REPORTAGE – L’Aïd Al-Adha, fête du sacrifice, est la date la plus importante du calendrier musulman. À cette occasion, nous vous proposons un dossier sur l’Islam dans l’agglomération grenobloise. Pour ce premier épisode, plongée au cœur de l’événement à Alpexpo, où près de 10 000 fidèles se sont réunis ce mardi 21 août pour prier et célébrer cette date. Un rassemblement d’une ampleur unique en France.
Il est 6 heures. Le soleil n’est pas encore levé sur l’avenue d’Innsbruck qui longe le centre Alpexpo de Grenoble. Seuls quelques gyrophares de la police municipale éclairent les trottoirs se dirigeant vers la halle d’exposition. Des milliers de musulmans sont attendus ce mardi matin dans le parc événementiel pour la grande prière qui va avoir lieu à l’occasion de l’Aïd Al-Adha.
Date la plus importante du calendrier musulman, cette journée commémore le sacrifice d’Ibrahim (Abraham, pour les autres religions), prêt à perdre son fils en soumission à Allah.
Son bras retenu par un ange, celui-ci aurait finalement sacrifié un mouton pour le partager avec sa famille. Un récit religieux qui a donné lieu au fameux rite d’abattage, désormais soumis à des règles strictes.
Les hommes devant, les femmes derrière
Déjà sur place, quelques personnes installent des stands essentiellement destinés à récolter des fonds pour des projets de la communauté musulmane. Parmi eux, l’association des musulmans unis (Amu) qui recherche de quoi financer la construction de la future mosquée de Teisseire.
Les fidèles arrivent au compte goutte, accueillis par des agents du service d’ordre en gilet fluorescent.
Puis, peu à peu, les files d’attente à l’entrée s’étoffent dans le calme et un silence pieux. Seuls semblent autorisés à parler les bénévoles qui demandent d’ouvrir les sacs et de soulever les bras pour passer le détecteur de métaux.
Pour subir ce contrôle, les femmes se séparent des hommes. Les mots sont rares et prononcés à voix basse. « Écouter et répéter les mots de l’appel à la prière est un premier acte d’adoration », chuchote un fidèle avant de franchir les portes.
Une vingtaine de bénévoles en gilet orange attendent les fidèles dès leur arrivée dans le bâtiment : tous participent à une collecte organisée pour soutenir financièrement l’événement.
Les femmes entrent par les premières portes latérales situées à l’arrière du bâtiment. La plupart portent un long voile couvrant d’un tenant cheveux et corps mais laissant le visage apparent. Les couleurs sombres et le noir prédominent avec, ça et là, les teintes plus vives de quelques foulards rouges ou jaunes.
Une dizaine de femmes portent dans leurs bras des tout petits après avoir déposé dans un coin leurs poussettes. Les enfants plus grands accompagnent leurs parents sur les tapis de prières. Les filles avec les femmes à l’arrière, les garçons devant, avec les hommes.
Ces derniers sont parés de teintes plutôt claires. De quoi créer une mosaïque de couleurs dans les premiers rangs devant l’imam du jour : Mohammed Benali. Âgé d’une trentaine d’années à peine, il se prépare à la prière, tout de blanc vêtu, avec sa djellaba et sa coiffe, non loin du « minbar » en bois qui lui servira de chaire lors du prêche.
« N’oubliez pas de donner ! »
« À Grenoble, nous avons été les premiers [à nous réunir pour la prière de l’Aïd, ndlr] », lance fièrement au micro Abdenacer Zitouni, membre du Conseil des imams de l’Isère (CII), autorité impliquée dans l’organisation de l’événement, en préambule. « C’est un événement unique en France que de se réunir ainsi si nombreux pour la prière de l’Aïd. »
La date de la célébration, qui dépend du calendrier lunaire, n’était pourtant pas favorable. Beaucoup de musulmans sont en effet retournés au « bled » pour l’été ou ont profité des vacances pour aller faire le « hajj », le pèlerinage à la Mecque, qui est l’un des cinq piliers de l’Islam. Cette année, « seulement » 10 000 musulmans participent ainsi à la prière. Pour comparaison, ils étaient 20 000 à la prière de l’Aïd el-Fitr, à la fin du mois de jeûne du ramadan.
Le CII peut donc s’enorgueillir de sa réussite. En fédérant les imams du département depuis plus de vingt ans, il a rendu possible de tels événements qui unissent les différentes mosquées de l’agglomération. « Mais louer une salle comme Alpexpo n’est pas gratuit », rappelle Abdenacer Zitouni avant la prière. « N’oubliez pas de donner ! » En effet, si la sécurité est gérée par des bénévoles, la location de la salle coûte près de 20 000 euros.
À ce gros poste de dépense, s’ajoute en outre la sonorisation des lieux, assurée par un prestataire. De même que le poste de secours, géré par la fédération française de sauvetage et de secourisme. Un coût de plusieurs milliers d’euros, également à la charge de la fédération des associations des mosquées de l’Isère (Fami), coorganisatrice de l’événement avec le CII.
« Il faut serrer les rangs »
Il est maintenant plus de 7 heures : le soleil commence à poindre et le flux des fidèles s’est fait plus abondant. À l’intérieur, Cheick Suhaïbou Konte, vice-président de la Fami, sillonne encore le hall avec son gyropode. La veille, il avait déjà supervisé l’installation de la salle. « Il faut serrer les rangs », assène-t-il.
Il est près de 8 heures lorsque débute la prière. La succession d’inclinaisons et de prosternations crée alors un mouvement de vague multicolore. Le prêche est ensuite donné une première fois en arabe, puis dans un français parfait, bien que l’imam soit lui-même marocain. Celui-ci commence par un appel à l’unité au sein de la communauté musulmane : « Il faut être apaisé intérieurement pour pouvoir être intégré », avertit Mohammed Benali.
« La famille se doit aussi d’être au centre, poursuit-il. C’est la structure de base de l’éducation de nos enfants. » Avant de conclure que seule l’éducation permettait d’échapper à l’extrémisme : « Celui-ci provient toujours de l’ignorance. »
À la fin du prêche, plusieurs fidèles viennent saluer l’imam avant de repartir rapidement. Dès la sortie, l’atmosphère se fait plus légère : les sourires reviennent sur les lèvres et les discussions reprennent. Sans disparaître, la dimension religieuse va laisser place à un moment de retrouvailles en famille autour du partage de l’animal sacrifié le jour même. « C’est l’heure d’aller chasser le mouton ! », blague un père de famille.
Florian Espalieu