DECRYPTAGE – D’un côté, des aménagements majeurs prévus par la Société des Trois Vallées sur le domaine skiable de Courchevel-La Tania. De l’autre, le Tétras lyre, oiseau emblématique en déclin que l’aménageur affirme vouloir protéger. D’où l’idée d’un plan de préservation de l’espèce, avec une étude d’impact confiée à un cabinet grenoblois.
Il n’y a pas que des skieurs sur les pistes de Courchevel. On y trouve aussi des Tétras lyre, petits coqs de bruyère, symbole des Alpes européennes. La population des mâles chanteurs y est ainsi estimée à dix-sept. Les poules, elles, se font plus discrètes. Ces oiseaux sédentaires, au lent mais constant déclin, sont en train de devenir l’emblème de la très chic station savoyarde.
En même temps qu’elle modernise ses équipements, ses remontées mécaniques et son réseau d’enneigement artificiel par un plan d’investissement de 200 millions d’euros, la station lance un plan de préservation et d’accroissement de la population des Tétras lyre sur son domaine skiable. Non sans ambition. « Notre objectif, à partir du Tétras lyre, est de favoriser le développement du milieu montagnard pour que la faune s’y porte bien », explique Claude Faure, président du directoire de la Société des Trois Vallées (S3V), exploitant du domaine skiable Courchevel-La Tania.
Pour les instigateurs de ce plan, S3V et ville de Saint-Bon en tête, le Tétras lyre est un premier pas. « Derrière cette espèce parapluie (ndlr : dont la protection contribue à celle d’autres espèces), il en va de la protection de 45 espèces d’oiseaux. On s’occupera du lagopède, de l’aigle royal… C’est une première étape dans la mise en place d’un observatoire de l’environnement sur la vallée ! »
Objectif donc : concilier gros travaux d’aménagement et protection de la nature. Comment ? En diminuant le nombre de pylônes et en équipant les câbles les plus dangereux de flotteurs, plus visibles des oiseaux. Une mesure sur laquelle travaille la S3V aux côtés du Parc de la Vanoise depuis quelques années déjà.
« Quand c’est possible, on enterre également les câbles de sécurité, qui sont très fins et que les oiseaux ne voient pas », explique Cécile Baudot, chargée d’étude au cabinet grenoblois MDP Consulting, responsable de l’étude d’impact. Des zones de tranquillité sont également dans les cartons, n’en déplaise aux amateurs de hors-piste. Un public qu’il va falloir sensibiliser…
Concertation et compromis
Le travail a déjà commencé. Ainsi, le tracé du télésiège de la Forêt, en zone Tétras, a été déplacé. Et les études se poursuivent. Après un premier diagnostic effectué par la Fédération départementale des chasseurs de la Savoie cet hiver, un second inventaire est prévu cet été. Objectif : cibler les trois zones d’hivernage, de chant et de nidification du Tétras lyre pour mieux préserver son habitat. « C’est de la concertation, un compromis », poursuit Cécile Baudot. « S’il y a des aménagements d’un côté, il y aura une mise en quiétude de l’autre. Il s’agit d’aménager intelligemment ».
En réalité, la S3V n’a guère le choix, tiraillée entre la nécessité de moderniser ses installations et les exigences réglementaires en matière de respect des milieux. « On joue le jeu », assure Claude Faure. « On veut montrer que l’on n’est pas que des bétonneurs ». Opération de « greenwashing »* ? L’accusation ne le gêne pas. « Il y a des arbitrages à faire. Et je les fais aussi au profit de l’économie régionale ». Donnant-donnant en somme…
L’oiseau va-t-il rallier tous les suffrages ? Le plan a réuni du monde autour de la table : mairie de Saint-Bon, S3V, fédération des chasseurs de la Savoie, Parc national de la Vanoise, Office national des forêts, Observatoire des galliformes de montagne, Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement… Mais pas la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).
« Le Tétras lyre est une espèce menacée et chassée », souligne-t-on à la LPO Savoie.« Alors, on nous met de côté… » Plus simple de faire sans les premiers défenseurs des oiseaux ? « C’est un oubli », se justifie Claude Faure.« J’ai bien l’intention d’associer la LPO et la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna) ». Le galliforme ne devrait ainsi peut-être pas y perdre trop de plumes.
Patricia Cerinsek
* Terme anglophone que l'on peut traduire par "verdissement d'image". Ce terme est notamment utilisé par les groupes de pression environnementaux pour désigner les efforts de communication sur des avancées en matière de développement durable qui ne s'accompagnent pas de véritables actions pour l'environnement.
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