REPORTAGE VIDÉO – Gérard Collomb était en visite dans l’agglomération grenobloise ce vendredi 28 septembre. Après une déambulation à la Villeneuve d’Échirolles le matin, à la rencontre des habitants du quartier de Surieux, le ministre de l’Intérieur s’est ensuite entretenu avec les parlementaires et élus locaux, avant de prononcer un discours très attendu sur la sécurité, dans l’après-midi, à l’hôtel de police. Il a notamment annoncé le renfort d’une vingtaine de jeunes policiers d’ici la fin de l’année ainsi que l’arrivée, fin 2019, de 35 policiers supplémentaires, affectés à l’agglomération grenobloise dans le cadre de la deuxième vague des quartiers de reconquête républicaine.
Dire que Gérard Collomb était attendu au tournant à Grenoble serait un euphémisme ! Car la visite du ministre de l’Intérieur, ce vendredi, s’inscrivait dans un contexte local particulièrement tendu, après un été marqué par le meurtre d’Adrien Perez et les multiples polémiques sur l’insécurité. Élus locaux, syndicalistes policiers, habitants des quartiers populaires… Beaucoup espéraient des annonces concrètes, et non de vagues promesses.
Une violence persistante
Première étape de ce marathon grenoblois, ajoutée en dernière minute au programme : le parc Maurice-Thorez d’Échirolles, où Gérard Collomb est venu déposer une gerbe sur la stèle en hommage à Kevin et Sofiane. Un passage quasi obligé puisqu’il y a six ans, jour pour jour, les deux jeunes étaient lynchés lors d’une rixe avec une dizaine de jeunes.
À cette occasion, le ministre de l’Intérieur s’est brièvement entretenu avec la mère de Kevin Noubissi et le père de Sofiane Tadbirt. Tandis que ce dernier lui a rappelé la persistance de la violence dans le quartier, Aurélie Monkam-Noubissi a, elle, insisté sur le « symbole » que constitue à ses yeux la venue du ministre un 28 septembre, l’enjoignant à traduire ses paroles en actes : « Cette police de proximité qu’on réclame à cor et à cri, c’est le moment de dire « OK, on y va » ! »
« L’immobilier a chuté à cause du problème d’insécurité »
Gérard Collomb s’est ensuite rendu à la Villeneuve d’Échirolles, temps fort annoncé de la matinée, pour une déambulation dans le quartier de Surieux, à la rencontre des habitants.
Accompagné d’une délégation d’élus locaux (le maire de Grenoble Eric Piolle, son homologue d’Échirolles Renzo Sulli, ou encore les députés LREM Olivier Véran, Jean-Charles Colas-Roy et Émilie Chalas) et suivi par les caméras et appareils photo de dizaines de journalistes, l’ancien maire de Lyon est entré dans plusieurs commerces du quartier, tout en discutant avec quelques habitants sur le parcours.
Certains d’entre eux ont d’ailleurs profité de son passage pour interpeller le ministre, à l’instar de Michel, résident du quartier depuis quatorze ans, qui a vivement manifesté son exaspération : « Je vois quinze compagnies de CRS à côté de Grand’Place et, toute l’année, on a des dealers sur toute la place. Moi, quand tous les soirs je rentre chez moi et qu’il y a des dealers qui vendent de la came, ça me saoule ! »
Une dégradation que beaucoup d’habitants affirment constater d’année en année et dont l’impact se fait par exemple ressentir sur « l’immobilier, qui a chuté à cause du problème d’insécurité », selon Michel : « Vous avez acheté un appartement il y a dix ans ici, vous voulez le revendre, il a baissé de moitié. »
« J’ai vraiment besoin que les élus s’engagent »
Le cortège ministériel a bouclé son étape échirolloise par une halte à la Maison des habitants de Surieux. Gérard Collomb a pu y entendre les doléances d’une délégation d’habitants et, là encore, échanger quelques mots avec eux.
Avant de quitter la Villeneuve d’Échirolles, il s’est arrêté un bref instant devant la presse pour décrypter l’objectif de sa visite dans cette agglomération, où « la violence est grande. Nous voulons y répondre et cet après-midi, j’apporterai un certain nombre de réponses », a‑t-il indiqué.
Il a également réitéré la nécessité de « travailler dans la coproduction avec les élus locaux, avec leur police municipale, parce que ce n’est pas la police nationale qui peut tout résoudre si on n’a pas ce travail en commun. La police de sécurité du quotidien est une police du sur-mesure, c’est-à-dire adaptée à la délinquance de ces différents territoires. »
Une conviction résumée en ces termes : « J’ai vraiment besoin que les élus s’engagent, mais aussi la population, comme les gens qui étaient là et qui, à un moment donné, ont dit contre la violence « on résiste et les halls d’immeubles, c’est nous qui allons les occuper et pas les dealers ». »
Une vingtaine d’agents sortis d’école en décembre prochain
Cap ensuite sur Grenoble où le ministre de l’Intérieur a enchaîné ce vendredi midi, à la préfecture puis à l’hôtel de police, divers entretiens et réunions de travail, notamment avec les élus locaux : Renzo Sulli, David Queiros et Jean-Paul Trovero, maires respectifs d’Échirolles, Saint-Martin‑d’Hères et Fontaine, le président de la Métropole Christophe Ferrari ainsi qu’Eric Piolle, auquel il a accordé un tête à tête.
Une autre rencontre, elle aussi non prévue à l’origine, a eu lieu avec les parents d’Adrien Perez, le jeune homme mortellement poignardé à la sortie d’une discothèque de Meylan, le 29 juillet dernier.
En revanche, les syndicats de police n’ont pas été reçus directement par Gérard Collomb – comme le stipulait le programme – mais par le DGPN (Directeur général de la police nationale) Eric Morvan.
Si celui-ci a réservé au ministre la primeur de certaines annonces officielles, il a néanmoins dévoilé quelques pistes, comme l’arrivée d’environ vingt agents sortis d’école en décembre prochain ou encore la probable réouverture du dossier pour le classement de l’agglomération grenobloise en zone difficile.
Au sortir de cette entrevue, Valérie Mourier, secrétaire départementale du syndicat Alliance, restait un peu sur sa faim en attendant le discours de Gérard Collomb : « Il est sûrement venu pour nous annoncer une nouvelle positive. Quinze à vingt policiers, c’est toujours ça de pris mais comme il nous manque 33 postes, on resterait en négatif. »
Quant à la prime afférente au classement en zone difficile, il s’agit, selon elle, « d’un plus pour ceux qui sont là », bien qu’elle estime le montant « modeste : il faut être fidèle pendant trois ans à Grenoble pour toucher 200 euros par an et au bout de la sixième année, ça monte à 800 euros par an. »
« Cette ville est gangrenée par les narco-trafics »
Mais le point d’orgue de cette journée était bien sûr le discours prononcé par Gérard Collomb à l’hôtel de police aux alentours de 15 heures. Journalistes, policiers et élus locaux ont pris place dans la salle bondée et surchauffée du sixième étage, attendant fébrilement pour certains de connaître les engagements concrets du ministère. Car tous le savaient depuis le début de la matinée : après le hors‑d’œuvre des premières étapes, le véritable plat de résistance se trouvait ici.
À 15 h 15 pétantes – pile à l’heure – Gérard Collomb a attaqué son discours bille en tête, dressant un état des lieux peu flatteur de l’insécurité grenobloise : « Je sais combien est grande la violence dans cette ville, combien a cru la délinquance, combien cette ville est gangrenée par les narco-trafics. » Et le ministre de l’Intérieur d’égrener la liste morbide des jeunes « victimes d’une violence aveugle », de Kevin et Sofiane en 2012 à Adrien Perez en juillet dernier, en passant par d’autres meurtres gratuits survenus ces dernières années (Julien Praconté, Grégory Baharizadeh et Salim Belhadj).
Au moins 35 policiers supplémentaires d’ici la fin 2019
Gérard Collomb a ensuite cité quelques chiffres illustrant les saisies de stupéfiants sur l’agglomération : « Depuis le début de l’année, 183 kg de résine de cannabis, 4,4 kg d’héroïne et 6 kg de cocaïne ont été saisis, soit autant qu’en 2017. » Une mise en bouche avant d’aborder le sujet ô combien épineux, et tant attendu, des « moyens humains supplémentaires », soit le « nerf de la guerre » afin « d’entamer la reconquête de Grenoble ».
Or, le ministre l’a rappelé, la circonscription de Grenoble compte « un déficit de 33 gardiens de la paix par rapport à l’effectif de référence ».
Pour diminuer déjà de moitié l’écart avec l’effectif de référence, il a pris un premier engagement, confirmant l’annonce faite quelques heures plus tôt par le Directeur général de la police nationale : une vingtaine de jeunes policiers sortis d’école seront affectés en renfort d’ici la fin de l’année 2018.
Un chiffre auquel s’ajouteront au moins 35 policiers supplémentaires qui arriveront d’ici la fin 2019, avec l’intégration de l’agglomération grenobloise à la deuxième vague des quartiers de reconquête républicaine (QRR). Les trente premiers QRR devaient voir arriver les renforts policiers dès septembre 2018. Finalement, les effectifs s’égraineront jusqu’en décembre…
Une demi-compagnie de CRS sur la zone de Grenoble
« Très concrètement, se félicite Gérard Collomb, la mise en place de ce dispositif et l’affectation de renforts en nombre significatif permettra à la circonscription non seulement d’atteindre mais de dépasser son effectif de référence. Ce sera une première depuis au moins dix ans. »
Autres engagements annoncés par le ministre : la demi-compagnie de CRS affectée dans l’agglomération se concentrera désormais sur la zone de Grenoble. Et l’antenne de police judiciaire de Grenoble sera renforcée au printemps, tandis qu’une cellule de renseignement opérationnelle sur les stupéfiants (Cross) sera mise en place dans les jours à venir.
Suivant l’exemple lillois, où une telle structure a été installée mardi dernier, le ministère de l’Intérieur lance à Grenoble une cellule de lutte contre les trafics (CLCT), coprésidée par le préfet et le procureur. Reste à savoir comment cette cellule fonctionnera. Avec de nouveaux renforts ou à moyens constants ?
Gérard Collomb a par ailleurs promis des moyens supplémentaires, comme des véhicules et 15 000 caméras piétons. La réglementation qui permet d’utiliser ces dernières n’existe toutefois pas encore. Elles sont donc pour l’instant inutilisables. C’est d’ailleurs l’objet du vœu voté lundi en conseil municipal. Autre promesse : celle « d’engager une réflexion » pour le versement d’une prime aux policiers grenoblois. Un dispositif dont bénéficient déjà les policiers d’Ile-de-France, de Marseille ou de Lyon.
Gérard Collomb a enfin évoqué la vidéosurveillance, sujet très sensible à Grenoble. Et il n’a pu s’empêcher de glisser un petit tacle au maire de Grenoble Eric Piolle : « On peut être, pour des raisons théoriques ou idéologiques, contre la vidéoprotection mais, croyez-moi, ce n’est pas simplement à mon expérience de ministre de l’Intérieur que je fais référence mais à celle de maire de Lyon et de président de l’agglomération. Quand on développe la vidéoprotection, cela accroît singulièrement l’efficacité de la police qui peut se déployer très vite partout où il y a urgence, partout où nos concitoyens sont en danger. »
Eric Piolle se réjouit des mesures annoncées
Parmi les premiers à réagir à l’issue du discours de Gérard Collomb, Eric Piolle a préféré ne pas rebondir sur la pique l’ayant visé : « On ne peut pas être d’accord sur tout », a‑t-il déclaré, saluant une « volonté d’apaisement » et le fait que le ministre de l’Intérieur se soit placé « au-dessus du jeu politicien ».
Le maire de Grenoble s’est d’ailleurs réjoui des mesures annoncées et s’est dit « content que les Grenoblois aient été entendus ».
Une satisfaction qu’Eric Piolle partage avec ses confrères Renzo Sulli et David Queiros. Dans un communiqué commun, les maires de Grenoble, Echirolles et Saint-Martin‑d’Hères se sont ainsi « félicités que la mobilisation collective, à l’échelle du territoire, ait porté ses fruits ».
Pour les trois édiles, « les annonces du ministre sont une bonne nouvelle pour les habitants de l’agglomération et les forces de police sur le terrain chaque jour. Nous attendons avec impatience le déploiement de ces moyens humains et matériels annoncés », ont-ils conclu.
Des réactions pour la plupart assez positives
Naturellement, les annonces de Gérard Collomb ont aussitôt entraîné une avalanche de réactions, pour la plupart assez positives, y compris parmi les opposants au gouvernement (de gauche comme de droite), malgré quelques précautions d’usage.
Dans son propre camp bien sûr, on vante, à l’image d’Émilie Chalas, « des annonces claires et ambitieuses pour la sécurité à Grenoble ». Celles-ci « illustrent que les récits des habitants des quartiers et les témoignages des forces de l’ordre ont été entendus », estime la députée LREM de l’Isère.
Le sénateur divers gauche Guillaume Gontard « salue » quant à lui « ces bonnes intentions » mais précise qu’il « restera vigilant quant à la bonne mise en œuvre de ces mesures, d’autant plus que le ministre n’a pas fourni beaucoup de précisions sur le calendrier et la réalité des moyens financiers qui seront alloués à l’agglomération grenobloise ».
Du côté du groupe Rassemblement de gauche et de progrès (PS et apparentés) de la Ville de Grenoble, on « se félicite » également de ces « annonces qui répondent au vœu déposé par [leur] groupe lors du conseil municipal du 24 septembre 2018 demandant au gouvernement d’allouer des moyens supplémentaires aux forces de police et à la justice ».
Les clivages politiques transcendés
Des mesures qui transcendent même certains clivages politiques, à en juger par le communiqué commun transmis par Matthieu Chamussy, Stéphane Gemmani et Jérôme Safar. Pour les trois ex ou actuels conseillers municipaux, parfois adversaires dans le passé, « ces annonces constituent une avancée réelle qu’il convient de saluer ». Ils préviennent « néanmoins que le renforcement des effectifs de la police nationale sans une augmentation des moyens de la justice ne permettra pas d’améliorer la réponse pénale aux crimes et délits ».
À droite, le ton est sensiblement similaire chez Michel Savin. « On peut accueillir positivement la mise en place d’une cellule de lutte contre le trafic de stupéfiants avec les différents acteurs, l’affectation à demeure de la demi-compagnie de CRS47, ainsi qu’un renfort rapide de vingt agents au regard du déficit actuel de 33 agents », souligne le sénateur LR, tout en exprimant quelques réserves sur « les effectifs opérationnels qui resteront toujours en déficit » – en attendant le classement en QRR.
Son de cloche différent chez Alain Carignon qui n’a pas caché son scepticisme : « Un an avant les dernières élections municipales Manuel Valls, ministre de l’Intérieur était venu à Grenoble annoncer la création de Zone de sécurité prioritaire entouré des mêmes élus et avec le même consensus. On connaît le résultat », ironise l’ancien maire de Grenoble. « Qui peut savoir si les postes seront créés et surtout s’ils seront pourvus dans une ville où les policiers ne peuvent pas résider avec leur famille sans que celle-ci ne craigne d’être menacée par les délinquants ? »
Tout à droite de l’échiquier politique, Mireille d’Ornano, conseillère municipale pour Les Patriotes 38 (mouvement créé par Florian Philippot), a, elle, égratigné « le maire de Grenoble qui persiste et signe à refuser la vidéosurveillance » et déploré qu’il ait fallu « un été très tendu, avec malheureusement un meurtre, pour que le gouvernement réagisse ». Tout en « se félicit[ant] » malgré tout « des mesures tardives annoncées par Gérard Collomb ».
Manuel Pavard