REPORTAGE – De nombreux manifestants ont arpenté les rues de Grenoble pour protester contre la réforme des retraites, ce mardi 10 décembre, dans la foulée de la très forte mobilisation du jeudi 5 décembre. Beaucoup appelaient, là encore, à la convergence des luttes.
« Parmi les travailleurs, il n’y a pas de privilégiés. Ceux qu’il faut faire payer, ce sont les milliardaires et les banques », lit-on sur la poitrine d’un manifestant.
L’ambiance était à la solidarité et à la convergence des luttes, ce mardi 10 décembre. Cette nouvelle mobilisation pour les retraites a rassemblé tous les secteurs professionnels.
Au total, 4 400 manifestants selon la police, 15 000 selon les syndicats. Le cortège est parti à 13 h 30 de la gare et s’est terminé aux alentours de 16 heures à la préfecture place Verdun, le tout sans incident notable.
Une réforme inégalitaire ?
Les contours de la réforme restent encore flous. Elle devrait instaurer, selon les recommandations du haut commissaire aux retraites Jean-Paul Delevoye, un système où les pensions ne seront plus calculées en fonction des trimestres cotisés mais en fonction de points récoltés, selon les sommes cotisées. Le but assumé : faire disparaître les régimes spéciaux.
« Sauf qu’on en profite pour revoir tout le monde à la baisse, estime Michel*, technicien de maintenance à la retraite. Pour les gens qui ont travaillé comme moi dans le privé, nos pensions seront maintenant calculées sur l’intégralité de notre carrière, et plus sur les 25 meilleures années. »
Le gouvernement a assuré ne pas vouloir toucher à l’âge légal de départ à la retraite, qui restera à 62 ans. « Mais si on doit plus travailler pour toucher pareil, au final, c’est comme si on reculait l’âge légal. »
« Trois ans de vie volés en 25 ans »
Catherine, secrétaire retraitée de la fonction publique, arbore une pancarte sur le dos où l’on peut lire : « 1948 : 160 trimestres, 1973 : 172. 3 ans de vie volés en 25 ans ». « Moi, je suis partie à la retraite à 60 ans avec une décote, raconte-t-elle, et c’était non négociable de partir plus tard. »
Les manifestants s’inquiètent également des conséquences de la refonte du système des retraites sur d’autres pans de leur vie. « Ça va impacter l’ensemble du système de soins », s’inquiète Amélie*, infirmière anesthésiste à Voiron.
« Qui pourra se payer l’accès aux soins, qui pourra se payer un Ehpad à 1 000 euros par mois, s’il y a de telles inégalités dans le calcul des pensions de retraite ? »
Un ras-le-bol général
Mais au vu de l’hétéroclisme des pancartes et slogans, les retraites ne sont pas le seul sujet qui fâche au sein des manifestants. « Il va falloir que ça s’arrête, parce qu’on va droit dans le mur ! », souffle Marion, gilet jaune par-dessus son manteau, en regardant la foule.
Ancienne éducatrice spécialisée, elle est devenue famille d’accueil il y a six ans. « Le système est tellement mal foutu que plus l’enfant va mal, moins il voit ses parents par exemple, plus je touche d’argent. Si je le sociabilise, qu’on fait des activités, qu’il a moins besoin de moi, je perds des revenus. »
Une absurdité qui lui pèse. « Tant qu’ils ne comprendront pas, là-haut, que c’est en bas qu’il y a les experts, que nous, on sait comment ça marche… Financièrement, ça ne coûterait pas plus cher de, disons, travailler plus en collaboration avec les familles. Et ça apporterait tellement plus. On passe à côté d’une richesse folle. C’est un gâchis humain considérable. »
Cette horizontalité, Marion l’a trouvée chez les gilets jaunes. « Ça m’a fait du bien, ça m’a redonné espoir de voir que je n’étais pas la seule. Je pense que c’est ce qu’ils espèrent faire en haut, nous empêcher de trop nous parler. »
« Il y a un endroit qu’on ne pourra jamais nous enlever, c’est la rue ! »
Certains vivaient, là, leur première mobilisation, comme Cerena, en première STMG au lycée de la Mure. « Moi, je suis là parce que j’ai peur de ne pas avoir mon bac. On n’a pas de prof de maths depuis septembre, et ma première épreuve est en janvier. »
Les lycéens ont organisé un blocus, et une assemblée générale s’est tenue ce lundi. « J’ai pu voir qu’il y en avait beaucoup qui avaient les mêmes peurs que moi et qui étaient prêts à s’engager. »
La jeune fille regrette malgré tout, en faisant la moue, le manque d’optimisme des autres élèves. « Ils sont résignés. »
Des représentants des différentes sections syndicales, ainsi que des gilets jaunes, se sont succédé à la fin de la manifestation au micro du camion de la CGT pour faire le point sur la mobilisation et appeler à une assemblée générale interprofessionnelle ce jeudi 12 décembre. « Pour tous les secteurs, c’est compliqué de faire grève, lance un représentant de Solidaires. Mais il y a un endroit qu’on ne pourra jamais nous enlever, c’est la rue ! »
Le Premier ministre Édouard Philippe devrait faire des annonces ce mercredi 11 décembre pour préciser les contours de la réforme. Les manifestants ont cependant déjà appelé à une nouvelle journée de mobilisation jeudi.
« Demain, on ne cherchera qu’à nous balancer des miettes pour mieux nous diviser, s’est écriée une porte-parole FSU au micro du camion CGT. Mais nous tiendrons jeudi, ensemble ! »
Raphaëlle Denis
* Les prénoms ont été modifiés