ENTRETIEN – Un cortège contre l’austérité et pour une 6ème République a défilé le 1er juin à Grenoble, et ailleurs en France, à l’appel du Front de gauche notamment. La conseillère régionale Elisa Martin, également membre de la direction nationale du parti, revient sur les revendications de la manifestation. Elle écorne également les politiques gouvernementale et municipale avant d’évoquer les élections à venir.
Engagée très jeune dans le syndicalisme étudiant lors de ses études de philosophie à Grenoble, Elisa Martin a enseigné le français dans les quartiers populaires de Grenoble. Désormais adjointe au maire de Saint-Martin‑d’Hères et co-présidente du groupe Front de gauche au Conseil Régional de Rhône-Alpes, elle a notamment œuvré à une tarification sociale des TER et, en particulier, à la gratuité pour les chômeurs se rendant à un entretien d’embauche.
La France mène-t-elle une politique d’austérité ?
Il n’y a pas de doute à avoir et c’est parti pour durer. La compression des services publics, la diminution des pensions de retraite et de l’assurance chômage, tout comme la remise en question de leur financement par répartition sont autant d’exemples concrets de la gouvernance d’austérité française qu’on voudrait nous faire passer pour une simple gestion de rigueur.
Quelles en sont les conséquences sur l’économie ?
L’austérité provoque une baisse du pouvoir d’achat, qui ralentit l’activité économique, qui augmente le nombre de chômeurs… Bref, c’est un cercle vicieux dont nous ne pourrons pas nous extirper avec la réponse actuelle du gouvernement. Les conditions ne sont pas réunies pour inverser la courbe du chômage avant la fin de l’année, comme l’a promis François Hollande.
Quelles autres mesures traduisent pour vous l’éloignement du gouvernement des réponses sociales ?
Il s’agit plutôt d’une absence de mesures. Comme celle d’interdire les licenciements boursiers. Il est inacceptable que des entreprises qui font d’importants profits et rémunèrent grassement leurs actionnaires aient le droit d’appliquer des plans de chômage partiel ou de licencier. Le gouvernement a également choisi d’enterrer la loi en faveur d’une amnistie sociale que nous avions proposée. Il ne s’agissait pas de protéger des personnes mais d’affirmer que les syndicalistes et les personnes qui militent et qui défendent des opinions puissent avoir la sécurité de ne pas être poursuivis pour des actes commis dans le cadre de cet engagement.
Jean-Luc Mélenchon a proposé ses services de potentiel Premier ministre à François Hollande. Quelle est sa légitimité alors qu’il ne représente pas la majorité des parlementaires élus par les Français ?
La situation est trop grave pour que nous attendions 2017. Nous devons prendre la tête de la gauche, par les idées et par les urnes pour créer une situation de cohabitation. Pour cela, nous devons convaincre le chef de l’Etat que le Front de gauche dispose de l’équipe et des solutions nécessaires pour nous sortir de cette situation et prouver que le peuple de gauche n’est pas résigné. Les élections municipales et européennes de l’année prochaine nous permettront de prouver notre puissance. Une autre solution est de dissoudre l’Assemblée nationale, si François Hollande souhaite assumer la responsabilité d’un changement de politique.
La manifestation de samedi avait une autre revendication : la création d’une 6ème République. À quoi ressemblerait-elle idéalement ?
La première mesure serait la création d’une assemblée constituante. Le peuple pourrait élire des députés dont la seule fonction serait de rédiger une nouvelle constitution et non d’en tirer les avantages. La 6ème République serait celle des droits nouveaux. Des droits pour les salariés comme l’égalité réelle de salaire entre hommes et femmes ; mais également des droits sociétaux et politiques, comme l’égalité entre tous quelle que soit son orientation sexuelle, ainsi que le droit de vote des étrangers aux élections locales. Nous devons retrouver le modèle de Jaurès d’une République universelle et sociale. Mais en raison de l’urgence écologique, le socialisme a besoin d’être refondé et cela passe inévitablement par l’éco-socialisme.
Quelle forme prendrait cette nouvelle République ?
Notre souhait est celui d’une République parlementariste pour sortir de « l’oligarchie présidentielle » actuelle, où un homme seul oriente la politique.
Venons-en à la double échéance électorale de l’année prochaine. Olivier Bertrand d’Europe Ecologie les Verts, récemment interviewé sur Place Gre’net, considérait que le Front de gauche s’appuyait sur les municipales pour viser un plus haut score aux européennes. Le scrutin européen est-il effectivement votre objectif principal ?
La question européenne est primordiale puisque l’Europe est devenue un problème alors que ce devait être la solution. C’est, par ailleurs, un scrutin national qui montrera que le peuple de gauche n’est pas résigné. Nous ne délaisserons pas pour autant les élections municipales qui sont plus complexes. Le Front de gauche présentera une liste à Grenoble comme dans toutes les grandes villes de France dans une logique d’autonomie conquérante. Nous ne fermons toutefois pas la porte à ceux qui veulent s’engager dans un programme éco-socialiste et contre l’austérité.
Quel regard portez-vous sur la politique municipale menée actuellement à Grenoble ?
Pour commenter les annonces récentes, l’armement de la police municipale et la généralisation de la vidéosurveillance laissent penser que le problème serait l’insécurité, alors que c’est en réalité l’insécurité sociale contre laquelle rien n’est fait. Par ailleurs, nous souhaiterions davantage de clarté dans la gestion publique. Ce qui n’est pas le cas pour GEG [ndlr : Gaz et Electricité de Grenoble] où soixante emplois sont menacés d’externalisation.
La Villeneuve fête ses quarante ans ce weekend, l’année même de son classement en Zone de Sécurité Prioritaire par le Ministre de l’Intérieur. Comment redynamiser positivement ces quartiers populaires fortement touchés par le chômage et la précarité ?
Nous avons une attache particulière avec le quartier de la Villeneuve fondé sur des idéaux de fraternité et de coopération. Son redressement passe par la réintroduction des services publics et la relocalisation d’emplois de proximité.
Lors des élections, le parti socialiste sort généralement majoritaire dans ces quartiers, mais bien loin derrière l’abstention. Comment redonner à ces habitants confiance en la parole politique ?
Par notre présence politique et notre cohérence. Nous ne devons pas faire du bricolage électoral au moment des élections pour conquérir ces voix puis nous en désintéresser pour le reste du mandat. Les élus doivent tenir leur engagement, sans démagogie électoraliste. C’est alors, avec le temps, le dialogue et la démonstration, que nous pourrons redonner confiance et non par magie.
Le président du Conseil régional Jean-Jack Queyranne a demandé cette semaine à Manuel Valls d’interdire des groupes d’extrême droite, dont celui du conseiller régional Alexandre Gabriac, exclu du Front national. Ce choix vous paraît-il judicieux ?
Il s’agit de groupes antirépublicains, antidémocratiques et qui prônent un discours raciste et homophobe. Ils doivent donc être dissous. Cela ne réglera pas le problème du racisme mais c’est un signe que donnerait la République en refusant des comportements inacceptables et illégaux.
Le Front National reste-t-il l’ennemi politique numéro un du Front de Gauche ?
La course de vitesse des idées politiques se fait contre eux, plus encore que contre l’UMP, bien que la frontière des idées soit désormais perméable entre les deux. Mais c’est le gouvernement actuel, en adoptant un discours d’impuissance contre la finance et les directives européennes afin de justifier l’austérité, qui favorise l’abstention et la poussée de l’extrême droite.
Propos recueillis par Victor Guilbert / Photos réalisées par Véronique Serre
L’entretien a été réalisé à Grenoble samedi 1er juin à midi lors de l’arrivée de la manifestation dans le jardin de ville. Il n’a pas été soumis à relecture.
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