REPORTAGE – Suite à un vote réalisé lors d’une assemblée générale ce mercredi 2 mai, le blocage de l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine de Grenoble (IUGA) réalisé le matin même a été levé dans la journée. Et ce alors même qu’une majorité de votants s’est déclarée contre la loi Orientation et réussite des étudiants (Ore).
Environ 300 personnes attendent ce mercredi 2 mai devant l’entrée de l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine de Grenoble.
Des poubelles et palettes empêchent l’accès au bâtiment, dont le blocage a été voté lundi 30 avril en assemblée générale.
Une situation inédite pour l’établissement, qui avait néanmoins déjà connu un barrage filtrant en 2007 lors des manifestations contre les Contrats première embauche (CPE) du gouvernement de Dominique de Villepin.
« Pour voter, il faut être assis ! »
En cercle et assis par terre, les participants attendent le début des discussions. Juliette, une étudiante rodée à la tenue d’assemblées générales monte sur deux tables disposées devant la grille pour se faire entendre. Elle expose notamment les consignes pour que l’AG se déroule sereinement : « Pour voter, il faut être assis ! »
Le rassemblement ayant lieu dans une rue passante, « on n’applaudit pas, mais on secoue les mains » pour éviter tout bruit inutile, et on exprime son opposition en disposant ses bras en croix. Pour l’attribution de la parole, une liste “féministe” est constituée pour donner la priorité aux femmes.
Premier point à l’ordre du jour : un rappel sur la loi Orientation et réussite des étudiants mise en place par le gouvernement. Juliette se fait la porte-parole des contestataires :
« 60 % des étudiants n’effectuent pas leur licence normalement en trois ans. On comprend qu’il y a un problème, mais on s’oppose à la sélection. Les prérequis qui vont être mis en place sont discriminatoires. Des étudiants qui auront eu la chance de voyager à l’étranger seront valorisés s’ils veulent s’inscrire en langues ».
Les manifestants regrettent un « enseignement vu comme un coût et non un investissement pour l’avenir ». Un discours qui semble avoir l’aval de nombreux manifestants qui s’autorisent à l’applaudir malgré les consignes. Jean-Loup, militant de Solidarités étudiant-e‑s, exprime son projet : « Les luttes étudiantes sont ignorées pas la fac depuis octobre. Nous voulons qu’un référendum soit proposé pour la loi Ore. »
« Nous avons décidé de ne pas classer les candidatures »
Jean-Christophe Dissart, directeur de l’IUGA, prend position sur la réforme de Parcoursup : « À l’issue des différentes réunions, nous avons décidé de ne pas classer les candidatures. Auparavant, 150 étudiants entraient en licence. Puisque nous disposons de 233 places disponibles, la sélection n’avait pas lieu d’être ». Désormais, la loi Ore supprimant la hiérarchie des choix des futurs étudiants, l’université doit examiner les dossiers de plus de 600 étudiants.
« Le gouvernement ne nous donne pas les moyens de faire un classement correct des étudiants, nous confie Sébastien Leroux, responsable des étudiants en licence. Le nombre d’embauches par an diminue alors que les effectifs d’étudiants ont augmenté de 15 %. »
Autre question au cœur des débats : les examens. Ceux qui devaient se dérouler ce mercredi ont tous été annulés. Paule-Annick Davoine, professeure, tient à rassurer les étudiants : « Nous trouverons la solution idéale pour tous. Les enseignants vont se concerter et nous allons retenir une proposition. »
Un revirement du débat que regrettent les partisans du blocage : « On n’est pas là pour de l’individuel, ce n’est pas juste une question d’examens. Il faut penser collectif », affirme l’un d’entre eux. Quand un autre explique : « On bloque pour sensibiliser. On est ici au milieu des quartiers populaires à La Bruyère. Ce sont eux qui seront les premiers concernés. »
Un blocage pour proposer des alternatives
A l’occasion de ce blocage, des cours alternatifs ont vu le jour. Avec, par exemple le matin même, une discussion entre des étudiants et l’enseignante Kirsten Koop sur les stratégies et modalités de la lutte citoyenne en France en 2018.
Interrogée sur ce cours, Kirsten Koop note un certain pessimisme chez les étudiants qui ont pris part à la discussion : « On a constaté collectivement un manque de vision au long terme, de leviers pour changer. Que ce soit à travers la politique ou à l’échelle individuelle et collective, les syndicats perdent leur pouvoir. »
Et d’ajouter : « Face à ce constat, nous avons essayé de passer de la dystopie à l’utopie en proposant des solutions à diverses échelles pour agir collectivement comme individuellement, en étant conscient de ses propres valeurs. »
Durant l’après-midi, Sébastien Leroux a, lui, proposé un cours sur l’écriture inclusive. Une conférence portait également sur la frontière sud-alpine. Entre thématiques féministe, migratoire et d’apprentissage à la lutte citoyenne, le programme se voulait diversifié.
Au final, lors du vote clôturant l’AG, 165 personnes ont voté contre le maintien du blocage et 78 pour, sur 275 participants. Dans le même temps, 200 personnes se sont déclarées contre la loi Ore lors du vote à main levée.
Un étudiant pro-blocage restait néanmoins positif : « Grâce au blocus, nous avons tout de même réussi à sensibiliser des gens. » Tandis qu’un autre se montrait rassuré : « Cela n’avait pas d’impact de bloquer cette fac. Elle est délocalisée et loin du campus. J’ai 23 ans, je suis en deuxième année de licence, la priorité pour moi, c’est mes examens. »
Un blocage terminé, donc, mais la contestation continue. La majorité a en effet voté pour que les étudiants puissent disposer d’un lieu pour continuer à débattre et à se mobiliser.
Édouard Merlo