FOCUS – En cette fin d’année scolaire, l’heure est au bilan pour la Caf de l’Isère. Du fait de la baisse de ses moyens et de l’intégration du droit à l’erreur administrative dans la loi, le prestataire social a dû revoir sa politique de contrôle des fraudes. Et développer d’importants dispositifs de prévention. L’objectif ? « Un bon calcul des droits des allocataires », précise la directrice financière, afin d’éviter des fraudes indésirées.
Adoptée il y a moins d’un an, la loi Essoc* a chamboulé la lutte contre la fraude : à la Caf, le cap est désormais tourné vers la prévention plutôt que la sanction.
En effet, l’introduction d’un « droit à l’erreur de bonne foi » a poussé le prestataire à sensibiliser et prévenir ses allocataires de la nécessité de mettre à jour leur dossier afin d’éviter de devoir rembourser des dettes involontaires.
Comme beaucoup de services publics, la Caf doit en outre « faire plus avec moins ». Une tendance qui ne risque pas de s’inverser puisque la nouvelle convention d’objectifs et de gestion signée avec l’État prévoit de nouvelles réductions de ses dépenses de fonctionnement.
Pour palier ce manque à gagner, l’organisme mise sur l’autonomisation de ses allocataires par le biais des outils numériques. Un pari risqué, mais en phase avec son temps, qui commence à peine à porter ses fruits.
« La Caf contrôle »
« La Caf contrôle » affirment au diapason son directeur et sa directrice comptable et financière. Et elle contrôle beaucoup puisqu’en Isère, plus d’un dossier d’allocataire sur deux est vérifié chaque année. Soit au total, 540 000 contrôles effectués en 2018. Un nombre important rapporté aux 242 148 allocataires du département.
Bilan ? Plus de 20 millions d’euros régularisés l’année dernière. Parmi lesquels près de 80 % sont des indus** et le reste des rappels. Autrement dit, 4 millions d’euros ont été reversés aux allocataires qui ne percevaient pas assez selon leur situation.
Mais « tous ces contrôles ne se substituent pas à l’allocataire, qui doit rester acteur de son dossier », explique Pascale Francezon. Et c’est là tout l’enjeu de la communication auprès du public. « Ce n’est pas parce qu’on contrôle qu’il ne faut pas déclarer les changements de situation », précise-t-elle.
Des dettes liées à de l’incompréhension plus qu’à de la malhonnêteté
« Très souvent, l’allocataire ne comprend pas. On a un langage très administratif (…) Il faut vraiment qu’on soit compréhensible pour tout le monde », soutient la directrice financière. Conséquence de cette incompréhension ? 80 % des cas de « fraude » proviennent d’erreurs involontaires liées à la complexité du dispositif.
Or, « ce qui nous intéresse c’est l’intention », explique M. El Sawy, responsable des fraudes. Notamment depuis l’adoption de la loi pour un État au service d’une société de confiance* en août 2018. Pour Francezon « [avec cette loi] on a une responsabilité supplémentaire dans le fait que l’allocataire comprenne bien ce qu’il doit déclarer ».
« On ne fait pas de la lutte contre la fraude pour faire des économies. C’est un impératif de justice sociale qui nous anime (…) On garde à l’esprit qu’on a un public fragile qui peut ne pas comprendre comment faire sa déclaration », soutient Nicolas El Sawy. « Une fraude involontaire n’entraîne pas de sanction mais doit être remboursée ». Une notion parfois difficile à intégrer. Surtout lorsque l’erreur originelle provient elle-même d’une incompréhension.
Toutefois, l’allocataire endetté contre son gré peut formuler une demande de remise de dettes. Elle sera examinée par un comité spécialisé au regard de la situation familiale du demandeur.
« Pour éviter de rembourser, mieux vaut tout déclarer »
Dans une vidéo publiée sur son site internet, la Caf tente d’expliquer au mieux son fonctionnement à base déclarative. Le mot d’ordre ? « Pour éviter de rembourser, mieux vaut tout déclarer ».
Elle a également élaboré le site oups.fr dédié au droit à l’erreur. Un moyen de « décrire les erreurs commises pour pouvoir les éviter ».
En effet, « toute ressource doit rentrer. Tout compte, même le RSA, un héritage ou un gain de jeu », explique la responsable communication, en charge du dialogue avec le public. Qui ajoute : « Plus on déclare, plus on évite de rembourser des indus à la caisse ».
« La même situation peut être favorable aux impôts et défavorable à la Caf »
Le hic pour les allocataires désireux d’optimiser leurs prestations, c’est que « la même situation peut être favorable aux impôts et défavorable à la Caf », explique la directrice des finances. Parmi les situations à double tranchant : la mise en ménage, le départ d’un enfant, un voyage de longue durée à l’étranger…
Toutefois, les partenariats de plus en plus importants avec d’autres prestataires publics comme les impôts ou Pôle emploi, permettent à la caisse d’effectuer de nombreux contrôles automatisés (488 000 en 2018).
En comparant les déclarations des ayants-droit aux différentes instances, la Caf peut « inviter l’allocataire à présenter ses observations ». Et mettre en lumière sa véritable situation afin de régulariser les aides perçues. C’est là tout l’enjeu des contrôles : vérifier que les déclarations de l’allocataire correspondent à sa situation familiale.
Une communication de plus en plus numérique
Trop de courrier tue le courrier. C’est pourquoi la Caf a cessé d’en envoyer depuis trois ans. Un gain à la fois financier et fonctionnel puisque le dispositif s’était révélé inefficace.
Désormais, les allocations familiales misent tout sur le numérique. Mail, SMS et notifications sont envoyés aux allocataires afin de les informer des changements dans leur dossier ou de leur demander des pièces justificatives. « Il faut vraiment que les allocataires renseignent leur mail et consultent leur compte sur le site ou l’appli (…) C’est très bien fait et accessible », assure la responsable communication.
Si l’allocataire ne donne pas suite aux demandes de la Caf et n’envoie pas les pièces justificatives demandées, la caisse suspend les prestations. « En général, c’est le moment où on vient se manifester à la caisse », s’amuse la directrice financière.
Un pari gagnant puisque 90 % des allocataires ont fourni leur adresse électronique et que le site de la caf est l’un des plus visités du pays. En effet, 80 % des allocataires effectuent leurs déclarations sur internet. Pour les 20 % restants, la Caf met en place des outils pour combattre la « fracture numérique ». Ateliers d’initiation, “visio-guichets”, partenariat avec des associations de quartier, tout est bon pour aider les concernés à s’autonomiser.
En sensibilisant les allocataires sur les conséquences d’erreurs ou d’oublis déclaratifs et en favorisant l’accès aux outils numériques, l’organisme espère ainsi diminuer le nombre de contrôles d’ici quelques années.
La Caf sanctionne
Au total, 643 cas de fraudes ont été détectés à la suite des 540 000 contrôles effectués par la Caf en 2018. Toutefois, les sommes dérobées intentionnellement ne représentent que 0,54 % de la totalité des prestations versées aux allocataires. A contrario, la caisse estime à 2 % les personnes qui ne réclament pas leurs droits.
Dans ces cas de fraudes volontaires voire organisées, la Caisse d’allocations familiales dispose de plusieurs outils pour punir les usurpateurs. D’abord, un avertissement, envoyé aux allocataires récidivistes, empêchant ces derniers de demander une remise de dette ou de se déclarer en surendettement.
En l’absence de remboursement, le service des fraudes attribue des pénalités aux allocataires irréguliers. Une sanction appliquée dans 83,5 % des cas et qui rassemble autour de 450 000 euros. Souvent, elle représente 10 % de l’indu.
Et si les allocataires jouent vraiment à la sourde oreille, l’affaire peut se terminer au tribunal. 58 plaintes ont effectivement été déposées l’année dernière dont trois ont donné lieu à des peines de prison ferme.
Nina Soudre
* Loi Essoc : loi pour un État au service d’une société de confiance
** Indus : prestations reçues à tort par un allocataire
BILAN ET PERSPECTIVES EN ISÈRE
Pour l’année 2018, les 242 148 allocataires de la Caf de l’Isère ont perçu des prestations à hauteur d’1,2 milliard d’euros (en baisse par rapport à 2017). La famille et le handicap sont les deux domaines les plus « coûteux » pour la caisse.
Plus d’un Isérois sur deux est allocataire
En tout, la Caf de l’Isère couvre plus de 630 000 personnes (plus d’un Isérois sur deux) et embauche 639 personnes dans les 51 points d’accueil département.
En février 2018, l’organisme a élu un nouveau conseil d’administration. Anne-Laure Malfatto et Olivier Goy occupent désormais respectivement les postes de présidente et vice-président.
Des moyens toujours en baisse
La nouvelle convention d’objectifs et de gestion signée avec l’État prévoit une réduction de 12 % des dépenses de fonctionnement de la Caf d’ici quatre ans. Des dépenses qui ont déjà été réduites de 23 % depuis cinq ans.
La convention stipule également la suppression de 70 postes d’ici 2022. Là encore, le mouvement a déjà été enclenché puisque, depuis 2017, les effectifs sont passés de 674 postes à 639.
Avec la revalorisation de la prime d’activités, 33 000 nouvelles demandes ont été adressées à la caisse. Bien entendu, une grande partie concerne des personnes déjà allocataires.