slama, vient encore confirmer l’impact des polluants, et notamment des particules fines, sur la santé. Alors qu’en Europe les seuils réglementaires sont régulièrement dépassés, les chercheurs ont mis en évidence des risques accrus bien en-deçà de ces valeurs.
L’exposition à la pollution atmosphérique augmente les risques de donner naissance à des bébés de petit poids. S’il devait subsister un doute quant au lien entre pollution de l’air et retard de croissance fœtale, celui-ci est bel et bien levé. Ce lien a en effet pu être démontré en croisant les données de 14 études de cohorte menées dans 12 pays européens, impliquant 74 000 femmes ayant accouché entre 1994 et 2001. Remy Slama, directeur de recherches Inserm à l’Institut Albert Bonniot de Grenoble, a ainsi un peu plus mis en lumière l’impact de la pollution atmosphérique, et notamment les particules fines, sur la santé humaine (*). Un travail qui s’est fait en collaboration avec plusieurs équipes de chercheurs de toute l’Europe, dans le cadre du projet Escape.
5 microgrammes de pollution en plus = 18 % de risques en plus
Les conclusions de ces travaux, publiées aujourd’hui mardi 15 octobre 2013 dans The Lancet Respiratory Medicine, sont sans appel. A chaque fois que l’exposition aux particules fines pendant la grossesse augmente de 5 microgrammes par mètre cube, le risque de donner naissance à un bébé de petit poids croît de 18 %. Or, ces particules fines sont pour ainsi dire partout. Elles sortent des pots d’échappement des véhicules, des cheminées d’usines, mais aussi des installations de chauffage domestique… Aidées par leur toute petite taille (moins de 2,5 micromètres), elles s’insinuent jusque dans l’appareil respiratoire. Mais pas seulement.
« Le poumon n’est pas le seul organe cible de ces polluants. Les particules fines peuvent notamment atteindre des organes cibles pertinents pour la croissance fœtale », souligne Remy Slama, principal auteur de cette étude. En atteignant le placenta, une partie de ces particules fines limiterait les échanges fœto-placentaires et donc l’apport en oxygène et en nutriments du fœtus, ce qui entraverait la croissance de ce dernier. Une piste qui expliquerait l’impact de ces polluants atmosphériques, en attendant que des études toxicologiques confirment ces travaux.
A la naissance, les bébés concernés affichent un poids plus petit (moins de 2,5 kg après 37 semaines de grossesse) et un crâne de plus petite taille. Un retard de croissance qui est facteur de risques…« Le petit poids n’est pas une pathologie », continue Remy Slama. « Par contre, on s’est rendu compte que ce petit poids dans l’enfance se traduisait par un surpoids dans l’adolescence, associé à des troubles du métabolisme, comme l’obésité ou le diabète, et des problèmes cardio-vasculaires à l’âge adulte ».
Des risques même en-dessous les seuils réglementaires
« Est-ce qu’on n’est pas en train de programmer des pathologies à plus long terme ? » s’interroge Remy Slama. D’autant que les chercheurs ont démontré que le lien entre pollution atmosphérique et croissance fœtale n’avait cure des seuils réglementaires actuels. Alors que l’Union européenne fixe à 25 microgrammes /m₃ la limite annuelle de particules fines, les études montrent en effet que le risque accru persiste bel et bien à des taux inférieurs à ces valeurs. Les chercheurs estiment que si les niveaux de particules fines étaient réduits à 10 microgrammes/m₃, 22 % des cas de petits poids de naissance à terme pourraient ainsi être évités.
« Les niveaux réglementaires définis par la Communauté européenne ne protègent pas complètement la santé des citoyens », pointe le chercheur grenoblois. Aux Etats-Unis, les niveaux réglementaires sont moitié moins élevés. Et, selon l’OMS, les moyennes annuelles de référence de particules fines devraient être de 10 microgrammes/m₃. L’Europe, elle, s’en tient toujours à sa directive de 2008 relative à la qualité de l’air et ses 25 microgrammes…
Sepages, une étude à Grenoble en 2014
En attendant, les études sur la nocivité des polluants atmosphériques se multiplient. Avec toujours les mêmes résultats inquiétants. Une étude européenne publiée dans The Lancet en juillet 2013 a ainsi montré qu’une hausse de la pollution aux particules fines de 5 microgrammes/m³ augmentait le risque de cancer du poumon de 18 %. Avec, là aussi, des normes européennes inadaptées puisque le risque subsiste à des concentrations bien inférieures aux 25 microgrammes/m³ réglementaires…
Encore faudrait-il que ces 25 microgrammes soient respectés. Car, dans l’agglomération grenobloise, les seuils de pollution sont régulièrement dépassés. Avec quel impact sur la santé ? Une étude avait mis en évidence le lien entre cette pollution et le décès de 100 à 200 personnes par an dans quarante communes autour de Grenoble.
Remy Slama entend aller plus loin au travers du projet Sepages (Suivi de la pollution atmosphérique durant la grossesse et effets sur la santé ) qui sera lancé à Grenoble en 2014. Un projet qui permettra aux chercheurs de l’Inserm, en lien avec quatre maternités de la ville, d’étudier les effets des polluants sur la croissance du fœtus, en tenant compte de la pollution intérieure.
Patricia Cerinsek
(*) Les concentrations de polluants atmosphériques (dioxyde d’azote et particules fines en suspension) ont été évaluées durant la grossesse au domicile de chaque femme enceinte. La densité du trafic sur la route la plus proche et le volume total de trafic sur toutes les routes principales dans un rayon de 100 m autour du lieu de résidence ont également été mesurés. Les taux d’exposition moyens aux particules fines pendant la grossesse allaient de moins de 10 microgrammes par mètre cube à près de 30 microgrammes par mètre cube.
Le trafic autoroutier reste une cause majeure de pollution atmosphérique et est notamment source de particules fines, nocives pour la santé.
© Véronique Serre / Place Gre’net
Dans l’agglomération grenobloise, les seuils réglementaires sont régulièrement dépassés.
© David André
En 2014, les chercheurs de l’Inserm vont se pencher sur la pollution de l’air à Grenoble et son lien, notamment, avec la croissance fœtale.
© David André