FOCUS – Le Musée dauphinois accueille jusqu’au 29 juin 2019 l’exposition « L’ivresse des sommets. Eaux-de-vie, liqueurs et autres breuvages des Alpes ». L’occasion de mieux connaître la culture des alcools, son évolution et ses modes de consommation au cours des siècles.
Chartreuse, gentiane, génépi… Autant de noms évocateurs de liqueurs des Alpes mises en lumière à travers les collections rassemblées pour l’exposition « L’ivresse des sommets. Eaux-de-vie, liqueurs et autres breuvages des Alpes ».
« Cette exposition permet d’évoquer un patrimoine qui a rarement sa place dans les musées : celui des spiritueux, des liqueurs de notre territoire […] Avec l’idée de pouvoir le traiter à travers ses aspects artisanaux, industriels et de savoir-faire », expliquait ainsi Olivier Cogne, le directeur du Musée dauphinois, lors de la présentation de la nouvelle exposition, le 5 avril dernier.
Jusqu’au 29 juin, le musée convie le public à une visite dont la scénographie combine approche historique et pratiques culturelles. Un cheminement conçu pour circuler, sans tituber, entre goûts et plaisirs, tolérance et santé. En vedettes ? Des alcools, liqueurs prestigieuses et eaux-de-vie dont la renommée dépasse largement nos frontières.
L’alcool, omniprésent dans notre histoire culturelle
Chartreuse, absinthe, gentiane, cherry, génépi… Nous connaissons tous ces liqueurs alpines accompagnant bien souvent célébrations ou fêtes familiales. De fait, « l’alcool, pour le meilleur ou pour le pire, est omniprésent dans notre histoire culturelle », souligne Chantal Spillemaecker, la commissaire de l’exposition.
Ces distillats, résultats de l’alchimie des savoir-faire ancestraux et de la flore alpine, sont au centre du challenge que s’est fixé le Musée dauphinois. Celui de faire la démonstration « que [l]es usages [de l’alcool] témoignent de la diversité des sociabilités rurales et citadines ». En somme, si l’on y regarde de plus près, ni plus, ni moins que l’expression du peut-être galvaudé « vivre-ensemble ».
Ce projet est le fruit de l’imagination de Chantal Spillemaecker. Alors conservatrice en chef du patrimoine, celle-ci a pendant longtemps œuvré au sein du Musée dauphinois. Notamment en travaillant au montage de nombre d’expositions traitant des patrimoines artisanaux et industriels.
Après « L’ivresse des cimes » en 2016, la saga se poursuit donc dans une intempérance qui n’est que culturelle. « Cette exposition s’inscrit dans ce cadre de s’intéresser aux savoir-faire parfois très anciens dans notre région puisque les premières distilleries datent d’il y a plusieurs siècles », explique Olivier Cogne.
Une exposition pour approfondir la connaissance de la culture des alcools
L’idée directrice ? « Approfondir la connaissance de la culture des alcools, de leurs évolutions et de leurs modes de consommation au cours de l’Histoire », indique le Musée dauphinois. En l’occurrence, un patrimoine agroalimentaire ancien mais bien vivant relancé par les sports d’hiver et le tourisme montagnard. Une chose est sûre, explique la brochure de l’exposition : « les distilleries du Dauphiné et des Savoie constituent l’un des fleurons de l’économie régionale ».
Pour preuve ? De nouveaux distillateurs transforment aujourd’hui « l’eau pure et les céréales du Vercors ou du Trièves en un whisky de haute montagne », indique le musée.
Afin de mettre en valeur ce patrimoine, le Musée dauphinois a fouillé dans ses archives et fait appel aux contributions d’entreprises, aux fonds de particuliers et à l’expertise de spécialistes des liqueurs.
Le résultat ? Un rassemblement de collections exceptionnelles, souvent inédites, issues du fonds culturel, iconographique et matériel conçu par les producteurs pour vendre leurs produits. Telles d’anciennes affiches publicitaires « flamboyantes » illustrant la dimension montagnarde des alcools au temps où la publicité s’appelait des “réclames”.
Sensibiliser à l’alcool et à ses dangers
La scénographie de l’exposition ne s’arrête pas à ces seuls visuels. Nombre de bouteilles et de flacons mis en lumière rappellent « la diversité des occasions de boire ensemble ». Tout comme des objets usuels ou publicitaires, parfois insolites, en relation avec les liqueurs. Ou encore des planches botaniques ou des dispositifs olfactifs présentant les plantes emblématiques des Alpes comme la gentiane, la vulnéraire ou l’absinthe.
Au fil de l’exposition, le visiteur peut découvrir des reportages donnant la parole à des producteurs, un professeur d’œnologie ou à un bouilleur de crû ambulant. Des esprits chagrins pourraient objecter une certaine apologie de l’alcoolisme. Mais un professeur d’addictologie sensibilise le public à ses dangers lors de l’une des dernières séquences du parcours.
L’occasion pour Olivier Cogne de rappeler les aspects vertueux et pédagogiques sous-tendant ce voyage dans « L’ivresse des sommets ».
Le China-china de Voiron, le quina bergusien, le Grand Olan, le vermouth de La Frette…
« L’ivresse des sommets » propose ainsi une plongée dans l’histoire des liqueurs, de la gnôle aux distillateurs ambulants, en passant par les inventeurs d’une kyrielle d’eaux-de-vie et de liqueurs aux noms sibyllins voire exotiques. Citons le China-china de Voiron, le quina bergusien, le Grand Olan, le vermouth de La Frette, l’eau s’arquebuse de Cularo… Quand ce ne sont pas la Chamberyzette, la liqueur de pucelle ou mieux encore, l’élixir d’amour.
Autour de ces noms parfois oubliés, des artisans : verriers, faïenciers, tonnelier, parfois même des contrebandiers… L’exposition évoque cette industrie alors en plein essor qui a employé dès 1798 une abondante main d’œuvre, et ce jusqu’à la fin du XIXe siècle, âge d’or des distilleries, grâce au développement des techniques et des sources d’énergie.
Une rétrospective qui se termine avec la récente remise au goût du jour de ces alcools historiques par des industriels des Alpes. Comment ? Grâce à la création de nouveaux breuvages, parfois traitres, mélangeant savamment sodas et alcools forts. Quelles boissons originales dégusterons-nous demain ? Nul ne le sait encore. « Le chapitre de l’alcool du futur est en train de s’écrire », assure le Musée dauphinois.
Des visites commentées, des dégustations et le livre de l’exposition
Autour de l’exposition ? Des visites commentées par un guide de l’office de tourisme de Grenoble-Alpes Métropole, ainsi que des dégustations de liqueurs proposées par de prestigieux distillateurs. Sans oublier la traditionnelle publication collective de l’exposition, un ouvrage réalisé sous la direction d’Olivier Cogne et de Chantal Spillemaecker.
Prolongeant l’exposition, « ce livre [qui] rassemble les contributions des spécialistes du “boire” » est, tout comme l’exposition, « à consommer sans modération », plaisante la direction du musée.
« L’ivresse des sommets » est en effet une belle opportunité de (re)découvir les savoirs ethnobotaniques du terroir. Et de mieux connaître ceux qui perpétuent ce riche patrimoine agroalimentaire alpin. Le tout dans une ambiance feutrée incitant à la flânerie. Du spirituel aux spiritueux, des “eaux ardentes” des alchimistes aux cocktails contemporains, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse…
Joël Kermabon