ENTRETIEN – Alors que le collectif de la Manif pour tous organise un nouveau rassemblement ce dimanche à Paris, son porte-parole isérois, Etienne Gandrille évoque l’idéologie et l’avenir de ce mouvement, le risque de récupération politique et ses spécificités iséroises.
La loi Taubira ouvrant le mariage civil et l’adoption aux couples de personnes de même sexe a été longuement débattue, avant d’être adoptée par le Parlement, jugée conforme par le Conseil constitutionnel et promulguée la semaine dernière par François Hollande. Quelle est la légitimité démocratique de votre opposition après un parcours législatif sans accrocs ?
Nous ne nous plaçons pas dans une logique de gagnant/perdant, mais en observant cette loi à travers le prisme de la justice. Elle est d’une profonde injustice envers les enfants qui sont sans voix dans ce débat. Ceux qui seront confiés à l’adoption à des couples du même sexe seront délibérément privés d’un père ou d’une mère et n’auront pas droit aux repères de la filiation, ni à la complémentarité des deux parents. Cela est un pilier éducatif et un patrimoine social précieux qui doit être conservé. Par ailleurs, nous continuons de nous mobiliser parce que nous sommes dans un « changement de civilisation », pour reprendre les termes de Christiane Taubira, qui modifiera les repères que nous transmettrons aux générations futures, comme celui de l’altérité entre l’homme et la femme.
Il est donc impossible, selon vous, de vivre heureux et de s’épanouir dans une cellule familiale monoparentale ou avec deux parents de même sexe ?
Il y a plusieurs manières de « faire famille » aujourd’hui en France, mais nous estimons qu’il y en a des préférables à d’autres. Celle avec un père et une mère donne la pleine mesure à ce que l’altérité parentale permet dans l’éducation d’un enfant. La monoparentalité ne nuit pas forcément au bonheur d’un enfant mais ce n’est pas parce que d’autres modèles existent que nous acceptons qu’ils soient applicables à tous.
Pourquoi vouloir l’uniformisation plutôt que la diversité des modèles familiaux ?
La situation montre qu’il n’y a pas de modèle unique. De fait, ce n’est ni l’enjeu ni notre souhait. Mais nous estimons qu’avoir père et mère reste le modèle qui donne le plus d’appui dans la vie. Cette journée doit rester la fête des mères et pas celle du parent 1. Les désirs d’adultes, même s’ils sont forts, entendables et respectables ne doivent pas écraser les besoins de l’enfant.
L’autre revendication du cortège aujourd’hui est d’empêcher l’accès pour les couples homosexuels à la procréation médicalement assistée (PMA), ainsi qu’à la gestation par autrui (GPA). Des points qui ont été repoussés par le gouvernement à une future loi sur la famille, après rendu de l’avis du comité consultatif national d’éthique. Cette revendication n’est-elle pas prématurée ?
Les prises de paroles des ministres ont déjà montré qu’ils souhaitaient accorder la PMA aux couples du même sexe et légaliser la GPA en France. Par ailleurs, la circulaire Taubira permet déjà à des couples qui ont « acheté » des enfants à l’étranger, souvent aux Etats-Unis, de les transcrire dans l’Etat Civil français. Ce sont donc des préoccupations très actuelles.
Sur quels autres thèmes du débat public souhaitez-vous également peser à l’avenir_ ?
Nous n’avons pas vocation à étendre nos revendications à d’autres domaines tels que l’économie ou les relations internationales. Les oppositions précédemment citées sont les seuls dénominateurs communs de la trentaine d’associations qui composent le collectif de la Manif pour tous. Par contre, nous souhaitons également peser contre l’enseignement de la théorie du genre aux enfants dès l’âge de 6 ans, comme le prévoit un amendement sur le projet de loi Peillon sur l’école. [NDLR : l’amendement en question ne prévoit pas l’enseignement de la théorie du genre, mais celle de « l’égalité des genres » pour résorber les discriminations dès l’enfance].
Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, envisage de prendre des mesures d’interdiction du Printemps Français, une nébuleuse qui réunit les opposants radicaux au mariage pour tous. Craignez-vous des dérapages lors de la manifestation d’aujourd’hui et une radicalisation d’une aile de votre mouvement ?
Nous condamnons avec virulence les violences et les agressions qui peuvent-être commises, alors que nous nous trouvons dans un Etat républicain. Nous ne sommes pas le seul mouvement d’opposition à la loi Taubira et ne souhaitons donc pas être tenus pour responsables des débordements. Si le Printemps Français a fourni les preuves de sa dangerosité, il doit être interdit, mais Manuel Valls n’a pas à rendre public ses états d’âme. Cela ressemble davantage à une communication mesurée pour diaboliser l’opposition à cette loi dans son ensemble, en cherchant à convaincre que les débordements, les violences et la radicalisation sont inévitables.
Comment réagissez-vous face aux tentatives de récupération politique de votre mouvement, quand Jean-François Copé « ouvre les bras à cette génération mûre pour l’engagement politique » et que l’UMP38 appelle sur son site ses militants à se joindre au cortège d’aujourd’hui pour « un NON global à la politique de François Hollande » ?
La ficelle est trop grosse ! Nous ne sommes pas dupes, d’autant que ce n’est pas notre revendication. En revanche, ce qui est juste, c’est que la Manif pour tous a permis à de nombreux jeunes citoyens de se politiser, pas en allant vers des partis, mais vers des valeurs qu’ils souhaitent défendre comme un héritage national. Cependant, l’hypothèse, évoquée pendant un temps, de présenter des listes de la Manif pour tous aux élections municipales de 2014 est peu probable. Malgré tout, les élus sont les bienvenus dans nos rangs, en particulier les maires qui, en raison de leur statut d’officier d’Etat civil, seront amenés à célébrer ces unions. Mais la seule revendication de la manifestation, c’est la protection de la filiation.
À ce sujet, le maire de Vienne, Jacques Remiller, refuse de célébrer des mariages de personnes du même sexe. Il a depuis été désavoué par une adjointe de sa majorité qui le fera volontiers. Est-ce que vous appelez d’autres maires à adopter un positionnement similaire ?
Le gouvernement n’a pas conservé la possibilité d’une objection de conscience des maires, après l’avoir pourtant évoquée, en considérant que le service public devait être assuré de manière identique en tout point du territoire. Mais il est légitime que des élus aient une prise de conscience et qu’ils estiment que ces unions provoqueront une injustice pour l’enfant en cas d’adoption. Nous avons organisé vendredi un rassemblement devant la mairie de Vienne pour soutenir Jacques Remiller dans ses choix. Ce n’est pas à nous de trouver les aménagements nécessaires pour faire appliquer la loi.
Quel regard portez-vous sur la mobilisation en Isère, depuis ses prémices jusqu’à aujourd’hui ?
La mobilisation n’a pas cessé de croître d’une manifestation à l’autre. Cela s’est traduit dans les chiffres. Pour la première manifestation parisienne du 13 janvier dernier, quatre bus seulement ont été affrétés. Dès la deuxième manifestation, nous avons ajouté une rame de TGV à ce dispositif, soit 700 Isérois. Aujourd’hui, les deux rames étaient complètes. Nous sommes surpris par cet engouement des militants isérois qui n’ont pas manqué d’imagination et se sont adaptés aux particularités locales. Cet hiver, ils sont allés jusqu’à tracter sur les pistes de ski ou à déployer quatorze banderoles simultanément sur les ponts des autoroutes du département.
Les premiers mariages de personnes du même sexe devraient être célébrés dans le courant de l’été à Grenoble. Prévoyez-vous de manifester votre opposition en marge de ces unions ?
Nous devons être vigilants à ne pas nous tromper de combat. Nous n’envisageons pas d’aller perturber les mariages de personnes qui s’aiment et pour qui c’est un jour important. Saccager ces instants serait une aberration. Je le redis, notre attention est centrée sur l’injustice envers les enfants.
Propos recueillis par Victor Guilbert
L’entretien a été réalisé jeudi après-midi dans les locaux de Place Gre’net et complété samedi par téléphone. Il n’a pas été soumis à relecture.
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