POLÉMIQUE – Le président de l’Observatoire des discriminations et des territoires interculturels Claude Jacquier adresse une lettre au procureur de Grenoble Jean-Yves Coquillat, suite à ses propos sur le trafic de stupéfiants à Grenoble. Insolite, ironique, parfois confus et souvent provocateur, le texte égratigne volontiers la posture adoptée par le magistrat.
Les propos du procureur de Grenoble Jean-Yves Coquillat sur Grenoble « gangrénée par le trafic de drogue » continuent de faire polémique. Nouvelle réaction suite à l’article du Dauphiné libéré, après celles de la classe politique : une lettre ouverte signée Claude Jacquier, président directeur général de l’Observatoire des discriminations et des territoires interculturels (ODTI).
Située dans le quartier Très-Cloîtres, place Edmond Arnaud à Grenoble, l’ODTI œuvre depuis quarante ans à soutenir les travailleurs ou les retraités issus de l’immigration. L’association axe notamment son action autour de trois pôles : justice, santé et logement. Mais mène également des actions de recherche pour le compte de l’État ou de collectivités.
Claude Jacquier est loin d’être une figure apolitique. Cet universitaire, ex-directeur de recherche au CNRS, a été conseiller municipal écologiste de Grenoble dans les années 90. Il apparaît membre du comité de soutien dans la campagne de 2008 de la liste Écologie et solidarité en actes, menée par l’actuelle conseillère municipale Maryvonne Boileau. En 2014, Claude Jacquier appelait à voter pour la liste d’Éric Piolle, « seule liste humaniste et innovante, capable de mettre en œuvre cette transition nécessaire vers un modèle de vie ouvert aux possibles. »
Des « reproches » adressés aux victimes ?
Dans sa (longue) missive adressée au procureur de la République, Claude Jacquier ne cache ni son indignation, ni son agacement, et manie volontiers l’ironie, parfois à la truelle et au mortier. Le « diagnostic avisé » du procureur est ainsi jugé proche du « discours politique excessif habituel », et Claude Jacquier s’en étonne de la part d’un « fonctionnaire soumis à un certain devoir de réserve ».
Mais lorsque Jean-Yves Coquillat déclare « Si les gens qui voient des choses ne parlent pas, ne déposent pas de plainte, etc., les choses mettront en effet beaucoup de temps à changer », le sang du président de l’ODTI ne fait qu’un tour : « Vos conseils, voire vos reproches explicites formulés à l’encontre des résident-es de cette ville ne sont guère recevables sachant les risques que chacun encourt compte tenu des insuffisances et de l’inefficacité des instances publiques détentrices de la violence légitime chargées de les protéger. »
Et Claude Jacquier d’ajouter : « nous sommes nombreux, dans cette ville, à déposer plainte dans de telles affaires ». À commencer par l’ODTI lui-même. Pas moins de 357 signalements et plaintes déposés en dix ans devant les institutions par des salariés de l’association, pour des motifs de menaces ou de violences. Des signalements qui auraient fait « chou blanc ».
Pire encore : Claude Jacquier affirme avoir signalé à la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) des « intrusions, menaces et violences » de la part de dealers au sein de l’établissement médico-social de l’ODTI. En réponse, « le préfet diligenta une mission d’inspection […] pour vérifier que nous mettions bien en œuvre les mesures de sécurité indispensables à l’intérieur de notre établissement ! », narre le président.
« Le soupçon est retombé sur nous et, depuis, nous attendons le rapport officiel d’inspection alors que le business a continué, as usual, de proliférer à l’extérieur et à l’intérieur de notre établissement ! », juge ainsi Claude Jacquier dans son courrier. « Ces nouveaux commerçants appliquent la loi, leur loi, partout sur le territoire ! », ajoute-t-il. Quitte à frôler le « discours politique excessif habituel » ?
La volonté du procureur de Grenoble remise en cause
L’action et la volonté mêmes du procureur sont remises en cause. « Si je ne me trompe pas, vous êtes en poste à Grenoble depuis plus de six ans et pendant ces six ans, alors que nous vous avons saisi à de nombreuses reprises (au moins une ou deux fois par an), nous n’avons eu de votre part, en retour, que du silence », attaque le président de l’ODTI.
L’absence de Jean-Yves Coquillat lors d’une réunion organisée par le préfecture en mai 2017 sur la question de la sécurité dans le secteur de l’ODTI est également pointée du doigt. « Sans doute, vous ou vos assistants aviez d’autres urgences à ce moment-là ! », persifle Claude Jacquier. Qui note que le secteur en question est « pourtant situé à moins de 150 m de l’hôtel de police, des services du département, de la DDCS et de l’armée ».
Enfin, au rayon sécuritaire, Claude Jacquier semble trouver étrange que le procureur ne s’attarde pas sur la question des consommateurs de substances illicites vendues par les dealers. « Pour mettre fin à un commerce, il faut d’abord et surtout s’en prendre à sa clientèle, en l’occurrence des électrices et des électeurs bobos (bourgeois bohèmes et bonaparto-bolcheviques) [sic] en provenance de toute la cuvette », écrit-il.
Des coffee-shops à Grenoble ?
Cœur de son courrier, le président de l’ODTI n’oublie pas de plaider, maniant encore une fois l’ironie, pour la tolérance d”« échoppes bien identifiées » à la manière des coffee-shops aux Pays-Bas. « C’est ce que nous proposons de faire depuis des années à Très-Cloîtres avec les locaux commerciaux vacants », affirme-t-il, avant d’énumérer les avantages d’une telle mesure.
Ainsi, ces établissements permettraient à la police « de connaître précisément les lieux de stockage, de vente, les vendeurs et les consommateurs », évitant les « interventions à l’aveuglette coûteuses en agents des forces de l’ordre ». Autre avantage ? L’identification de l’activité commerciale, et des déclarations auprès des services fiscaux, de l’Urssaf, caisses de retraite et autres.
Claude Jacquier note également, avec un sens du sérieux plus aiguisé, que le commerce de drogue « tel qu’il est pratiqué a des effets collatéraux néfastes sur les publics vers qui sont déployées des activités sociales », comme celles de son association. En l’occurrence, des menaces ou des violences sur les résidents ou encore des occupations illégales de locaux.
Enfin, le président de l’ODTI relève que « les conditions de travail des personnes dans ce type de commerce sont loin de respecter… les normes légales en vigueur ». Travail des mineurs, risques, pénibilité… Les coffee-shops pour favoriser l’action de l’inspection du travail dans cette filière ? « À l’heure des ordonnances sur le code du travail, profitons-en ! », s’exclame-t-il