Le syn­chro­tron de Grenoble met en lumière le carac­tère pré­da­teur de l’an­cêtre du vam­pire des abysses

Le syn­chro­tron de Grenoble met en lumière le carac­tère pré­da­teur de l’an­cêtre du vam­pire des abysses

FOCUS – Des scien­ti­fiques fran­çais ont démon­tré que Vampyronassa rho­da­nica, l’un des plus anciens ancêtres du vam­pire des abysses, était un chas­seur actif. On ne parle pas ici de la créa­ture mytho­lo­gique, mais d’a­ni­maux bien réels qui sont les ancêtres des cal­mars et des pieuvres. Cette décou­verte est le fruit d’une col­la­bo­ra­tion entre plu­sieurs labo­ra­toires tels que le syn­chro­tron de Grenoble, qui s’est occupé de l’imagerie.

Vampyronassa rho­da­nica est consi­déré comme l’un des plus anciens ancêtres du vam­pire des abysses (Vampyroteuthis infer­na­lis), seule espèce vivante connue de cette famille. Comme son nom l’in­dique, cette espèce évo­lue dans les pro­fon­deurs, à plus de 500 mètres par rap­port à la sur­face. Une espèce entou­rée de mys­tères, en rai­son notam­ment du nombre de fos­siles limités.

Alison Rowe, doc­to­rante à Sorbonne Université, et ses col­lègues ont pu étu­dier trois spé­ci­mens bien conser­vés de cette espèce, vieux de plus de 164 mil­lions d’an­nées, décou­verts à la Voulte-sur-Rhône (Ardèche, France). Des fos­siles d’a­ni­maux du Jurassique, d’en­vi­ron 10 cm de long, se com­po­sant de huit bras, d’un corps allongé de forme ovale et de deux petites nageoires.

Un vampire des Abysses photographié dans la baie de Monterey, en Californie

Un vam­pire des Abysses pho­to­gra­phié dans la baie de Monterey, en Californie, aux États-Unis. L’image est une photo d’une séquence vidéo recueillie à une pro­fon­deur de 717 mètres. Domaine public

20 000 fois plus pré­cis qu’une ima­ge­rie d’hôpital

Ces pré­cieux ves­tiges du passé ont été ame­nés à l’ESRF, pour obte­nir des images plus pré­cises. « Nous avons uti­lisé la tomo­gra­phie syn­chro­tron à l’ESRF afin de mieux iden­ti­fier les contours des dif­fé­rentes carac­té­ris­tiques ana­to­miques », explique Alison Rowe.

En effet, le Muséum d’his­toire natu­relle de Paris avait déjà réa­lisé des cli­chés, mais le maté­riel man­quait de puis­sance pour en décou­vrir davan­tage sur les vam­pires. D’où l’in­té­rêt d’u­ti­li­ser un syn­chro­tron pour en per­cer les secrets.

Cet accé­lé­ra­teur de par­ti­cules est spé­cia­lisé dans la pro­duc­tion de rayons X. Le prin­cipe : faire tour­ner des élec­trons à haute vitesse dans un anneau. Si ces der­niers changent de direc­tion, cela crée des per­tur­ba­tions à l’o­ri­gine d’un rayon­ne­ment élec­tro­ma­gné­tique à haute fréquence.

© Scientific Reports

Images acquises à l’ESRF : en (a), la recons­truc­tion de V. rho­da­nica © P. Loubry, CR2P. En (b), la coupe du spé­ci­men. En ©, la repré­sen­ta­tion 3D mon­trant la cou­ronne du bras et d’autres élé­ments pré­su­més. En (d), la recons­truc­tion 3D externe. En (e), la coupe mon­trant la vue de pro­fil. © Scientific Reports

« Le syn­chro­tron de Grenoble est 100 mil­liards de fois plus brillant que le fais­ceau de rayons X pro­duit dans un hôpi­tal », explique Vincent Fernandez, scien­ti­fique à l’ESRF. La brillance est un fac­teur essen­tiel dans la cap­ta­tion d’une image, puisque cela joue sur la pré­ci­sion. En effet, une photo prise dans un espace sous-éclairé, lais­sera appa­raître moins de détails.

Un scan­ner d’hô­pi­tal est ainsi capable de voir des objets de l’ordre d’un mil­li­mètre. « Pour le syn­chro­tron, on arrive à obser­ver des objets de l’ordre de 20 nano­mètres », pré­cise le cher­cheur. C’est 20 000 fois plus pré­cis qu’en milieu hospitalier.

La tomo­gra­phie à rayons X pour créer des « tranches virtuelles »

Malgré tout, « scan­ner un fos­sile reste com­pli­qué. C’est de la roche, c’est dense et cela demande un fais­ceau très puis­sant », pré­cise le scien­ti­fique de l’ESRF. « Un fos­sile qui ne ferait que quelques mil­li­mètres, on pour­rait le faire dans tous les syn­chro­trons, mais sur un bloc d’une dizaine de cen­ti­mètres, cela n’est réa­li­sable que dans peu d’en­droits dans le monde. » 

Fossile de l'ancêtre du vampire des abysses © P. Loubry, CR2P

Photographie d’un des fos­siles numé­ri­sés à l’ESRF © P. Loubry, CR2P

Le paléon­to­logue Vincent Fernandez tra­vaillant dans l’ac­cé­lé­ra­teur de par­ti­cules, cela lui per­met en outre d’être le lien entre l’ins­tru­ment et les scien­ti­fiques. Et de pou­voir dis­cu­ter avec la com­mu­nauté scientifique.

Concrètement, la tomo­gra­phie à rayons X per­met de créer des coupes vir­tuelles d’un objet. « Si on scanne un sau­cis­son avec cette tech­nique, on peut en créer des tranches vir­tuelles, sans avoir à cou­per le vrai sau­cis­son », pré­cise le chercheur.

L’intérêt est ainsi de pou­voir cou­per dans n’im­porte quel sens grâce à un ordi­na­teur. Cela a per­mis de réa­li­ser une modé­li­sa­tion 3D de l’a­ni­mal du Jurassique. Et pour aller plus loin, voici une vidéo pour com­prendre les enjeux autour de la tech­nique employée.

Vampire des abysses : des ven­touses plus grandes et plus robustes

L’imagerie a ainsi révélé des détails aupa­ra­vant incon­nus au niveau des ten­ta­cules. Alison Rowe et ses col­lègues ont ainsi com­paré leurs don­nées tomo­gra­phiques avec celles d’un autre spé­ci­men de vam­pire des abysses fos­si­lisé, numé­risé à l’American Museum of Natural History de New York.

Ils ont ainsi pu conclure que les ven­touses et les cirres1cil ou fila­ment de cer­tains mol­lusques, crus­ta­cés, insectes ou anné­lides consti­tuant un organe loco­mo­teur, sen­so­riel, repro­duc­teur… de l’oc­to­pus du Jurassique étaient plus grands et plus robustes que ceux de la forme moderne. Ils étaient aussi répar­tis sur les ten­ta­cules dans une confi­gu­ra­tion différente.

« Nous pen­sons que la mor­pho­lo­gie et le pla­ce­ment des ven­touses et des cirres de V. rho­da­nica ont per­mis à cette espèce d’aug­men­ter sa puis­sance d’as­pi­ra­tion et ses capa­ci­tés sen­so­rielles par rap­port à la forme moderne, lui per­met­tant ainsi de mieux attra­per et rete­nir ses proies », explique Alison Rowe.

© Scientific Reports

La recons­truc­tion en 3D et en image CT de la cou­ronne du bras et d’une ven­touse dor­sale de V. rho­da­nica. En (a), la recons­ti­tu­tion de la cou­ronne du bras montre la plus longue paire de bras dor­saux. En (b), une coupe de la sec­tion dis­tale de la paire de bras dor­sal. En © et (d), la recons­truc­tion 3D d’une ven­touse dor­sale en vue de pro­fil et orale res­pec­ti­ve­ment. La cou­leur jaune montre la sur­face zone d’adhé­sion. © Scientific Reports

Cela sug­gère que le vam­pire des abysses du Jurassique était un pré­da­teur actif, capable d’exer­cer une aspi­ra­tion suf­fi­sante pour atti­rer, mani­pu­ler et main­te­nir des proies. Une décou­verte qui inter­roge sur l’é­vo­lu­tion de cette espèce.

En effet, le cal­mar vam­pire, son des­cen­dant actuel, s’est adapté à un mode de vie océa­nique pro­fond à faible consom­ma­tion d’éner­gie. Pour sur­vivre, il se nour­rit de matière orga­nique à la dérive et tient donc plus de l’op­por­tu­niste que du prédateur.

Benjamin Houry

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