école : une réforme “cos­mé­tique”

école : une réforme “cos­mé­tique”

INTERVIEW – Claire Leconte, cher­cheuse en chro­no­bio­lo­gie, milite pour une réor­ga­ni­sa­tion des temps de vie de l’en­fant, qu’elle juge indis­pen­sable à son épa­nouis­se­ment. Cette adepte de la semaine de cinq jours d’é­cole revient sur la réforme des rythmes sco­laires, notam­ment adop­tée pour cette ren­trée par la ville de Grenoble.
Pour la chronobiologiste Claire Leconte, le mieux-vivre des enfants n'est pas la priorité des adultes dans cette réforme des rythmes scolaires. DR

Pour la chro­no­bio­lo­giste Claire Leconte, le mieux-vivre des enfants n’est pas la prio­rité des adultes dans cette réforme des rythmes sco­laires. DR

Que pen­sez-vous de la réforme des rythmes sco­laires qui met en place une semaine de quatre jours et demi, du lundi au vendredi ?
J’aimerais pou­voir dire que l’on « réforme » les rythmes sco­laires. Mais il y a une dif­fé­rence majeure entre les toutes pre­mières annonces du ministre, lors de sa prise de fonc­tion (ndlr : « Nous revien­drons à une semaine de cinq jours et lais­se­rons les ter­ri­toires choi­sir entre le mer­credi et le samedi pour la demi-jour­née sup­plé­men­taire »), et ce qui est aujourd’hui imposé par le décret, à savoir, neuf demi-jour­nées avec le mer­credi matin.
Différents lob­bies et pres­sions ont manœu­vré, ce qui fait que l’on est passé d’une réforme qui aurait pu être ambi­tieuse à un amé­na­ge­ment à la marge de l’existant. On en revient au type d’organisation de semaine créée par le décret Darcos de 2008. Ce que Christian Forestier, conseiller de Vincent Peillon après avoir été celui de Luc Châtel sur le même dos­sier, a d’ailleurs lui-même affirmé.
Le seul chan­ge­ment obser­vable – mais est-il posi­tif pour autant ? – est que l’école aura le plus sou­vent lieu le mer­credi matin et non plus le samedi matin. Il eût été sou­hai­table, pour réel­le­ment réfor­mer et com­men­cer la refon­da­tion de l’école, que l’on s’attache à « amé­na­ger les temps de l’enfant » et non pas uni­que­ment à impo­ser un chan­ge­ment cos­mé­tique du seul emploi du temps scolaire.
rythmes scolaires

Vincent Peillon, ministre de l’é­du­ca­tion natio­nale, le 18 février 2013.
© MEN / Philippe Devernay

Pouvez-vous reve­nir sur votre com­bat contre la semaine de quatre jours ?

Depuis le début des années 90, je dénonce ce type de fonc­tion­ne­ment et j’ai co-signé, en 1995, une tri­bune ouverte dans Le Monde, où toute la com­mu­nauté des cher­cheurs en chro­no­bio­lo­gie implo­rait la fin de la semaine de quatre jours, appli­quée uni­que­ment en France.
En jan­vier 2013, j’ai osé deman­der au ministre d’avoir l’audace intel­lec­tuelle et poli­tique pour réa­li­ser une vraie réforme des temps de vie des enfants. Une réforme qui s’ap­puie sur des pro­jets édu­ca­tifs ter­ri­to­riaux auto­ri­sant le déploie­ment d’une co-pro­duc­tion édu­ca­tive, levier indis­pen­sable à la refon­da­tion de l’école. Nous sommes aujourd’­hui très loin de cette ambition.
Enfants dans une école de Grenoble. © Paul Turenne

Enfants dans une école de Grenoble. © Paul Turenne

Au regard de votre par­cours et de votre expé­rience, com­ment trou­ver le meilleur rythme pour l’enfant ?
En tant que pro­fes­seur émé­rite de psy­cho­lo­gie de l’éducation, je n’ai eu de cesse de mon­trer l’importance de consi­dé­rer l’enfant dans sa glo­ba­lité. Car l’enfant n’est pas une somme d’enfants dif­fé­rents, tan­tôt élève, tan­tôt fils ou fille de ses parents, tan­tôt enfant d’une col­lec­ti­vité de loi­sirs : il est UN enfant qui tra­verse au cours de ses jour­nées des temps différents.
A charge pour les adultes qui en ont la res­pon­sa­bi­lité de don­ner la cohé­rence néces­saire à ces dif­fé­rents temps pour son déve­lop­pe­ment har­mo­nieux. Ils doivent pou­voir lui offrir une conti­nuité édu­ca­tive lui per­met­tant de deve­nir un citoyen res­pon­sable de lui-même.
Réforme des rythmes de l'enfant à Grenoble.

A Grenoble, la muni­ci­pa­lité essaie de convaincre les parents de l’in­té­rêt de la réforme.
© Muriel Beaudoing

Comment mettre en place cette conti­nuité éducative ?
Aménager les temps de l’enfant aurait néces­sité que l’on se pré­oc­cupe des conte­nus de ces temps, des pra­tiques péda­go­giques mises en œuvre, de la cohé­rence à éta­blir entre eux, et de la ges­tion intel­li­gente des tran­si­tions entre ces dif­fé­rents temps. Mais cela aurait aussi impli­qué que l’on se sépare de l’idée, fausse, qu’une mati­née équi­vaut à une après-midi.
On impose une répar­ti­tion des temps sco­laires sur neuf demi-jour­nées – ce qui n’existe nulle part ailleurs – alors que cher­cher à équi­li­brer les temps aurait néces­sité qu’on les répar­tisse har­mo­nieu­se­ment sur cinq jours. Il eut fallu pro­po­ser un cadre per­met­tant aux ensei­gnants de revoir leur façon d’enseigner et d’ordonnancer chaque jour leurs dif­fé­rentes séquences péda­go­giques. Ceci afin de per­mettre la triple alter­nance quo­ti­dienne entre le tra­vail et le repos, le mou­ve­ment et l’im­mo­bi­lité, le ration­nel et l’i­ma­gi­naire, entre la pen­sée logique et les émotions.
Cette alter­nance entre séquences péda­go­giques béné­fi­cie à la « dis­po­ni­bi­lité moti­va­tion­nelle » per­ma­nente des élèves. Celle-ci n’est pos­sible que si l’on accepte que la « clarté men­tale » du matin soit mise à pro­fit en allon­geant for­te­ment la mati­née de classe, jusqu’à quatre heures comme cela se fait dans beau­coup de pays.
rythmes scolaires

Célestin Freinet, péda­gogue, fon­da­teur de l’Ecole moderne. DR

Un enfant peut-il res­ter plei­ne­ment concen­tré durant une mati­née de quatre heures ?
Il faut être conscient que l’émiettement des temps ne rend pas ser­vice aux enfants. Le psy­cho­logue Paul Fraisse a bien mon­tré en 1975 que plus une tâche a d’u­nité, plus elle risque de paraître courte et inté­res­sante. Or, cela va à l’en­contre du décou­page prévu des jour­nées de l’enfant, avec des quarts d’heures de-ci de-là.
Célestin Freinet, quant à lui, consta­tait, dès 1964, que lorsqu’un enfant est occupé à un tra­vail vivant qui répond à ses besoins, il ne se fatigue abso­lu­ment pas et peut s’y appli­quer pen­dant deux ou trois heures.
Quels rôles, les autres acteurs édu­ca­tifs devraient-ils jouer ?
Ils devraient revoir leurs façons d’accompagner les enfants tout au long de la jour­née. Lors de l’ar­ri­vée à l’école tout d’a­bord, tran­si­tion entre la famille et la classe, afin de don­ner aux tout-petits la sécu­rité affec­tive dont ils ont besoin. Puis, lors du temps de res­tau­ra­tion qui doit être le moins stres­sant pos­sible et lors de la pause méri­dienne qui, comme son nom l’indique, doit être avant tout une « pause ».
Enfin, la sieste ne doit pas être orga­ni­sée n’importe com­ment. Les ani­ma­teurs doivent accep­ter comme par­tie inté­grante des « acti­vi­tés » pro­po­sées aux enfants, le « non-agir », le « ne rien-faire », le droit de s’ennuyer et les temps libres.
Mais il est aussi indis­pen­sable de faire entendre aux parents leur res­pon­sa­bi­lité dans la fatigue de leur enfant, en cas de non res­pect de son rythme veille-sommeil.
Vincent Peillon dans une classe de l'académie de Grenoble, le 18 février 2013. © MEN / Philippe Devernay

Vincent Peillon dans une classe de l’a­ca­dé­mie de Grenoble, le 18 février 2013.
© MEN / Philippe Devernay

En résumé, quel est le meilleur rythme pour l’enfant ?
Le meilleur « rythme » pour l’enfant passe par une bonne ges­tion de son rythme veille-som­meil : som­meil à horaires régu­liers, tran­si­tions non stres­santes au cours de la jour­née, mati­née de tra­vail sco­laire la plus longue pos­sible et orga­ni­sée en fonc­tion des connais­sances sur les appren­tis­sages, temps de res­tau­ra­tion per­met­tant une réelle détente, après-midi allé­gés du point de vue du coût cognitif.
Le tout sans récréa­tions géné­rant de l’hyperactivité et sans jux­ta­po­ser des temps courts n’ayant aucun lien entre eux et ne per­met­tant aucune mobi­li­sa­tion de l’enfant.
Enfin, il faut échan­ger entre acteurs pour per­mettre une conti­nuité édu­ca­tive et des trans­ferts d’apprentissage intra-sco­laires et inter-temps éducatifs.
EcoleGrenobleCreditMurielBeaudoingQuels sont, selon vous, les risques inhé­rents à cette réforme ?
La pré­ci­pi­ta­tion avec laquelle on a voulu chan­ger les choses, sous le pré­texte que les enfants ne pou­vaient plus attendre une année de plus dans une semaine à quatre jours, fait qu’aujourd’hui on est en train de géné­rer des inéga­li­tés ter­ri­to­riales à deux niveaux.
Soit la col­lec­ti­vité refuse de s’engager pécu­niai­re­ment et les enfants subi­ront des emplois du temps orga­ni­sés, avec l’aval du minis­tère, uni­que­ment en vue de ne pas avoir à recru­ter d’animateurs sup­plé­men­taires. Soit l’Éducation natio­nale, sou­cieuse uni­que­ment de voir son logi­ciel de ges­tion des res­sources humaines tour­ner sans pro­blème, impo­sera à tous un cadre dans lequel aucune inno­va­tion ne peut être pen­sée. Dans les deux cas le mieux-vivre des enfants n’est pas la pré­oc­cu­pa­tion pre­mière des adultes.
Là, le manque de concer­ta­tions, de réflexions par­te­na­riales conduit cha­cun à cher­cher ce qui lui appor­tera le plus de « confort ». Certains ensei­gnants cherchent uni­que­ment à quit­ter le plus vite pos­sible l’école en fin de jour­née ; cer­tains parents veulent juste s’as­su­rer que leurs enfants seront gar­dés de 7h30 à 18h30 ; quant aux ani­ma­teurs les plus enga­gés, ils sont en train de perdre l’espoir de voir enfin leur métier reva­lo­risé professionnellement.
Comment en serait-il autre­ment quand on va leur deman­der, entre autres, d’intervenir de 13h30 à 14h puis de 16h à 16h30 ? Sans par­ler de la guerre des espaces qui risque d’o­bli­ger les ani­ma­teurs à confi­ner les enfants sous un préau ou dans des couloirs.
Au final, il est à craindre, avec cette réforme, que ce seront encore les mêmes enfants, pour les­quels un tel chan­ge­ment aurait été une réelle oppor­tu­nité de mieux vivre l’école, voire même de mieux vivre tout sim­ple­ment, qui pâti­ront de ces manques.
Emeline Wuilbercq et Paul Turenne
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