ENTRETIEN – Après cinq ans de procédure, Raymond Avrillier vient d’obtenir une nouvelle satisfaction sur le plan judiciaire. La cour d’appel administrative de Paris a, en effet, enjoint le ministre de l’Intérieur de lui communiquer les données de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) le concernant. Le militant écologiste revient sur cette victoire, dévoile ses nouveaux combats judiciaires et plaide pour un renouveau citoyen.
Savoyard d’origine, arrivé à Grenoble à l’âge de onze ans, Raymond Avrillier a fait ses armes dans le syndicalisme étudiant. Passé par l’INPG de Grenoble, il a été chercheur en sciences sociales. Il a été actif dans les mouvements sociaux et politiques à Grenoble et a participé à empêcher le redémarrage du réacteur nucléaire Superphénix. Il révèle en 1995 le système de corruption entre Alain Carignon et la société Lyonnaise des eaux. L’ex-maire de Grenoble incarcéré, il fait alliance avec la liste socialiste de Michel Destot au second tour des élections municipales de 1995, avant de s’en écarter dix ans plus tard. De ses trois mandats successifs, sa principale fierté est d’avoir été un des acteurs importants du retour en régie publique de l’eau de Grenoble.C’est pour vous la fin d’un nouveau marathon judiciaire. Qu’est-ce qui vous a conduit à réclamer votre fiche à la DCRI ? Tous les citoyens ont le droit de connaître les informations les concernant annotées dans les fichiers de l’administration. C’est d’ailleurs dommage qu’il n’y ait pas davantage de personnes qui en fassent la demande. La DCRI, les renseignements militaires, sans parler de la NSA, détiennent des informations de manière irrégulière. L’arrêt de la cour administrative d’appel le confirme, démontrant que trois ministres de l’Intérieur successifs, Michèle Alliot-Marie, Brice Hortefeux et Claude Guéant, étaient dans l’illégalité en refusant de me communiquer ces données. Manuel Valls a désormais deux mois pour me les transmettre. Faute de quoi, je suis prêt à lui demander de mettre à disposition la force publique pour aller à la DCRI récupérer ces informations et faire ainsi appliquer la loi. Que pensez-vous trouver dans ces fiches ? Pour obtenir ces informations, je devais paradoxalement prouver pendant l’instruction que des éléments me concernant figuraient dans les fichiers de renseignements. En raison de mes activités passées, j’en avais la preuve, puisque dans mon action pour éviter la réouverture du réacteur nucléaire Superphénix, j’avais fait des constatations sur place, accompagné d’un expert et de Corinne Lepage, quand vingt tonnes de sodium fuyaient entre les deux cuves du barillet. Une fiche de gendarmerie avait été dressée. J’ai également obtenu la preuve d’écoutes téléphoniques. Je souhaite désormais savoir si elles ont été réalisées par des services officiels, qui l’ont démenti, ou par des polices parallèles qui auraient été mises en œuvre par des personnalités que j’avais attaquées… pour corruption en bande organisée par exemple ! Doutez-vous des informations qui vous seront transmises ? J’ai de grandes craintes, car Xavier Peneau, qui était l’un des membres de la bande organisée qui a sévi à Grenoble, a été chargé par Nicolas Sarkozy de trier les archives des services de renseignements au moment de leur fusion au sein de la DCRI. L’archivage du ministère de l’Intérieur pourrait ainsi s’avérer très politique. Votre victoire judiciaire pourrait faire jurisprudence. Encouragez-vous vos concitoyens à faire une démarche similaire ? C’est une procédure lourde et longue mais c’est un acte citoyen qui peut faire évoluer la question du fichage au plan juridique. À condition que ce soit des personnes qui aient eu des activités publiques de façon associative, militante ou politique, pour ne pas saturer les tribunaux. La justice administrative se bornait jusqu’à maintenant à demander au ministère de l’Intérieur de réétudier les dossiers. Désormais, ce jugement ouvre la brèche puisque le juge administratif oblige le ministère à communiquer les informations. C’est inédit. Les droits de chacun sont amenés à évoluer. Quel est votre prochain marathon judiciaire ? Je travaille avec un petit groupe d’« ouvriers de la vie collective ». Nous avons plusieurs dossiers en cours. Certains à l’échelle locale, comme les risques chimiques dans le bassin grenoblois et les services publics essentiels, le gaz et l’électricité, le chauffage urbain, où tout est illégal, les déchets, l’eau et l’assainissement…. Aucune autorité publique ne fait respecter le droit des usagers pour éviter les surprofits et garantir la qualité du service rendu. Le tribunal administratif se révèle parfois complice par les délais de jugement. Je planche également sur des dossiers d’une autre échelle, comme l’aéroport Notre-Dame des Landes confié au groupe Vinci, qui avait absorbé toutes les sociétés grenobloises impliquées dans les affaires de corruption de Grenoble. Nous avons acquis de l’expérience politique, administrative et juridique dans les affaires grenobloises. Elle sera utile à nos amis qui se battent contre l’implantation de l’aéroport. Les élus, même certains écologistes, restent dans l’incantation et ne passent pas à l’action pour obtenir des informations, alors qu’ils en ont le droit et le pouvoir. Alain Carignon est candidat à la primaire de la droite à Grenoble. Comment interprétez-vous son retour sur la scène locale ? Monsieur Carignon est primaire ! C’est normal qu’un multirécidiviste ne baisse pas les bras. Le système corruptif est toujours en place à Grenoble, tout comme les structures qui ont bénéficié de sa corruption et qui espèrent en bénéficier à nouveau. Il revient donc dans sa cuvette après un passage par Marrakech, Neuilly et les cabinets de la présidence de la République. Le fonctionnement politique actuel est un système qui favorise l’abus de confiance vis-à-vis des électeurs. Ce n’est pas un problème moral. Quand on parle en grandes pompes de « moralisation de la vie publique », il suffirait d’appliquer les règles et d’utiliser les procédures existantes pour que l’argent public ne profite pas à des profits privés et personnels. Les citoyens doivent se remobiliser pour refuser le clientélisme que leur proposent les élus, en négociant une subvention, un emploi ou un logement. L’affaiblissement de la citoyenneté active n’arrange rien. L’abstentionnisme progresse, favorisant une logique politique fasciste à l’image du modèle berlusconien. Vous êtes signataire d’un courrier, adressé fin juin à tous les Grenoblois, en faveur d’une ville à taille humaine, écologique et solidaire. Est-ce le contour d’une liste autour des écologistes ? Ce courrier rassemblait différentes personnalités issues du monde politique et militant. Nous avons la volonté de regrouper différents courants pour présenter une alternative crédible à une liste de droite et à une liste sortante socialiste qui a appliqué une politique de droite en conduisant la ville dans une situation sociale critique. Le marketing politique nous présente la ville comme innovante, sans jamais faire état de la précarité sociale. 13 500 ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit 19% de la population et 11 700 personnes sont au chômage. Il faut un changement maintenant. C’est pour nous une urgence et non un slogan de campagne, contrairement à François Hollande qui s’occupe finalement des affaires courantes. Souhaiteriez-vous reprendre des fonctions électives ? Je serai plus utile en obtenant gain de cause par les actions militantes et le droit. Ce pourrait être une fonction d’appui. Ma tâche est celle de traquer l’argent public, en vérifiant qu’il sert l’intérêt général et non pas les opérations marketing ou les groupes privés. Nous avons, par exemple, réussi à bloquer le lancement de la rocade nord en informant les citoyens sur leur pouvoir dans l’enquête d’utilité publique. Il faut aussi laisser la place aux jeunes quand ils sont compétents et refusent la dépendance économique et le populisme d’extrême droite qui cherche à détruire l’intérêt général. Comment espéreriez-vous voir évoluer Grenoble ces dix prochaines années ? J’ai l’espoir que nous puissions vivre ensemble de manière soutenable dans une ville accueillante. Pour cela, il va falloir changer l’esprit des politiques publiques en associant les habitants aux décisions. Le citoyen doit retrouver confiance dans l’usage qui est fait de l’argent public et cela passe simplement par l’implication des habitants. Ils doivent exprimer leurs soucis quotidiens, dénoncer par eux-mêmes que l’aménagement soit concentré sur le centre-ville, alors que des quartiers populaires, comme Saint-Bruno, sont en décrépitude. Pourtant, son marché accueille des milliers de personnes par an. Nous devons retrouver des élus issus du peuple. Par ailleurs, nous devons sortir de l’affrontement – entre générations ou entre cyclistes et automobilistes par exemple – pour tendre vers la vie ensemble. Les priorités financières, en matière de logement, doivent être consacrées à l’entretien et à l’amélioration de l’existant avant de vouloir construire de nouvelles tours de logements ! 1% des logements seulement est rénové chaque année à Grenoble. C’est insuffisant. Enfin, nous devons relancer les activités dans les domaines où Grenoble a un savoir : l’hydraulique, l’énergie, le climat, la montagne, la santé ; depuis la recherche jusqu’à l’industrie. Nous devons reconstruire une activité utile à tous, plutôt que de concentrer les moyens sur les opérations Frankenstein de Clinatec et des nanotechnologies. Plutôt que d’essayer de faire changer l’humeur des gens, il faut retrouver un idéal montagnard au sens politique, contestataire et créateur ! Propos recueillis par Victor Guilbert L’entretien a été réalisé à Grenoble, le vendredi 12 juillet, dans les locaux de l’ADES. Il n’a pas été soumis à relecture. Des corrections ont été apportées lundi 22 juillet. - Consultez ici les autres entretiens politiques du Dimanche de Place Gre’net.