INTERVIEW – Claire Leconte, chercheuse en chronobiologie, milite pour une réorganisation des temps de vie de l’enfant, qu’elle juge indispensable à son épanouissement. Cette adepte de la semaine de cinq jours d’école revient sur la réforme des rythmes scolaires, notamment adoptée pour cette rentrée par la ville de Grenoble.
Quels sont, selon vous, les risques inhérents à cette réforme ?
La précipitation avec laquelle on a voulu changer les choses, sous le prétexte que les enfants ne pouvaient plus attendre une année de plus dans une semaine à quatre jours, fait qu’aujourd’hui on est en train de générer des inégalités territoriales à deux niveaux.
Soit la collectivité refuse de s’engager pécuniairement et les enfants subiront des emplois du temps organisés, avec l’aval du ministère, uniquement en vue de ne pas avoir à recruter d’animateurs supplémentaires. Soit l’Éducation nationale, soucieuse uniquement de voir son logiciel de gestion des ressources humaines tourner sans problème, imposera à tous un cadre dans lequel aucune innovation ne peut être pensée. Dans les deux cas le mieux-vivre des enfants n’est pas la préoccupation première des adultes.
Là, le manque de concertations, de réflexions partenariales conduit chacun à chercher ce qui lui apportera le plus de « confort ». Certains enseignants cherchent uniquement à quitter le plus vite possible l’école en fin de journée ; certains parents veulent juste s’assurer que leurs enfants seront gardés de 7h30 à 18h30 ; quant aux animateurs les plus engagés, ils sont en train de perdre l’espoir de voir enfin leur métier revalorisé professionnellement.
Comment en serait-il autrement quand on va leur demander, entre autres, d’intervenir de 13h30 à 14h puis de 16h à 16h30 ? Sans parler de la guerre des espaces qui risque d’obliger les animateurs à confiner les enfants sous un préau ou dans des couloirs.
Au final, il est à craindre, avec cette réforme, que ce seront encore les mêmes enfants, pour lesquels un tel changement aurait été une réelle opportunité de mieux vivre l’école, voire même de mieux vivre tout simplement, qui pâtiront de ces manques.
Emeline Wuilbercq et Paul Turenne
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Que pensez-vous de la réforme des rythmes scolaires qui met en place une semaine de quatre jours et demi, du lundi au vendredi ?
J’aimerais pouvoir dire que l’on « réforme » les rythmes scolaires. Mais il y a une différence majeure entre les toutes premières annonces du ministre, lors de sa prise de fonction (ndlr : « Nous reviendrons à une semaine de cinq jours et laisserons les territoires choisir entre le mercredi et le samedi pour la demi-journée supplémentaire »), et ce qui est aujourd’hui imposé par le décret, à savoir, neuf demi-journées avec le mercredi matin.
Différents lobbies et pressions ont manœuvré, ce qui fait que l’on est passé d’une réforme qui aurait pu être ambitieuse à un aménagement à la marge de l’existant. On en revient au type d’organisation de semaine créée par le décret Darcos de 2008. Ce que Christian Forestier, conseiller de Vincent Peillon après avoir été celui de Luc Châtel sur le même dossier, a d’ailleurs lui-même affirmé.
Le seul changement observable – mais est-il positif pour autant ? – est que l’école aura le plus souvent lieu le mercredi matin et non plus le samedi matin. Il eût été souhaitable, pour réellement réformer et commencer la refondation de l’école, que l’on s’attache à « aménager les temps de l’enfant » et non pas uniquement à imposer un changement cosmétique du seul emploi du temps scolaire.
Pouvez-vous revenir sur votre combat contre la semaine de quatre jours ?
Depuis le début des années 90, je dénonce ce type de fonctionnement et j’ai co-signé, en 1995, une tribune ouverte dans Le Monde, où toute la communauté des chercheurs en chronobiologie implorait la fin de la semaine de quatre jours, appliquée uniquement en France.
En janvier 2013, j’ai osé demander au ministre d’avoir l’audace intellectuelle et politique pour réaliser une vraie réforme des temps de vie des enfants. Une réforme qui s’appuie sur des projets éducatifs territoriaux autorisant le déploiement d’une co-production éducative, levier indispensable à la refondation de l’école. Nous sommes aujourd’hui très loin de cette ambition.
Au regard de votre parcours et de votre expérience, comment trouver le meilleur rythme pour l’enfant ?
En tant que professeur émérite de psychologie de l’éducation, je n’ai eu de cesse de montrer l’importance de considérer l’enfant dans sa globalité. Car l’enfant n’est pas une somme d’enfants différents, tantôt élève, tantôt fils ou fille de ses parents, tantôt enfant d’une collectivité de loisirs : il est UN enfant qui traverse au cours de ses journées des temps différents.
A charge pour les adultes qui en ont la responsabilité de donner la cohérence nécessaire à ces différents temps pour son développement harmonieux. Ils doivent pouvoir lui offrir une continuité éducative lui permettant de devenir un citoyen responsable de lui-même.
Comment mettre en place cette continuité éducative ?
Aménager les temps de l’enfant aurait nécessité que l’on se préoccupe des contenus de ces temps, des pratiques pédagogiques mises en œuvre, de la cohérence à établir entre eux, et de la gestion intelligente des transitions entre ces différents temps. Mais cela aurait aussi impliqué que l’on se sépare de l’idée, fausse, qu’une matinée équivaut à une après-midi.
On impose une répartition des temps scolaires sur neuf demi-journées – ce qui n’existe nulle part ailleurs – alors que chercher à équilibrer les temps aurait nécessité qu’on les répartisse harmonieusement sur cinq jours. Il eut fallu proposer un cadre permettant aux enseignants de revoir leur façon d’enseigner et d’ordonnancer chaque jour leurs différentes séquences pédagogiques. Ceci afin de permettre la triple alternance quotidienne entre le travail et le repos, le mouvement et l’immobilité, le rationnel et l’imaginaire, entre la pensée logique et les émotions.
Cette alternance entre séquences pédagogiques bénéficie à la « disponibilité motivationnelle » permanente des élèves. Celle-ci n’est possible que si l’on accepte que la « clarté mentale » du matin soit mise à profit en allongeant fortement la matinée de classe, jusqu’à quatre heures comme cela se fait dans beaucoup de pays.
Un enfant peut-il rester pleinement concentré durant une matinée de quatre heures ?
Il faut être conscient que l’émiettement des temps ne rend pas service aux enfants. Le psychologue Paul Fraisse a bien montré en 1975 que plus une tâche a d’unité, plus elle risque de paraître courte et intéressante. Or, cela va à l’encontre du découpage prévu des journées de l’enfant, avec des quarts d’heures de-ci de-là.
Célestin Freinet, quant à lui, constatait, dès 1964, que lorsqu’un enfant est occupé à un travail vivant qui répond à ses besoins, il ne se fatigue absolument pas et peut s’y appliquer pendant deux ou trois heures.
Quels rôles, les autres acteurs éducatifs devraient-ils jouer ?
Ils devraient revoir leurs façons d’accompagner les enfants tout au long de la journée. Lors de l’arrivée à l’école tout d’abord, transition entre la famille et la classe, afin de donner aux tout-petits la sécurité affective dont ils ont besoin. Puis, lors du temps de restauration qui doit être le moins stressant possible et lors de la pause méridienne qui, comme son nom l’indique, doit être avant tout une « pause ».
Enfin, la sieste ne doit pas être organisée n’importe comment. Les animateurs doivent accepter comme partie intégrante des « activités » proposées aux enfants, le « non-agir », le « ne rien-faire », le droit de s’ennuyer et les temps libres.
Mais il est aussi indispensable de faire entendre aux parents leur responsabilité dans la fatigue de leur enfant, en cas de non respect de son rythme veille-sommeil.
En résumé, quel est le meilleur rythme pour l’enfant ?
Le meilleur « rythme » pour l’enfant passe par une bonne gestion de son rythme veille-sommeil : sommeil à horaires réguliers, transitions non stressantes au cours de la journée, matinée de travail scolaire la plus longue possible et organisée en fonction des connaissances sur les apprentissages, temps de restauration permettant une réelle détente, après-midi allégés du point de vue du coût cognitif.
Le tout sans récréations générant de l’hyperactivité et sans juxtaposer des temps courts n’ayant aucun lien entre eux et ne permettant aucune mobilisation de l’enfant.
Enfin, il faut échanger entre acteurs pour permettre une continuité éducative et des transferts d’apprentissage intra-scolaires et inter-temps éducatifs.