FOCUS – Célébrer les 70 ans de Sciences Po Grenoble à travers la littérature. Tel est l’objectif du recueil de nouvelles L’Institut, paru aux éditions Presses universitaires de Grenoble (Pug). Coordonné par Alain Faure, ce projet littéraire réunit dix-huit écrivains, tous issus de l’IEP grenoblois. Les auteurs y racontent leurs années étudiantes à travers des récits drôles, nostalgiques, poétiques, délirants ou philosophiques, parfois à la frontière entre la fiction et la réalité.
« Quel regard porte un écrivain sur ses années étudiantes ? », telle est la question qui a guidé l’écriture du recueil de nouvelles L’Institut, paru aux éditions Presses universitaires de Grenoble (Pug). Dix-huit écrivains passés sur les bancs de Sciences Po Grenoble ont ainsi participé à ce projet. Les nouvelles invitent le lecteur à découvrir cette formation universitaire à travers la mémoire et l’imagination des auteurs.
Entre témoignages et souvenirs, fiction et réalité, défis et émotions, ils relatent leurs histoires d’amitié et leurs premiers coups de foudre. Ils y décrivent la hargne d’atteindre leurs objectifs, tant personnelles que professionnelles. On y découvre des élèves curieux et ambitieux, assoiffés de connaissances et avides de découvrir le monde.
La littérature pour célébrer les 70 ans de Sciences Po
Le 25 octobre 2018, l’Institut d’études politiques (IEP) de Grenoble a célébré son soixante-dixième anniversaire. Un an plus tôt, le directeur de Sciences Po Jean-Charles Froment, le chercheur au CNRS* Alain Faure et la directrice des éditions Pug Ségolène Marbach ont cherché ensemble une façon originale de commémorer l’anniversaire de l’IEP. « Et immédiatement, une évidence : la littérature », peut-on lire dans la préface du livre L’Institut.
Alain Faure, ancien élève de Sciences Po Grenoble, s’est donc donné pour mission de réunir des écrivains issus de l’école dans un seul ouvrage. Comment ? En piochant dans la liste des 15 000 diplômés. Objectif ? Dénicher ceux qui sont aujourd’hui devenus des “plumes”.
Bingo ! Une vingtaine d’écrivains répondent avec enthousiasme. S’ensuit une relation épistolaire d’un an avec dix-sept anciens élèves ou professeurs et un étudiant actuellement à l’IEP de Grenoble.
L’objectif était de donner carte blanche aux auteurs. Une seule consigne : écrire une nouvelle liée aux années Sciences Po, en l’espace de trois mois. « Nous avions beaucoup de liberté dans l’écriture et beaucoup de place pour la fantaisie », ont affirmé les auteurs lors de la rencontre littéraire du 26 octobre à la librairie Arthaud de Grenoble.
Ce livre anniversaire – qui ne dit pas son nom – promet « un cocktail littéraire délicieux ». Mais pour Alain Faure, il ne s’agit pas de faire une quelconque « promotion » de l’IEP. « Ce roman ne cherche pas à défendre l’école. L’idée était de montrer des choses universelles, comme les premiers émois étudiants, le rapport à la connaissance, les amitiés indélébiles de la jeunesse à travers la littérature. Nous ne voulions pas montrer ce que l’on apprend à Sciences Po mais ce que l’on vit à Sciences Po », assure Alain Faure. « C’est un pari osé et réussi ! », se félicite le coordinateur de ce projet littéraire.
Plonger dans la mémoire et l’intimité des auteurs
Les nouvelles de L’Institut sont effectivement éclectiques et originales : drôles, poétiques, nostalgiques, délirantes ou même théâtrales… Il y en a pour tous les goûts. Avec sincérité et sans tabou, les auteurs livrent leurs impressions et expériences.
Ils relatent des éléments autobiographiques, parfois à la frontière entre la fiction et le réel. Ils se sont remémorés des professeurs marquants, des amis et amours enivrants, des amphithéâtres bondés, des cours soporifiques, des manifestations turbulentes, des soirées alcoolisées et des lieux publics grenoblois.
Au fil des nouvelles, le lecteur découvre des personnalités, marquées par leurs années étudiantes. « Je me suis rencontrée à Sciences Po […] j’ai trouvé une partie de moi-même, je suis née intellectuellement », confie Delphine Alpin-Ricaud. Quant à l’écriture, « il y avait aussi cette anxiété incontrôlable d’écrire quelque chose sur soi », reconnaît Anouar Mhinat, le cadet des auteurs.
Des élèves de 1960 à 2018
Cet ouvrage réunit des écrivains de toutes générations confondues. Anouard Mhinat évoque par exemple sa première année à l’Institut d’études politiques, il y a deux ans. Le jeune écrivain de 19 ans (cf. encadré) raconte ses vécus et ses ressentis d’étudiant :
« Pour moi, c’était ça la description parfaite de la vie d’étudiant. L’instabilité. Tout fluctue, s’envole sans cesse. Tout nous échappe, et l’on court après les moindres fragments possible pour se rassurer. […] Et c’est là, entre les fêlures et les brisures que se trouve le vrai réconfort. C’est entre tous ces moments de doute, de peur, que se trouvent les véritables instants de découverte, d’excitation, de repos. C’était presque une routine. Flirter inconsciemment avec l’instable, quémander inconsciemment le frisson ». Nouvelle Labyrinthe, p.282, Anouar Mhinat – L’Institut
Par leurs récits, les auteurs témoignent donc de différentes époques et de plusieurs contextes sociaux. À propos de la guerre d’Algérie, Arthur Bernard écrit « je suis un militant actif contre la guerre d’Algérie, contre la torture et pour l’indépendance du peuple algérien », dans la nouvelle Grenoble-Paris-Grenoble.
D’autres se rappellent de la flamme olympique qui a transformé Grenoble : « À l’époque, l’événement c’était la préparation des Jeux olympiques d’hiver de 1968. Des champignons de béton poussaient un peu partout : HLM, nouveaux hôtels de ville et de police, cité olympique, cité universitaire, gare, aéroport de Grenoble », se souvient Jack Chaboud, dans son récit Je me rappelle.
Ou encore Mai 1968 : « J’y avais cru, à ce nouveau monde. J’étais décidé à ne rien lâcher des espérances de mai 68 », écrit Guy du Boisberranger, dans sa nouvelle Sur mon chemin. Arthur Bernard – ancien élève et professeur à l’IEP de 1968 à 2008 – témoigne aussi de cette année révolutionnaire : « Dans les années post-1968, les amphis étaient beaucoup plus contestataires qu’aujourd’hui ! », déclare-t-il le 26 octobre.
Changer le regard sur Sciences Po
Dans sa globalité, cet ouvrage brise aussi certains stéréotypes. Parmi eux, l’idée que les IEP seraient réservés à une “élite”, issue de milieux relativement aisés ou intellectuels. A contrario, beaucoup d’auteurs évoquent des milieux très modestes. « Sciences Po ? Je n’en avais jamais entendu parler chez moi ! », assure Janine Mossuz-Laveu. Quant à Olivier Bleys, il évoque ses a priori sur les écoles réputées, qu’il considérait « avec perplexité » :
« Je savais qu’il existait de grandes écoles. Je le savais comme on connaît les Iles Sandwich : sans pouvoir m’en faire une image (tropicales ? boréales ? annelés de mangrove ou feutrées de mousse ?) ni bien les situer sur la mappemonde. Cet écart du perçu au familier est le frein le plus sûr à l’ascension sociale. Les grandes écoles, on n’en parlait jamais à la maison […] Personne de ma famille ne s’était hissé à de telles altitudes scolaires ». Nouvelle Sciences poétiques, p.27, Olivier Bleys – L’Institut
Élitiste l’Institut ? « Avant d’arriver à Sciences Po, c’est vrai que j’imaginais un peu l’école comme une “élite”, avec des gens qui n’ont d’attrait que pour la politique. Finalement, j’ai été surpris de voir à quel point les profils [étaie]nt multiculturels », concède Anouar Mhinat.
« Je savais déjà que l’IEP est d’une diversité sociale extrême. Mais je ne savais pas que ça allait ressortir de ce livre », témoigne pour sa part l’ancien élève Alain Faure. « Il est vrai que l’ascension sociale est une idée centrale dans plusieurs nouvelles », poursuit-il.
Ces récits montrent finalement que cette ascension n’est pas une utopie et que le milieu social d’origine n’est pas toujours déterminant pour l’avenir. Elles témoignent aussi du fait que la persévérance, la volonté et la soif de savoir restent les meilleurs armes intellectuelles.
Anaïs Mariotti
*Alain Faure est actuellement directeur de recherche au CNRS en science politique au sein du laboratoire Pacte à l’Université de Grenoble Alpes. Il travaille notamment sur les « émotions en politique ».
ANOUAR MHINAT, PLUS JEUNE AUTEUR DE L’INSTITUT
Né le 4 janvier 1999 et originaire de Chambéry, Anouar Mhinat est à 19 ans le plus jeune contributeur de l’ouvrage L’Institut.
Actuellement en troisième année de licence à l’IEP de Grenoble, il est le seul auteur à baigner encore dans l’univers Sciences Po.
En 2015, le jeune homme, alors âgé de seize ans, publie déjà son premier livre : Vanitas, pièce de théâtre en cinq actes (éditions Édilivre). Cet ouvrage philosophique et sociologique interroge le regard des autres et le lien avec soi-même au moment de l’adolescence.
Anouar Mhinat a été contacté à la fin de sa première année à l’IEP pour participer à ce projet littéraire collectif. Alain Faure témoigne de cette rencontre imprévue : « Des élèves de l’IEP sont venus me voir en me disant qu’Anouar Mhinat écrivait sans arrêt et qu’il avait déjà publié un ouvrage. Nous avons donc décidé de le contacter », raconte-t-il.
« Un mélange d’angoisse et d’excitation »
Au début, le jeune homme ne se doutait pas que sa nouvelle allait être publiée aux côtés de celles d’écrivains professionnels et reconnus. « Je ne réalisais pas du tout l’ampleur de ce projet. Il y a cinq mois seulement, quand j’ai vu les noms des autres écrivains, j’ai pris conscience de cette opportunité. J’ai alors ressenti un mélange d’angoisse et d’excitation », confie l’auteur.
Pour Anouar Mhinat, l’écriture a toujours été une évidence : « Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours écrit comme un exutoire et comme un passe-temps ». Il espère que la publication de l’Institut sera « un tournant, afin de pouvoir professionnaliser [s]a passion ».