TRIBUNE – Au travers d’une tribune, une lectrice de Place Gre’net a souhaité relater le « cauchemar » qu’elle dit avoir vécu en août 2025 à Grenoble, alors qu’elle essayait de trouver des secours acceptant de faire hospitaliser sa sœur aux urgences psychiatriques. Son titre (« démerde-toi ») « traduit fidèlement le sentiment d’abandon que ressentent de nombreuses familles confrontées aux carences de la prise en charge en urgence psychiatrique », explique-t-elle. Au-delà du témoignage personnel, ce récit entend « alerter sur des dysfonctionnements systémiques » et sur la lourde charge qu’ils font peser sur les proches des patients.
Que se passe-t-il quand un proche sombre dans la maladie mentale et que la famille se retrouve seule face à sa détresse ? Comment expliquer qu’en 2025, des familles entières échouent à déclencher l’arrivée des secours ? Faudra-t-il attendre le drame pour obtenir une prise en charge [ aux urgences psychiatriques ] ?
Je suis la sœur d’une femme atteinte de troubles bipolaires depuis l’adolescence. En août 2025 [à Grenoble], j’ai vécu une expérience cruelle, que bien d’autres familles pourraient connaître demain. Mon récit intime et universel révèle notre fragilité : nous sommes devenus, malgré nous, le premier maillon de la chaîne des urgences psychiatriques. Il met aussi en lumière les défaillances graves du centre 15, de la police et des établissements psychiatriques.
Une rechute rapide et une spirale hors de contrôle
Ma sœur est sortie de l’hôpital psychiatrique mi-juillet. Deux jours plus tard, les symptômes maniaques sont réapparus. Son psychiatre était en congé. Désinhibée, errant dans les rues, elle interpellait bruyamment les passants et s’acharnait sur ses proches.

Le centre hospitalier Alpes-Isère (Chai), hôpital psychiatrique à Saint-Égrève. © Paul Turenne – Place Gre’net
Jour après jour, elle harcelait une amie : insultes, menaces de mort, présence répétée en bas de son immeuble. Les habitants signalaient sa dangerosité au Samu et à la police, en vain. L’amie, malade elle-même, n’osait plus sortir. Début août, les irruptions devinrent quotidiennes, jusqu’à quatre fois par jour. L’insécurité grandissait, sans qu’aucune autorité n’intervienne.
J’habite à plus de 500 km mais j’ai dû me rendre sur place. J’ai multiplié les appels. Je me souviens d’avoir alerté la police alors que ma sœur traversait la chaussée sans regarder, manquant de se faire écraser. Que faire lorsqu’un proche court à sa perte, refuse toute aide et repousse surtout celle de sa famille ? Je n’ai ni formation médicale ni capacité physique pour contenir une personne en crise.
Le vide juridique et interventionnel
C’est finalement une psychiatre installée près de la résidence qui, alertée par les cris, a pris l’initiative d’intervenir. Constatant la gravité de l’état de ma sœur, elle a décidé de la faire hospitaliser. Aidée des voisins, elle a pu la contenir, puis a sollicité la police et tenté de mobiliser le Samu. Réponse de l’assistant de régulation : le Smur1Structure mobile d’urgence et de réanimation. n’intervient pas « pour de la psychiatrie ».
Les policiers ne sont pas habilités à effectuer un transport sanitaire. Les pompiers ne peuvent intervenir qu’avec l’accord du patient – impossible ici. Résultat : un vide juridique et opérationnel qui laisse les familles seules face à une urgence psychiatrique pourtant médicale.
La psychiatre a dû annuler ses consultations pour héberger ma sœur dans sa salle d’attente, le temps de trouver une ambulance et de réactiver une hospitalisation sous contrainte. À l’hôpital, il a fallu l’isoler et la traiter lourdement, preuve de la gravité de la situation.
Urgences psychiatriques : quand l’État se défausse sur les familles
Longtemps, j’ai cru que l’urgence psychiatrique relevait d’un secours collectif. Je sais désormais que la responsabilité repose sur les proches, renvoyés de service en service. Le Samu invoque des règlements pour justifier sa non-intervention. La police, débordée, repousse ses déplacements. L’hôpital psychiatrique, pourtant responsable du suivi, conseille d’appeler le 15 ou le 17.

« Le Samu invoque des règlements pour justifier sa non-intervention ». © Joël Kermabon – Place Gre’net
Ainsi, les familles se perdent dans une zone grise : vide humain, vide sanitaire, vide juridique. Épuisées, révoltées, elles deviennent soignants improvisés, urgentistes de fortune, médiateurs contraints. Mais jusqu’où faudra-t-il attendre pour qu’enfin le système se mobilise ? La faute grave ? Le drame irréversible ?
Quelles solutions ?
Des mesures simples pourraient éviter ces cauchemars :
Déployer des équipes mobiles spécialisées, composées d’un binôme infirmier psychiatrique – travailleur social ou pair-aidant, accompagné d’un policier formé à la désescalade. Ces équipes interviendraient rapidement au domicile ou dans l’espace public après signalement, pour évaluer, désamorcer la crise et orienter le malade ;
Simplifier la procédure de ré-hospitalisation, afin que les proches ne soient pas contraints à un parcours kafkaïen ;
Soutenir les familles par des formations, des groupes de parole et une reconnaissance officielle de leur rôle d’aidants et de vigies, à l’image des actions menées par l’Unafam2Union nationale de familles et amis de personnes malades..
Et surtout : mettre en place un suivi médico-social renforcé à la sortie d’hospitalisation. Pourquoi faut-il attendre la rechute pour réagir ? Pourquoi, malgré des antécédents connus, aucun programme de soins n’est proposé ?
Au-delà de la psychiatrie, un enjeu de société
Cette expérience interroge les limites de la psychiatrie : son incapacité à prévenir les crises, son impuissance à offrir un accompagnement durable. Elle met en lumière le paradoxe d’un système qui invoque le libre arbitre pour justifier l’absence de soins contraignants, tout en déclarant le malade juridiquement irresponsable de ses actes.

Yannick Neuder, ministre (démissionnaire) de la Santé, et Monique Sorrentino, directrice générale du CHU de Grenoble. © Joël Kermabon – Place Gre’net
En cette année où la santé mentale est proclamée « grande cause nationale », l’urgence psychiatrique doit redevenir une mission de santé publique à part entière. Tant que l’État déléguera ce fardeau aux familles, tant qu’il laissera subsister ce vide juridique et opérationnel, il exposera malades et proches à l’épuisement, à la colère – et au risque du drame.
Rappel : Les tribunes publiées sur Place Gre’net ont pour vocation de nourrir le débat et de contribuer à un échange constructif entre citoyens d’opinions diverses. Les propos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opinions des journalistes ou de la rédaction et n’engagent que leur auteur.
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