PORTFOLIO PHOTO – Peintre d’icônes depuis 1989, Élisabeth Lamour nous a ouvert les portes de son atelier, à Champ-sur-Drac, afin de partager sa passion pour son métier et la philosophie de vie qui en découle. Rencontre insolite avec l’artiste, qui « tisse un fil à travers le temps et les êtres ».
« Quand on peint une icône c’est comme si on tendait un fil dans le temps et dans l’espace », affirme Élisabeth Lamour, peintre d’icônes à Champ-sur-Drac. « Pour moi, c’est une façon de se sentir présente au monde. » Regard posé, voix calme, sourire aux lèvres, l’artiste, imprégnée par des années de pratique de son métier insolite, dégage un mélange de sagesse et d’émerveillement.
Une géographe devenue peintre d’icônes
Originaire d’Angers, Élisabeth Lamour est venue à Grenoble pour suivre des études à l’Institut de géographie alpine. « Le fil conducteur de toute ma vie professionnelle c’est l’émerveillement, explique-t-elle. J’admirais des paysages et j’avais envie de comprendre comment ça marchait. La beauté du monde me touchait beaucoup. »
Professeur de géographie, elle prend alors des cours du soir dans des écoles d’art. Un jour, lors d’un stage d’initiation, elle découvre la peinture d’icônes dans l’atelier Saint-Jean Damascène à Saint-Jean-en-Royans où elle donnait « un coup de main ». « Cela m’a rappelé des voyages. J’avais envie d’apprendre cette façon de peindre mais n’avais pas de projet autour de ça, se souvient Élisabeth Lamour. Et puis, cela a vraiment été un coup de foudre. Je devais sûrement être dans une recherche spirituelle et artistique à ce moment de ma vie. » Sa passion pour la peinture d’icônes était née.
Pour combler son manque de formation théorique, Élisabeth Lamour suit alors une formation de quatre ans à l’Institut de théologie orthodoxe Saint Serge à Paris. Pourquoi ce choix ? « La religion orthodoxe était un langage qui me parlait mieux. Cela me convenait parfaitement par rapport à ma vision du monde, explique la peintre. Cependant, je ne me définis pas forcément en tant qu’orthodoxe. Dans notre monde, aujourd’hui, les gens se définissent tellement par leur appartenance à quelque chose… » Comment se définit-elle alors ? Comme « quelqu’un cherchant la paix », qui a « la certitude qu’il n’y a pas que notre monde visible, mais qu’autour il existe d’autres choses. »
Progressivement, la peinture d’icônes a pris le pas sur la vie professionnelle d’Élisabeth Lamour. Il lui a fallu faire un choix. Elle démissionne alors de l’Éducation nationale. « Malgré la surprise et une sorte d’incompréhension de mes collègues, je n’ai jamais regretté mon choix, même si j’ai bien aimé le travail de professeur aussi », précise-t-elle.
Au fil du temps, Élisabeth Lamour prend son indépendance et ouvre son atelier en Isère, à Champ-sur-Drac au début des années 2000. Amoureuse de la nature, elle trouve son inspiration dans la contemplation. « J’aime beaucoup voyager, surtout dans les pays du nord, être dehors, regarder d’un côté ou de l’autre, précise-t-elle. Et puis il y a plein de choses qui arrivent. C’est comme si je me nourrissais de la beauté du monde pour ensuite essayer de la retransmettre sur la planche. »
Ralentir dans un monde qui va à toute vitesse
Pour Élisabeth Lamour, le travail sur une icône commence par une recherche d’éléments de la vie des personnages qui y sont représentés. « J’essaie de trouver le plus de choses possible, des modèles, pour voir comment on a représenté le personnage dans l’icône et dans l’art à travers le temps. C’est à la fois pour chercher toutes les constantes de compositions, de couleurs, de proportions et pour entrer un peu dans la communication avec le personnage qu’on représente. »
S’il s’agit d’une commande destinée à une personne précise, cette recherche l’aide aussi à personnaliser son travail.
Y a‑t-il une préparation spécifique avant de commencer à peindre une icône ? Non, selon Élisabeth Lamour. À une exception près : « Si on est fâchés, c’est plus important de commencer par se réconcilier que de peindre. Cela a changé à différents moments mais, actuellement, pour moi l’icône est une recherche de paix en soi et de paix pour le monde. » Une pratique artistique qui rejoint ainsi sa philosophie de vie.
Une autre notion liée à l’icône et chère à Élisabeth Lamour est le temps. À commencer par le rythme de travail. « Dans l’icône, la nécessité spirituelle rejoint la nécessité pratique. Avec le procédé utilisé, on ne peut pas aller vite. Dans ce monde qui va tellement vite, on prend du temps sans forcément savoir combien de temps le travail va durer ».
D’autre part, ce travail s’inscrit dans le temps. En reprenant les modèles anciens, les peintres s’inspirent « de tout le travail des hommes du passé pour représenter un personnage qui a vécu, qui a toute une histoire. Finalement, c’est comme si l’on prolongeait tout cela, à la fois le travail des artistes du passé, leur art, leurs prières, résume Élisabeth Lamour. On dit souvent que dans l’icône on représente un personnage et qu’on le rend présent. Pour cela, il est important d’étudier son histoire, d’approfondir les éléments importants de sa vie. »
Une douzaine de couches de peintures superposées
« Dans l’icône, on utilise des matériaux tout simples », commence Élisabeth Lamour, avant de nous expliquer les différentes étapes de création d’une icône. Pour ses peintures, elle utilise les planches de bois découpées par son voisin dans la forêt « juste derrière la maison ».
Là encore, sa passion pour la nature et pour la peinture se rejoignent. Dans cette forêt, on trouve des bouleaux, qu’elle aime tant, et qui sont plus habituels dans les paysages de l’Est que dans l’Hexagone. « Cette nature que je trouve si belle est un point de départ pour les icônes. »
Une fois découpé, le bois sèche pendant trois ans avant d’être utilisé. Puis il doit être recouvert par une toile avec une dizaine de couches d’enduit à base de craie et de colle. Une semaine de travail est nécessaire pour cette préparation. Étape suivante : le mélange des pigments, pour la plupart d’entre eux naturels avec une préparation à base de jaune d’œuf et de vinaigre. Les premières couches de peinture sont liquides : elles doivent pénétrer dans l’enduit. « On va ainsi superposer les couches, souvent une douzaine, précise Élisabeth Lamour. C’est aussi un moment de méditation. »
« Dans l’icône, au lieu de faire des ombres, on fait les lumières »
A noter que les couleurs ont une valeur traditionnelle et symbolique dans l’icône : « Pour le visage et l’auréole, on utilise l’or ou le jaune, car cela représente la lumière pure, divine. » Sur la peau des personnages, on trouvera la couleur terre, car « elle symbolise le terreau commun de l’humanité et même de la nature. Tout ce qui est de l’ordre de la création est recouvert par cette couleur. »
Le technique se différencie bien des procédés traditionnels : « Dans l’icône, au lieu de faire des ombres, comme on fait dans la plupart des techniques de peinture, on fait les lumières : on part du sombre et on va vers le plus clair, explique la peintre. C’est comme si l’on reprenait des étapes de la création : on part de la terre informe dont est tirée ensuite toute la vie. » Chaque détail de travail semble avoir une signification philosophique : le regard des personnages est « posé » à la fin, afin qu’il ne puisse pas « imposer son caractère » au personnage dessiné.
La touche finale consiste à mettre le nom du personnage peint pour « relier le modèle au prototype ». « Une des choses que je trouve très intéressante dans l’icône, c’est qu’elle n’est pas signée, rappelle Élisabeth Lamour. Et pour cause. « Je pense que c’est typique de cet état d’esprit : on reçoit – c’est du moins ce que je ressens – les œuvres du passé, l’histoire des personnages qui sont présentés, la beauté du monde, la prière, la demande de la personne à qui l’icône est destinée. On reçoit tout cela et on le transmet sur l’icône, donc il n’y a pas à signer. On ne s’imagine pas peindre une icône juste à partir de son inspiration, ça n’existe pas. »
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Yuliya Ruzhechka