FOCUS — Glénat est au cœur de la polémique. En publiant Bastien Vivès et son Petit Paul, bande dessinée pornographique représentant un très jeune garçon doté d’un sexe et d’une incontinence séminale énormes, l’éditeur grenoblois se voit taxé en ligne de pédopornographie. De leur côté, des distributeurs tels Gibert, Cultura ou Decitre cèdent à la pression en retirant l’ouvrage de leurs rayons, voire en le déréférençant.
« La pornographie, c’est l’érotisme des autres », dit le dicton attribué (à tort) à André Breton. Mais quid de la pédopornographie, ou pornographie infantile ? C’est la question que soulève la parution d’une bande dessinée aux éditions grenobloises Glénat, intitulée Petit Paul et signée Bastien Vivès.
En représentant un très jeune garçon doté d’un sexe énorme et vivant “à l’insu de son plein gré” d’étranges et naïves péripéties érotiques, Petit Paul a déclenché une polémique largement reprise dans les médias.
C’est principalement en ligne, sur les réseaux sociaux et au travers d’une pétition, que l’ouvrage est condamné et qualifié de pédopornographique. Ses détracteurs estiment en effet qu’il tombe sous le coup de l’article 227 – 33 du Code pénal, interdisant de « transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique ».
Une formulation assez vague pour inclure le dessin, quand bien même la loi vise en priorité les vidéos et photographies présentant des viols ou des attouchements sur des enfants.
Gibert et Cultura retirent l’ouvrage de leurs rayons
Face à la polémique, certains distributeurs ont opté pour la prudence. Cultura et Gibert ont ainsi été les premiers à retirer l’ouvrage de leurs rayons… ce qui ne signifie pas forcément qu’ils ne le vendent plus. Sur Twitter, des félicitations saluent la décision, quand d’autres commentaires laissent penser que les revendeurs ont peut-être ouvert la boîte de Pandore. Un internaute ne manque ainsi pas, dans la foulée, de demander le retrait des ouvrages du sulfureux dessinateur Marsault. Et un autre attend le même traitement à l’égard des livres d’Éric Zemmour.
La lecture des avis les plus critiques à l’égard du livre interroge toutefois sur le degré de connaissance de l’ouvrage. Tout semble en effet prétexte à condamner. Ainsi, quand un internaute, sur le site ActuaLitté, considère (assez injustement) Petit Paul comme un plagiat de la bande dessinée Titi Fricoteur, un autre commentateur ne manque pas de rebondir : « Il y a des délits, et la pédopornographie en est un. Et ce débile [Bastien Vivès, ndlr] a visiblement un problème avec ça […] En plus de ça, c’est un plagiat torché avec les pieds. » Dénoncera-t-on jamais assez le drame des plagiats dans l’industrie pédopornographique ?
Un chapelet de transgressions
Que contient Petit Paul ? De toute évidence, la bande dessinée est réservée à un public adulte et averti, et se présente clairement comme telle. Autour d’un trait effilé, le dessinateur déroule avec légèreté un chapelet de transgressions. Excréments, vomi, zoophilie, inceste… Au point que l’on ne sait si Bastien Vivès va puiser son inspiration dans les hentai (mangas pornographiques japonais) les plus outranciers, ou dans la tradition des romans érotiques libertins français, qu’Apollinaire poussera à son paroxysme dans ses Onze mille verges.
Une chose est certaine : le petit Paul est bien représenté sous les traits d’un enfant, quand bien même son sexe démesuré et son abondance séminale en font un garçon prépubère… fort peu réaliste. En critiquant l’ouvrage avant que la polémique ne débute, Libération s’était d’ailleurs bien plus intéressé aux nombreuses représentations d’éjaculations volcaniques auxquelles s’attache l’auteur qu’à l’âge supposé du personnage principal.
Ces caractéristiques physiques sont précisément l’axe de réponse de Glénat, qui écrit dans un communiqué : « Il s’agit d’une caricature dont le dessin, volontairement grotesque et outrancier dans ses proportions, ne laisse planer aucun doute quant à la nature totalement irréaliste du personnage et de son environnement. »
L’argument n’est pas suffisant pour certains qui jugent, réalisme ou non, que l’ouvrage peut servir d’outil à des adultes pédophiles pour amener des enfants à des actes sexuels, selon une méthode de manipulation appelée « grooming ».
Petit Paul en vente (presque) partout à Grenoble
Mais quelle est la réalité exacte de la polémique ? Mise en ligne depuis presque une semaine, et après un certain retentissement médiatique, la pétition demandant le retrait de l’ouvrage et des excuses de l’éditeur n’a recueilli “que” 2 600 signatures* environ. Un chiffre qui n’est pas anodin, mais peut sembler faible au regard de la publicité qui lui a été faite, et au caractère pour le moins sensible du sujet.
De fait, nos confrères du Point vont peut-être un peu vite en besogne en prédisant la mort de Petit Paul et une traversée du désert pour son auteur, au motif que Cultura et Gibert renoncent à présenter l’ouvrage. Si Cultura, après certains atermoiements, a fini par déréférencer la bande dessinée, celle-ci peut toujours être achetée chez Gibert, sur demande auprès d’un vendeur. Elle est en revanche absente du site général. Pour l’instant ?
L’ouvrage n’est, en tout cas, aucunement introuvable sur Grenoble. Les boutiques spécialisées en bandes-dessinées du centre-ville telles BD Fugue ou Momie Folie le proposent toutes les deux à la vente, et même en vitrine pour la seconde. Tandis qu’à quelques mètres de là, Decitre l’a retiré de ses rayons, sur ordre du siège. En revanche, si la librairie voisine Arthaud n’a pas d’exemplaires en magasin, c’est uniquement dû… à un bug informatique ayant bloqué la commande.
Petit Paul peut encore se trouver à la Librairie du Square, ou naturellement à la librairie Glénat avenue Alsace-Lorraine. Il est également disponible à la Fnac Victor-Hugo, avec une étrange et inquiétante particularité : contrairement à toutes les autres librairies visitées, la Fnac expose en effet le livre sorti de son blister, pouvant donc être feuilleté à loisir, et l’expose sur un présentoir « Découvrez, ça vient de sortir »… à hauteur d’enfants.
Une polémique… uniquement en ligne ?
Quels retours des libraires ? Aucun n’a eu affaire à des clients ou des personnes courroucées par la présence de l’ouvrage dans leurs établissements. Et si certains se montrent très critiques vis-à-vis de la bande-dessinée, la polémique leur semble souvent bien absurde.
« Je trouve que Bastien Vivès se perd, graphiquement c’est nul, l’histoire est nulle… mais je ne suis pas pour la censure », nous confie l’une d’elles. D’autres évoquent une « parodie » ou une « provocation », et s’amusent même : « On a vu bien pire ! »
Avec tant d’agitation en ligne, d’aucuns auraient pu penser que le siège grenoblois de Glénat, Couvent Sainte-Cécile, ferait l’objet de manifestations de mécontentement. Il n’en est rien, nous dit-on à l’accueil. Mieux encore, une personne a appelé l’éditeur… pour dire tout le mal qu’elle pensait des velléités de censure, et indiquer qu’elle allait acheter l’ouvrage juste pour cette raison.
Et si Petit Paul suscitait surtout une petite polémique ? Pour le moment, aucune action en justice ne semble avoir été menée par ses contempteurs, et l’affaire rappelle somme toute celle du roman Rose Bonbon, qui fit trembler la chronique en 2002… avant de retomber dans un oubli souverain.
Peut-être est-ce le pari de la direction de Glénat, qui semble s’en tenir à son premier communiqué. Et n’a, pour l’heure, pas donné suite aux sollicitations de Place Gre’net.
Florent Mathieu
* Chiffre en date du dimanche 30 septembre.