ANALYSE – Dans les Alpes, l’eau coule à flots. Aujourd’hui. Mais demain ? Avec la hausse des températures, la baisse des précipitations, le recul des glaciers, la concurrence autour de la ressource risque de se faire vive. Autant s’y préparer. D’où l’idée d’un plan d’adaptation climatique régional.
Les Alpes, château d’eau de l’Europe. Le titre n’est pas usurpé. Les précipitations y sont deux fois plus importantes que la moyenne européenne. Pluie, neige, cours d’eau, nappes souterraines, glaciers alimentent les foyers, font tourner les industries et les barrages hydro-électriques, refroidissent les centrales nucléaires, irriguent les cultures, approvisionnent les canons à neige… Et les besoins vont grandissants.
Mais le climat change. Hausse des températures, réduction du manteau neigeux, recul des glaciers, réduction des précipitations en été… En France, les Alpes sont en première ligne. On y enregistre une hausse des températures deux fois plus élevée que la moyenne nationale. Quand, au cours du siècle passé, la température s’est élevée de presque 1°C en France, elle a augmenté de 2 °C dans les Alpes. Dans le même temps, les précipitations faisaient le chemin inverse. Des relevés météorologiques sur la station de Bron, dans le Rhône, montrent ainsi que la région Rhône-Alpes a enregistré une baisse des précipitations cumulées d’environ 20 % sur les mois d’été entre 1922 et 2005.
Et le réchauffement s’accélère. Les températures pourraient grimper de 3 à 5 °C l’hiver et de 4 à 6 °C l’été d’ici la fin du siècle, diminuant la ressource et augmentant les besoins. Le château d’eau de l’Europe résistera-t-il ?
« La ressource en eau est importante dans les Alpes, mais cela ne veut pas dire qu’il y en a partout et qu’il faut l’utiliser n’importe comment ! », pointe Parick Le Vaguérèse, vice-président de Mountain Wilderness.
Si l’eau coule abondamment dans les Alpes, la question a suffisamment interrogé le monde scientifique pour que l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée et Corse dresse un bilan très complet des connaissances quant à l’impact du changement climatique sur les ressources en eau. Objectif : mettre sur pied un plan d’adaptation.
Le Rhône suisse sec en 2080 ?
« Sur le bassin Rhône-Méditerranée, les cours d’eau ont des débits suffisamment soutenus dus aux précipitations », souligne Stéphane Stroffek, chef de service à l’Agence de l’eau. « Et, en été, le débit du Rhône est soutenu par la fonte des glaciers. » Si problèmes il y a, ils sont ponctuels. Pour l’instant. La hausse des températures ou la fonte des glaciers ne semblent guère inquiéter les scientifiques jusqu’à l’horizon 2030 – 2050. C’est après que ça se gâte. Des projections à l’horizon 2080 font d’ailleurs état d’un possible assèchement du Rhône dans sa partie suisse… Un scénario parmi d’autres avec son lot d’incertitudes que doivent intégrer les chercheurs.
Ainsi, à 1800 mètres, la durée d’enneigement pourrait diminuer de moitié dans les Alpes du Nord. « Et, à ces altitudes, on verrait pratiquement disparaître la neige au printemps dans les Alpes du Sud », continue Stéphane Stroffek. En aval, la Durance et le Verdon devraient sûrement y laisser quelques plumes… Plus au Nord, l’Isère devrait voir son débit baisser entre mai et octobre, avec une aggravation des étiages en juillet. « En situation d’étiage, à l’horizon 2050 – 2080, il devrait y avoir entre la moitié et les trois-quart d’eau en moins… »
Raréfaction des ressources « Le réchauffement global est amorcé », pointe le rapport de l’Agence de l’eau élaboré par Thomas Pelte, pour qui les projections d’évolution des températures et des précipitations « sont des signes très nets d’une tendance vers la raréfaction des ressources ». Les indicateurs sont là. Reste à s’y préparer.
L’établissement public travaille à une déclinaison locale du plan national d’adaptation climatique. Le bilan des connaissances est dressé, la cartographie des enjeux sur les rails. Reste à se donner les moyens. Aujourd’hui, les stratégies reposent essentiellement sur les économies d’eau à destination des citoyens, des agriculteurs, des collectivités. Est-ce que ce sera suffisant ? « Essayons d’être plus vertueux aujourd’hui pour que les stratégies soient efficaces et payantes pour l’avenir », répond Stéphane Stroffek. « A l’horizon 2050 – 2080, on a tout à fait la capacité de trouver des solutions. »
Reste la volonté politique. L’augmentation de la TVA sur les engrais et une meilleure information des usagers quant à leur consommation d’eau, deux des mesures annoncées par le gouvernement à l’issue de la conférence environnementale sur la transition énergétique, suffiront-ils ?
Patricia Cerinsek
Le lac du barrage du Chambon dans la vallée de la Romanche en Isère. © Remih
Le torrent du Bon-Nant aux Contamines-Monjoie en Haute-Savoie. © Jean-Pol Grandmont
Raréfaction des ressources « Le réchauffement global est amorcé », pointe le rapport de l’Agence de l’eau élaboré par Thomas Pelte, pour qui les projections d’évolution des températures et des précipitations « sont des signes très nets d’une tendance vers la raréfaction des ressources ». Les indicateurs sont là. Reste à s’y préparer.
Cours d’eau à l’étiage à Marnaz (Haute-Savoie) © Lutin bleu Panoramio
La qualité des rivières sur smartphoneA lire aussi sur Place Gre’net : Les glaciers alpins en sursisLa qualité des eaux des rivières du bassin Rhône-Méditerranée et de Corse arrive sur tablettes et smartphone (la version 1.1 de l’application « qualité des rivières » est disponible gratuitement sur App Store). L’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée est la première à lancer le dispositif en France. Objectif : pouvoir consulter ces données sur le terrain, afin de renseigner directement sur l’état de santé des cours d’eau. Et ce grâce à tout un tas de paramètres comme la population de poissons, d’invertébrés, la présence de micro-algues ou de polluants chimiques. Version ludique, l’application propose même des tests et quizz en rapport avec le sujet. Avant de plonger un orteil dans un cours d’eau, il est peut-être bon de savoir où on met les pieds. Reste que les données les plus récentes datent de… 2011.L’application Qualité des cours d’eau de l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse est disponible sur l’App Store.