FOCUS – Des scientifiques français ont démontré que Vampyronassa rhodanica, l’un des plus anciens ancêtres du vampire des abysses, était un chasseur actif. On ne parle pas ici de la créature mythologique, mais d’animaux bien réels qui sont les ancêtres des calmars et des pieuvres. Cette découverte est le fruit d’une collaboration entre plusieurs laboratoires tels que le synchrotron de Grenoble, qui s’est occupé de l’imagerie.
Vampyronassa rhodanica est considéré comme l’un des plus anciens ancêtres du vampire des abysses (Vampyroteuthis infernalis), seule espèce vivante connue de cette famille. Comme son nom l’indique, cette espèce évolue dans les profondeurs, à plus de 500 mètres par rapport à la surface. Une espèce entourée de mystères, en raison notamment du nombre de fossiles limités.
Alison Rowe, doctorante à Sorbonne Université, et ses collègues ont pu étudier trois spécimens bien conservés de cette espèce, vieux de plus de 164 millions d’années, découverts à la Voulte-sur-Rhône (Ardèche, France). Des fossiles d’animaux du Jurassique, d’environ 10 cm de long, se composant de huit bras, d’un corps allongé de forme ovale et de deux petites nageoires.
20 000 fois plus précis qu’une imagerie d’hôpital
Ces précieux vestiges du passé ont été amenés à l’ESRF, pour obtenir des images plus précises. « Nous avons utilisé la tomographie synchrotron à l’ESRF afin de mieux identifier les contours des différentes caractéristiques anatomiques », explique Alison Rowe.
En effet, le Muséum d’histoire naturelle de Paris avait déjà réalisé des clichés, mais le matériel manquait de puissance pour en découvrir davantage sur les vampires. D’où l’intérêt d’utiliser un synchrotron pour en percer les secrets.
Cet accélérateur de particules est spécialisé dans la production de rayons X. Le principe : faire tourner des électrons à haute vitesse dans un anneau. Si ces derniers changent de direction, cela crée des perturbations à l’origine d’un rayonnement électromagnétique à haute fréquence.
« Le synchrotron de Grenoble est 100 milliards de fois plus brillant que le faisceau de rayons X produit dans un hôpital », explique Vincent Fernandez, scientifique à l’ESRF. La brillance est un facteur essentiel dans la captation d’une image, puisque cela joue sur la précision. En effet, une photo prise dans un espace sous-éclairé, laissera apparaître moins de détails.
Un scanner d’hôpital est ainsi capable de voir des objets de l’ordre d’un millimètre. « Pour le synchrotron, on arrive à observer des objets de l’ordre de 20 nanomètres », précise le chercheur. C’est 20 000 fois plus précis qu’en milieu hospitalier.
La tomographie à rayons X pour créer des « tranches virtuelles »
Malgré tout, « scanner un fossile reste compliqué. C’est de la roche, c’est dense et cela demande un faisceau très puissant », précise le scientifique de l’ESRF. « Un fossile qui ne ferait que quelques millimètres, on pourrait le faire dans tous les synchrotrons, mais sur un bloc d’une dizaine de centimètres, cela n’est réalisable que dans peu d’endroits dans le monde. »
Le paléontologue Vincent Fernandez travaillant dans l’accélérateur de particules, cela lui permet en outre d’être le lien entre l’instrument et les scientifiques. Et de pouvoir discuter avec la communauté scientifique.
Concrètement, la tomographie à rayons X permet de créer des coupes virtuelles d’un objet. « Si on scanne un saucisson avec cette technique, on peut en créer des tranches virtuelles, sans avoir à couper le vrai saucisson », précise le chercheur.
L’intérêt est ainsi de pouvoir couper dans n’importe quel sens grâce à un ordinateur. Cela a permis de réaliser une modélisation 3D de l’animal du Jurassique. Et pour aller plus loin, voici une vidéo pour comprendre les enjeux autour de la technique employée.
Vampire des abysses : des ventouses plus grandes et plus robustes
L’imagerie a ainsi révélé des détails auparavant inconnus au niveau des tentacules. Alison Rowe et ses collègues ont ainsi comparé leurs données tomographiques avec celles d’un autre spécimen de vampire des abysses fossilisé, numérisé à l’American Museum of Natural History de New York.
Ils ont ainsi pu conclure que les ventouses et les cirres1cil ou filament de certains mollusques, crustacés, insectes ou annélides constituant un organe locomoteur, sensoriel, reproducteur… de l’octopus du Jurassique étaient plus grands et plus robustes que ceux de la forme moderne. Ils étaient aussi répartis sur les tentacules dans une configuration différente.
« Nous pensons que la morphologie et le placement des ventouses et des cirres de V. rhodanica ont permis à cette espèce d’augmenter sa puissance d’aspiration et ses capacités sensorielles par rapport à la forme moderne, lui permettant ainsi de mieux attraper et retenir ses proies », explique Alison Rowe.
Cela suggère que le vampire des abysses du Jurassique était un prédateur actif, capable d’exercer une aspiration suffisante pour attirer, manipuler et maintenir des proies. Une découverte qui interroge sur l’évolution de cette espèce.
En effet, le calmar vampire, son descendant actuel, s’est adapté à un mode de vie océanique profond à faible consommation d’énergie. Pour survivre, il se nourrit de matière organique à la dérive et tient donc plus de l’opportuniste que du prédateur.