TROIS QUESTIONS À – Fondé à l’aube des Jeux olympiques d’hiver de 1968, le club des communicants de l’Isère vient de célébrer ses 50 ans lors d’une soirée qui a réuni 200 professionnels vendredi 1er décembre au domaine de Saint-Jean-de-Chépy. L’occasion de revenir, en marge de ce temps fort, sur les évolutions de la communication avec Véronique Girod-Roux, présidente de Com’2 Grenoble. Et sur l’avenir d’un secteur qui doit notamment faire face au défi de l’instantanéité.
Présidente du club des communicants de l’Isère (Com’2 Grenoble) depuis 2007, Véronique Girod – Roux exerce la fonction de Responsable marketing et développement des programmes de formation continue à Grenoble École de management.
Véronique Girod-Roux a été responsable de la communication chez Petzl, Team Co développement, Korus Groupe Teisseire, Rossignol, ou pour le Syndicat national des moniteurs du ski français, entre autres. Cette professionnelle accomplie enseigne également, en tant que maître de conférences associée, directrice des études Master CEP, à l’Université Grenoble-Alpes.
Place Gre’net : La première mascotte (Schuss) des JO est née à l’occasion des Jeux de Grenoble, en 1968. En un demi-siècle, quelles évolutions majeures a connues la communication ?
Véronique Girod-Roux : Quelques grands jalons ont marqué ce demi-siècle. La communication a pris son envol dans les années 60. En France en tout cas, car elle a démarré bien avant aux États-Unis. D’où aussi la création de notre club en 1967.
Dans les débuts, émergent les métiers essentiellement tournés vers les relations presse et relations publiques. C’est-à-dire qu’on est sur une dynamique plutôt de relations avec les médias, dans une communication très unidirectionnelle au service d’entreprises qui annoncent un certain nombre d’événements…
A la fin des années 80, apparaît l’essentiel des métiers du secteur, avec les premières formations à l’Université de Grenoble. Les licences, maîtrises puis Masters Infocom [information-communication, ndlr] vont prendre de l’envergure dans les années 90. C’est à ce moment là que notre club déménage dans les locaux de l’Université, à Échirolles, et qu’il devient parrain des formations Infocom de l’Université de Grenoble-Alpes.
Puis les métiers vont encore évoluer vers une communication, disons plus large, avec la communication interne, la communication événementielle, le mécénat, le sponsoring… Les crises économiques qui surviennent à partir des années 90 sont très difficiles pour le secteur. Les entreprises réduisent la voilure, et les communicants sont les premiers à en pâtir. Au niveau du club, cette période est compliquée également, notamment pour recruter de nouveaux adhérents, et le turn over est important.
« Aujourd’hui, on est à la charnière entre la communication
facilitée par la dynamique numérique et l’ère où tout communique avec tout. »
Arrive le web, à la fin des années 90, puis la bulle Internet qui éclate début 2000. Des startups se cassent la figure, mais un tournant pour la communication est définitivement pris, avec de nouveaux métiers instillés au sein des entreprises autour de la création des sites Internet.
Entre 2000 et 2005, les pratiques du numérique s’intensifient avec les Technologies de l’information et de la communication (TIC) et, plus proches de nous, la digitalisation et l’Internet des objets. Aujourd’hui, on est là : à la charnière entre la communication facilitée par la dynamique numérique et l’ère où tout communique avec tout, notamment au travers des objets communicants…
A l’heure où tout le monde communique et se charge de sa propre communication, notamment via les réseaux sociaux, est-il encore utile de faire appel à des professionnels de la communication ?
Bien entendu, les professionnels de la communication sont toujours utiles, voire indispensables, parce que n’est pas communicant qui veut. On peut avoir accès à des outils qui sont des interfaces, on va dire des « hommes-machines », mais cela ne veut pas dire que ces outils vont transporter les bons messages, de la bonne manière, vers les bonnes cibles, aux bons moments… Et c’est ce qui explique que la communication a de beaux jours devant elle.
Je vais vous donner un exemple très simple, emblématique quant au rôle des communicants. Avec la vitesse des messages véhiculés sur Internet, une entreprise peut se retrouver très rapidement mise à mal dans sa communication, du fait d’un bad buzz, d’une nouvelle justifiée ou non, d’un événement de son fait ou pas qui traîne sur Internet. Si elle ne réagit pas dans les vingt-quatre heures, ou même douze, l’entreprise est en danger. Et elle mettra des années à s’en remettre.
Qu’est-ce qui peut la sortir de ce mauvais pas aujourd’hui ? Les spécialistes de la communication de crise, de l’e-réputation, qui agissent dans des délais très courts, avec les bons messages, les bons canaux, les bons médias, la bonne manière, qui vont aller former le personnel de l’entreprise, en état de sidération, et surtout tous les acteurs qui sont amenés à communiquer vers l’extérieur, depuis le PDG jusqu’à la standardiste. Leur mission : redresser le navire…
Nous sommes dans une société de l’instantanéité où une bonne communication n’est pas si aisée à délivrer, parce que, je le redis, elle n’est pas manipulable par n’importe qui… Donc il faut continuer à développer aujourd’hui des expertises dans la communication. Et donc former des professionnels dans ce secteur, qui sont nécessaires pour tous les types d’organisations : entreprises, ONG, associations, startups… mais aussi structures du service public qui embauchent, par ailleurs, davantage de communicants ces derniers temps. Alors qu’il y a vingt ans, le service public ne communiquait pas ou peu.
« La communication va probablement s’élargir, s’étendre en terme d’expertise
à des populations plus larges que celles qu’on a aujourd’hui. »
Au moins la moitié des métiers qui recrutent dans la com” sont ceux du digital et du “community management”. Même si ma vision est que, dans dix ou quinze ans, le community management sera opéré par tout un chacun dans les entreprises, c’est-à-dire qu’on aura des gens qui seront capables de modérer sur la toile, dans leur spécialité, leur expertise.
Il n’empêche que tous ces gens-là devront être formés à la manière de le faire, au moment et l’instant où il est convenu de le faire, et cela nécessitera de toute façon des formations. Donc, certes, la communication va probablement s’élargir, s’étendre en terme d’expertise à des populations plus larges que celles qu’on a aujourd’hui.
En revanche, il faudra toujours et plus que jamais des experts de la communication au sens « corporate », c’est-à-dire dont la fonction est de se demander comment l’entreprise doit passer les messages, et créer de la conversation, comment cette conversation va s’opérer, avec des plannings, des techniques, du « off line », du « on line », et faire en sorte que le tout soit bien agencé.
Tout ça, ce n’est pas monsieur ou madame tout le monde, ou le patron de la R&D qui va pouvoir le faire… Il faut bien se dire que la communication interne, la communication événementielle, la communication en lien étroit avec la promotion et le marketing, la formation des dirigeants, les techniques de communication interfacées avec le net, ainsi que la vidéo sont des domaines de compétences qui doivent être maîtrisés par des experts.
Alors, oui, la communication a de très beaux jours devant elle. Par ailleurs, quand on voit que les enfants, les jeunes, ne savent plus écrire. Là aussi, du point de vue de la communication écrite, il y a du travail pour les communicants…
Le public semble de plus en plus méfiant par rapport aux messages qui lui sont délivrés, les sollicitations étant de plus en plus nombreuses. Comment les professionnels de la communication font-ils face à cette défiance ? Qu’est-ce qu’une bonne communication ?
Vérifier l’information aujourd’hui, c’est compliqué. Par contre, pouvoir faire en sorte que le client, le consommateur, puisse accéder de manière très concrète à des produits, à ce que l’autre veut lui dire, à ce que l’entreprise veut délivrer comme message, ces objectifs-là sont les défis à relever pour les communicants, et c’est l’avenir.
Aujourd’hui, l’entreprise essaye de se mettre dans une relation plus proche du consommateur en lui proposant de venir visiter ses locaux, de le retrouver sur des événements, ou en le faisant participer à la création du logo qu’adoptera l’entreprise demain.
Cette quête-là est en cours. Elle consiste à rendre le consommateur acteur du produit, du message, à le positionner au centre de l’organisation.
Qu’est-ce qu’une bonne communication ? Difficile de répondre à cette question. Je ne sais pas si on doit voir les choses sous un angle manichéen et péremptoire et dire “c’est bon”, “c’est pas bon”, “c’est de la bonne communication”, ou “ça n’en est pas”.
Prenons l’exemple des influenceurs sur le net. Il y en a dans toutes les spécialités. Ils sont un moyen pour une entreprise de communiquer, d’accéder à un public qui écoutera, consommera, éventuellement qui tendra un œil, une oreille vers l’entreprise qui tente d’introduire un produit sur le marché… Or, quand on parle d’influencer, cela fait penser à quelque chose qui peut être de l’ordre de la manipulation.
Mais pas si l’entreprise continue de chercher les meilleures façons de travailler de manière éthique, durable, si elle développe réellement et sincèrement des politiques ou des stratégies qui vont dans le sens de la protection de l’humain, que ce soit à l’interne ou à l’externe. Je pense que l’un et l’autre peuvent s’exercer de manière sincère et honnête.
« La communication doit donner de l’information utile, intéressante,
dans laquelle le consommateur va se retrouver et interagir avec l’entreprise. »
Il y a des entreprises qui s’engagent sur la voie de la communication éthique, la communication qui protège le consommateur, et qui s’engage à avoir un discours éthique, un discours vrai, y compris lors de communication de crise. Je pense à des entreprises comme Michelin.
En même temps, il ne faut pas se le cacher, on est sur des terrains qui sont de toute façon très mouvants, où ce qui a été dit un jour peut être contredit le lendemain, où l’entreprise s’acharne à essayer de trouver un juste milieu dans ce qu’elle doit communiquer ou pas, ce qui est accessible pour le public, ce qui se dit ou pas, parce qu’on ne peut pas non plus tout dire…
À un moment donné, l’entreprise ou la structure doit se protéger d’un certain nombre de prédateurs. On le sait, il faut être très vigilant, donc avoir une communication qui va donner de l’information utile, intéressante, dans laquelle le consommateur va se retrouver et interagir avec l’entreprise pour son bien propre, le bien du consommateur en question bien entendu…
Propos recueillis par Séverine Cattiaux
Com’2 Grenoble : 50 ans de réseau et d’échanges entre professionnels de la com en Isère
Créé en 1967, le club des communicants de l’Isère également appelé Com’2 Grenoble avait pour vocation, à l’origine, de rassembler les représentants des « relations publiques et relations extérieures » afin de promouvoir le tissu industriel grenoblois à la veille des JO d’hiver de 1968.
Piloté par une équipe de bénévoles, le club regroupe 80 professionnels issus de grandes entreprises, PME, écoles, associations, services publics, mais aussi des indépendants… Parmi ses adhérents : le CEA, Corys, Grenoble École de management, Minalogic, Roche Diagnostics, Siemens et Tenerrdis.
Les missions du club : favoriser les rencontres, les échanges et les partages d’expériences entre professionnels et futurs professionnels, développer l’employabilité de ses membres et enfin informer sur les nouvelles innovations et pratiques en matière de communication.