EN BREF – Suite à la publication de l’article de Place Gre’net sur « les collaborateurs occasionnels bénévoles » dans le réseau des bibliothèques, la Ville de Grenoble a demandé un “droit de réponse”, que nous avons publié, malgré plusieurs réserves sur le fond et la forme. C’est désormais le collectif des bibliothécaires de Grenoble en lutte qui réagit
de manière cinglante sur les réseaux sociaux… au droit de réponse de la Ville.
« Rarement droit de réponse de la mairie n’aura suscité autant de questions, d’erreurs, de confusions et d’informations contradictoires ! À croire qu’il a été écrit par un‑e étudiante‑e stagiaire non rémunéré‑e… ou un‑e chargé‑e de com” bénévole ! »
Ainsi démarre la lettre des bibliothécaires de Grenoble en lutte, en ligne sur leur page Facebook.
Force est de constater que le texte envoyé par la Ville de Grenoble en droit de réponse à l’article de Place Gre’net a piqué au vif le collectif de bibliothécaires. « […] les bibliothécaires de Grenoble en lutte ont décidé – bénévolement – de faire un droit de réponse au “droit de réponse” de la Ville ». L’adverbe « bénévolement » faisant allusion au sujet ayant entraîné la polémique, à savoir, l’encadrement du bénévolat dans les bibliothèques. Lequel a fait l’objet d’une convention récemment votée en conseil municipal à Grenoble.
Le recours à des bénévoles « minoritaire et exceptionnel » selon le collectif
Dans son “droit de réponse” autoproclamé, le collectif des bibliothécaires en lutte épingle nombres d’assertions contenues dans celui de la Ville, pour ensuite les démonter. Ainsi la Ville y affirme-t-elle : « La bibliothèque municipale recourt à des collaborateurs bénévoles depuis de nombreuses années : c’est un fait. »
Une assertion largement à nuancer, selon le collectif. « Oui c’est un fait, rétorque-t-il, tout à fait minoritaire et exceptionnel… » Le rédacteur du texte de la Ville de Grenoble se serait donc emmêlé les pinceaux ? Oui, selon eux, de même que les auteurs de la délibération.
Et les bibliothécaires en lutte de relater, par le menu, les pratiques en vigueur aujourd’hui dans les bibliothèques.
Pour le collectif, nul doute que « la mairie fait une grande confusion entre usager-e‑s bénévoles et partenaires associatifs bénévoles ». Et de regretter au passage que la Ville ne daigne consulter les bibliothécaires avant de rédiger et faire voter ses délibérations : « Si les élu-e‑s prenaient le temps de nous rencontrer, on pourrait leur expliquer la différence. »
Novlangue épinglée
La Ville de Grenoble écrit ensuite dans son droit de réponse : « La Ville n’a pas supprimé une dizaine de postes au sein des bibliothèques : six départs ne sont pas reconduits. » Le collectif de dénoncer la périphrase : « Notez la novlangue, on ne “supprime pas” des postes à la Ville, on “ne les reconduit pas”. »
Les animations autour du livre en dehors des missions des bibliothécaires ?
Arrive ensuite le sujet central de la polémique. Dans son “droit de réponse”, la Ville réfute toute idée selon laquelle des bénévoles prendraient la place de bibliothécaires. « Les activités professionnelles sont confiées à des bibliothécaires professionnels », assène l’auteur du texte.
Ni rassuré, ni convaincu, le collectif renvoie la Ville aux termes mêmes de sa délibération qui suscitent son trouble : « La délibération indique que les usager-e‑s bénévoles pourront participer à l’animation de clubs lecteurs, à l’accueil d’auteurs, etc. dans les bibliothèques. Donc, si l’on confie ces animations à des collaborateurs bénévoles, c’est que la mairie ne les considère pas comme des activités professionnelles de bibliothécaires ? Est-ce que l’équipe municipale pourrait nous expliquer en quoi consiste notre métier alors ? »
Un droit de réponse qui se contredit ?
« Non la Ville de Grenoble ne fait pas appel à des collaborateurs bénévoles pour les relais lecture ni pour un “tiers lieu” et n’a rien voté en ce sens », affirme le “droit de réponse” de la Ville. Une nouvelle affirmation étonnante pour le collectif qui pointe les contradictions de la Ville :
« Eh ho, les collaborateurs bénévoles de la com”, il faut accorder vos violons […] La bibliothèque “tiers-lieu” […] de l’Alliance, amputée de la moitié de son personnel, accueillera-t-elle oui ou non des collaborateurs bénévoles pour des ateliers et des animations ??? Les quatre collègues de cette bibliothèque [tiers-lieu] ne pourront plus proposer autant d’animations qu’auparavant, c’est certain. »
Le collectif vigilant vis-à-vis de tout « salariat masqué »
« Nous comprenons que cette délibération suscite des questionnements », reconnaissait la Ville vers la fin de son droit de réponse. Une phrase saisie au bond par le collectif : « Ben, c’est le moins que l’on puisse dire !!! Cela découle peut-être de la façon dont la municipalité gère « le dossier bibliothèque » depuis juin 2016 : autoritarisme, opacité, prise de décisions arbitraires et revirements en tout genre […] »
Et le collectif de terminer sa missive sur une envolée plus teintée de doute et de colère que de lyrisme : « Dans un contexte de baisse de dotations de l’État, d’austérité budgétaire et de volonté de la municipalité de Grenoble d’organiser un service public dégradé, on peut légitimement s’inquiéter de l’intérêt soudain porté aux usager-e‑s bénévoles. Ne sera-t-il pas tentant, dans l’avenir de remplacer des agent-e‑s (en bibliothèque et dans les autres services) par des bénévoles pour faire des économies et présenter cela comme un formidable projet de démocratie participative innovant ? »
Encore plus sur ses gardes, depuis la missive de la Ville, le collectif des bibliothécaires en lutte prévient : « Si l’on confie à des bénévoles des missions (ateliers, animations) dévolues aux bibliothécaires, pourquoi ne pas à terme remplacer les seconds par les premiers ? Il ne faudrait pas que le recours au bénévolat se transforme en salariat masqué. Nous resterons donc vigilant-e-es. »
Séverine Cattiaux