FOCUS – Plusieurs organisations de gauche, d’extrême gauche, libertaires et antifascistes organisaient, ce vendredi 10 décembre 2021, place Victor-Hugo, à Grenoble, un rassemblement de soutien aux luttes dans les Antilles. En Guadeloupe et en Martinique, la mobilisation contre l’obligation vaccinale et le pass sanitaire a en effet débouché, depuis la mi-novembre, sur un vaste mouvement de grève générale intégrant des revendications sociales.
Malgré le froid et la pluie, plusieurs dizaines de personnes se sont réunies ce vendredi 10 décembre 2021, en début de soirée, sur la place Victor-Hugo, à Grenoble, pour exprimer leur soutien aux luttes dans les Antilles. Un rassemblement appelé par une large coordination de collectifs, associations, partis et syndicats, du NPA à Solidaires, en passant par la FSU, Attac, la CNT, l’Unef, le Dal, l’Action antifasciste Grenoble ou le Comité traite négrière / esclavage (CTNE) et le Front uni des immigrations et quartiers populaires (FUIQP).
Depuis plusieurs semaines en effet, la Guadeloupe et la Martinique sont touchées par un large mouvement social. La grève générale, lancée à la mi-novembre en Guadeloupe, puis peu après en Martinique contre l’obligation vaccinale des soignants et le pass sanitaire, a servi d’étincelle, réveillant des tensions enfouies depuis de longues années.
Beaucoup d’Antillais se sentent « considérés comme des citoyens de seconde zone »
La contestation s’est ainsi étendue à de vastes revendications sociales, portant sur la pénurie de services publics, la vie chère, l’accès aux soins et à l’eau potable, la dépollution des sols, le taux de chômage ou encore l’arrêt de la répression. Une mobilisation qui a pris différentes formes : manifestations massives, barrages routiers, blocage des ports…
Si les violences urbaines, largement médiatisées, ont irrité une partie de la population, la colère est, elle, largement partagée par les habitants des deux îles. Avec le sentiment, pour beaucoup de Guadeloupéens et de Martiniquais, d’être « méprisés et considérés comme des citoyens de seconde zone », ainsi que l’ont rappelé plusieurs oratrices lors du rassemblement grenoblois.
« C’est comme si, de Grenoble, vous deviez aller jusqu’à Lyon pour vous faire soigner »
Deux militantes – l’une guadeloupéenne, l’autre martiniquaise – se sont exprimées à tour de rôle pour dénoncer les maux, très souvent similaires, de leurs îles respectives. La première a d’abord évoqué la situation catastrophique des hôpitaux guadeloupéens, entre le CHU de Pointe-à-Pitre, partiellement détruit par un incendie en 2017, et l’hôpital de Basse-Terre, situé à l’autre bout de l’île. Deux établissements totalement saturés aujourd’hui.
Résultat des courses : « de nombreux patients sont obligés de faire une heure de route pour être pris en charge, y compris pour les soins urgents », dénonce la militante. Et celle-ci de tenter une comparaison : « C’est comme si, en habitant Grenoble, vous deviez aller jusqu’à Lyon pour vous faire soigner. »
Autre problème récurrent en Guadeloupe, les incessantes coupures d’eau touchant une grande partie des communes du département. Un fléau dû à la vétusté du réseau. « Vous commencez à faire votre vaisselle et, subitement, il n’y a plus d’eau du tout et vous ne pouvez pas la finir », illustre la Guadeloupéenne. « Ça vous gêne sur le coup mais le pire c’est que, souvent, cette coupure va durer dix jours, parfois plus ! »
« À cause du chlordécone, ces deux îles ont les taux d’incidence du cancer de la prostate les plus élevés au monde »
Sa collègue martiniquaise a ensuite enchaîné sur le « scandale du chlordécone ». Ce pesticide, interdit en France en 1990, a continué à être autorisé dans les champs de bananes des Antilles par dérogation ministérielle jusqu’en 1993, provoquant une pollution des sols qui pourrait persister durant plusieurs siècles. Avec des conséquences dramatiques pour la santé des habitants.
« À cause du chlordécone, ces deux îles de moins de 400 000 habitants ont aujourd’hui les taux d’incidence du cancer de la prostate les plus élevés au monde », accuse la militante. Laquelle souligne que « plus de 90% de la population en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone ».
« Les békés, descendants des anciens propriétaires, contrôlent une grande partie de l’économie »
Les deux femmes ont poursuivi en égrenant les autres sujets de contestation : le chômage concernant 60 % des moins de 25 ans, le manque criant de transports publics ou encore la vie chère, avec « des denrées coûtant souvent 40 à 50 % plus cher aux Antilles qu’en métropole ».
Guadeloupéens et Martiniquais subissent d’autant plus mal tous ces problèmes que ceux-ci surviennent dans un lourd contexte historique, marqué par le colonialisme et l’esclavagisme. Une période dont on retrouve encore les stigmates de nos jours.
L’une des deux oratrices a ainsi pointé « les énormes indemnisations versées aux esclavagistes lors de l’abolition de l’esclavage, en 1848″. Celles-ci ont permis aux békés, descendants des anciens propriétaires, de « s’enrichir ». Or, « les békés contrôlent aujourd’hui une grande partie de l’économie sur les deux îles : l’import-export, les supermarchés… », a‑t-elle précisé. De quoi alimenter le ressentiment et les frustrations du reste de la population.
Les manifestants dénoncent la répression de l’Etat français dans les Antilles
Enfin, les manifestants ont dénoncé « la répression policière, judiciaire et patronale » employée depuis le début du mouvement social. Et rappelé que si le couvre-feu en vigueur depuis plusieurs semaines vient d’être levé en Guadeloupe, il a été prolongé en Martinique. L’État français a en effet envoyé le Raid et le GIGN sur place, tandis qu’une centaine de personnes ont été emprisonnées à la suite des manifestations. Certains habitants sans doute coupables de pillages mais d’autres « simplement présents par hasard » ou ayant eu, à leurs yeux, « le tort de manifester leur mécontentement ».
Rappelant « la dette immense que possède la France face à ces deux départements d’outre-mer », les organisations présentes demandent donc au gouvernement de débloquer des moyens pour remédier à ces multiples maux. Et elles appellent la population de métropole à se mobiliser pour soutenir les Guadeloupéens et Martiniquais.